Archives de catégorie : 1-fem

sonnets à première rime féminine (Malherbe)

J’ai craint parfois qu’il ne fut plus sincère — 1924 (6)

Emile Blémont Gloires de France

Envoi au ‘Tombeau de Verlaine »

J’ai craint parfois qu’il ne fut plus sincère
Où qu’il ne fût sincère qu’à demi,
Je l’admirais en poète, en ami,
Tout approuver était-il n’écessaire?

Ce rut païen après ce doux rosaire,
Ces yeux d’orgueil, ce coeur mal affermi,
Qui les a vus, et n’en a point gémi?
O le grand Saint, mais quel bon vieux corsaire!

Pour la logique
Grave embarras! – Puis, la mort a sculpté
En marbre blanc sa tête socratique.

Maints vers de lui sont étrangement beaux;
Et ce damné, dans son rêve extatique,
Ouvrit à l’Art des horizons nouveaux.

Q15 –  cxcdcd T.exc –  déca (v.9:4s.)

Puisque l’Astre fut tel de mon adolescence — 1924 (5)

Maurice du Plessys Le feu sacré

Conclusion

Puisque l’Astre fut tel de mon adolescence
De n’avoir qu’à son terme un prix qui différait
Apollon, ce grand dieu m’enseigne par le trait
Qu’il voulait pleine épreuve à ma résipiscence.

Il permit donc que, de sa caution distrait,
Je tentasse, d’un cœur détaché, la licence:
Attentif à l’écart où du moins sa présence
Témoignait qu’au retour ce cœur fut toujours prêt.

Jaloux qu’après qu’on l’eût abjuré, on l’encense?
Ou s’il voulait, comme au trépied, un minerai,
Au feu d’un sein mortel éprouver son essence?

Ne tâchons à savoir des Dieux le soin secret:
Ainsi toute la grâce est dans l’obéissance,
Etant de l’ordre universel l’Objet seul vrai.

Q16 – T20 – y=x :c=a, d=b

..Mais, ni la pêche cressonière — 1924 (4)

Jean Tardieu in Margeries


Mots refoulés

..Mais, ni la pêche cressonière
D’un adjectif dormeur et lourd,
Ou bien d’un verbe de rivière
Qui, brusque, entre les algues, court,

Ni cette patience entière
De sertir un mot d’un discours
Comme s’il était de matière
Plus précieuse que l’entour,

Ne ternit mon amour du monde!
Je connais l’animal plaisir
De refouler sans les saisir

Mes mots – et, les yeux entr’ouverts
L’âme pendue à la seconde
D’accueillir absent l’univers.

Q8 – T34 – octo

Les forteresses des Karpathes — 1924 (3)

Georges LimbourSoleils bas

Faux château

Les forteresses des Karpathes
étaient de grands châteaux de pâte.
les princesses y étaient de spectres oppressées
mais qui étaient là-haut la ronde de nos pensées.

A cause d’un Seigneur aux épais favoris
nous rêvions la beauté fragile et sans patrie
et cette voix bourrue d’un bourreau podestat
fit cette mélodie qui tout bas nous hanta.

mais les Karpathes étaient courbes comme faucille
et dans la nuit leur ombre lentement s’avançait
pour faucher dans la plaine barrée de longs fossés

nos cœurs qui avaient osé
contempler presque à leur hauteur ses forts branlants
par le regard oblique de leurs maints cerfs-volants

Q57 – xccc  dd – m. irr

Père ! protégé de silence ! — 1923 (10)

Mélot du Dy in Le Disque vert

Sonnet pour M. Max Jacob

Père ! protégé de silence !
Méchant ! des grâces visité !
C’est bien le diable, c’est bien l’ange,
Si je n’entends la vérité.

Or, je vous nomme, et sur la langue,
C’est un goût d’immortalité :
Monsieur, votre œuvre est excellente
(Les gentils vous ont imité).

Honneur au poète célèbre !
Mais gloire au poète céleste,
L’heureux démon que Dieu défend !

Et l’ange murmure en cachette :
Monsieur Jacob, voyez l’échelle,
Voyez tous vos petits enfants …

Q8  T15  octo

Les paris tenus au compte-gouttes — 1923 (9)

André Breton Clair de terre

Le madrépore

Les paris tenus au compte-gouttes
Bernent les drapeaux de l’isthme
Sur le soleil avec les taches des abbés
L’entonnoir pose ses lèvres

Par une criminelle attention
Tu soutiens les cartes d’état-major
On presse la poire de velours
Et il s’envole des monticules percés

Le battoir masque les neiges
Promises à l’équateur
Des boites de baptême tournantes

Sans bruit sur les tapis de tapioca
Les marchés se ternissent poulies
De caresses pour les vieux vents

vL – vers plutôt octosyllabiques

Avril renaît Voici ses rubans et ses flammes — 1923 (4)

Aragon – (Les Destinées de la poésie)

La naissance du printemps

Avril renaît Voici ses rubans et ses flammes
Ses mille petits cris ses gentils pépiements
Ses bigoudis ses fleurs ses hommes et ses femmes
Je lui fais de ses couleurs tous mes compliments

Dieu que de besoins fous sous l’appui des fenêtres
Nous n’avons pas fini de compter les baisers
Il y a des semaines entières sous les hêtres
Où chantent les pinsons au plumage frisé

Avril n’a pas toujours vécu sous les lambris
Il fut petit pâtissier puis compte-goutte
Il gagna son pain à la sueur de son front

De fil en aiguille il devint contrôleur des finances
Enfin par un soleil de tous les diables
Il tomba tout à coup amoureux

Q59 – T.exc. – m.irr

Les fruits à la saveur de sable — 1923 (3)

AragonLe mouvement perpétuel


Un air embaumé

Les fruits à la saveur de sable
Les oiseaux qui n’ont pas de nom
Les chevaux peints comme un pennon
Et l’Amour nu mais incassable

Soumis à l’unique canon
De cet esprit changeant qui sable
Aux quinquets du temps haïssable
Le champagne clair du clairon

Chantent deux mots panégyriques
Du beau ravisseur de secrets
Que répète l’écho lyrique

Sur la tombe Mille regrets
Où dort dans un tuf mercenaire
Mon sade Orphée Apollinaire

Q15 – T23 – octo

Dans le xyste où rêvait sa jeunesse immortelle, — 1922 (7)

Marguerite Yourcenar in Les dieux ne  sont pas morts

L’Apparition

Dans le xyste où rêvait sa jeunesse immortelle,
L’éphèbe Antinoos aux jardins de Tibur
Vit, parmi les débris détachés de sa stèle,
Les ronces l’envahir sous l’impassible azur.

À l’heure où les ramiers, d’un lourd battement d’aile,
Font trembler l’ombre claire aux blancheurs du vieux mur,
Seul, le tiède baiser de la clarté fidèle
Consolait la Statue au geste calme et pur.

Les siècles ont détruit cette image mystique
Et terni la candeur du marbre éblouissant.
Qu’importe… Je revois le bel Adolescent :

Il monte avec lenteur les degrés du portique,
Et, posant ses pieds nus sur le sable vermeil,
Revit pour un instant et s’étire au soleil…

Q8 – T30

Son père trafiquait, en l’obscure boutique — 1922 (6)

Louis Brauquier L’au-delà de Suez

Le marchand grec

Son père trafiquait, en l’obscure boutique
Parmi l’odeur de crasse d’homme et de pipi,
Le cuivre, les petites filles, les tapis
Dans la ruelle du faubourg de Salonique.

Mais lui n’a jamais fait que six mois de prison
Pour avoir spéculé sans pudeur sur les huiles.
Il mène sur les quais sa grosse automobile
Déjeune chez Suquet et dîne chez Peysson.

Il achète le blé, les cuirs et l’arachide
Affrète des bateaux vers des villes torrides
Et, bénissant son père, au moins dix fois par jour,

Il corrompt de son or les mères sans scrupules,
Qui conduisent chez lui, dans le noir crépuscule
Leurs filles vierges qui demeurent son amour.

Q63 – T15