Archives de catégorie : 1-fem

sonnets à première rime féminine (Malherbe)

Vous partez, chers amis; la brise ride l’onde, — 1842 (20)

Théophile Gautier Oeuvres poétiques (ed.1880)

A des amis qui partaient, sonnet

Vous partez, chers amis; la brise ride l’onde,
Un beau reflet ambré dore le front du jour;
Comme un sein virginal sous un baiser d’amour,
La voile sous le vent palpite et se fait ronde.

Une écume d’argent brode la vague blonde,
La rive fuit. Voici Mante et sa double tour,
Puis cent autres clochers qui filent tour à tour
Puis Rouen la gothique et l’Océan qui gronde.

Au dos du vieux lion, terreur des matelots,
Vous allez confier votre barque fragile,
Et flatter de la main sa crinière de flots.

Horace fit une ode au vaisseau de Virgile:
Moi, j’implore pour vous, dans ces quatorze vers,
Les faveurs de Thétis, la déesse aux yeux verts.

Q15  T23

Toi qu’on vit récemment, de ton fauteuil critique, — 1842 (19)

Xavier Marmier Chants populaires du Nord

La conversion au sonnet

Toi qu’on vit récemment, de ton fauteuil critique,
Sur nos pauvres sonnets déverser à longs flots,
Raffinement cruel ! – le sel de ces bons mots
Qui pénètrent au vif par leur mordant attique ;

O blanc cygne venu du pur Olympe antiques !
Pourquoi sur son hermine aujourd’hui sans défauts,
Cette tache aujourd’hui de nos bourbeuses eaux ?
Te serais-tu souillé d’un sonnet romantkjque ?

As-tu donc oublié tant de dérisions,
Et du vieux maître Voss les déclamations
Qu’envenimaient l’injure et les cris d’anathème ?

Ah ! tu me fais penser au précepteur grondant,
Pour des fruits dérobés, son élève imprudent,
Et qui s’éloigne après pour en manger lui-même !

Q15  T15  tr (d’un sonnet de Uhland adressé à Goethe, tardivement converti à cette forme)

Il est vrai, cher ami, qu’à voir ton Italie, — 1842 (18)

Accurse Alix Poésies

A un italien

Il est vrai, cher ami, qu’à voir ton Italie,
On dirait que la mort a fermé ses beaux yeux,
Mais, comme Juliette, elle n’est qu’endormie,
Au milieu des tombeaux de ses nobles aïeux.

Son cœur bat, et parfois à l’oreille ravie
Sa bouche exhale encor un souffle harmonieux ;
Elle ne peut mourir, elle qui fut choisie
Pour hôtesse autrefois de la gloire des Dieux.

Il ne faut, pour rouvrir ses paupières divines,
Qu’un doux rayon du ciel tombé sur ses racines
Qu’un son de voix ami par l’écho répété.

Le cri d’un de ses fils que la vague ramène
Au rivage natal d’où le bannit la haine,
Rapportant son amour avec la liberté.

Q8  T15

J’avais sur le sommet d’une colline aimée, — 1842 (16)

Théodore Marquis de Foudras Chants pour tous

Souvenir du pays natal

J’avais sur le sommet d’une colline aimée,
Au milieu du jardin une blanche maison,
D’où l’oeil voyait d’abord une plaine animée,
Puis de riches côteaux, plus loin à l’horizon.

Là, riche de bonheur plus que de renommée,
J’ai passé tous les jours de ma jeune saison,
Là, ma famille était par les pauvres nommée,
Là, j’ai vu mes enfans jouer sur le gazon.

Là, j’avais trois tombeaux ! … dans l’un était ma mère ;
Dans l’autre, à ses côtés, reposait mon vieux père ;
Le troisième à mes vœux avait été promis.

Là, j’avais des amis bien reçus à toute heure …
Mais hélas ! à présent je n’ai plus la demeure !
Je n’ai plus les tombeaux ! ai-je encor les amis ?

Q8  T15

J’aime les vieux manoirs, ruines féodales — 1842 (11)

Louise Colet Poésies

Les Baux

J’aime les vieux manoirs, ruines féodales
Qui des rocs escarpés dominent les dédales;
J’aime du haut des tours de leur sombre prison
A voir se dérouler un immense horizon;

J’aime, de leur chapelle en parcourant les dalles,
A lire les ci-gît couronnés de blason,
Et qui gardent encor la trace des sandales
Des pèlerins lointains venus en oraison.

Parmi les noirs châteaux gigantesques décombres
Dont les murs crénelés jettent au loin leurs ombres,
Aux champs de la Provence est le donjon des Baux:

Là, chaque nuit encore, enlacée par les Fées,
Dans une salle d’arme aux gothiques trophées,
Dorment les chevaliers sortis de leurs tombeaux

Q2 – T15 mme Colet n’a pas reculé devant le quatrain plat: aabb  abab

J’aime un château gothique aux tourelles croulantes, 1842 (9)

Henri-Victor Drouaillet La guitare

A mon ami Ernest Vériot

J’aime un château gothique aux tourelles croulantes,
Où le lichen étend ses livides rameaux;
J’aime à rêver, le soir, sous les sombres arceaux,
A promener mes pas sur les dalles sonnantes.

Ces murs, jadis témoins de scènes palpitantes,
Ces blasons mutilés, ces restes de tombeaux,
Et ces pans de remparts s’écroulaient en lambeaux,
Tout parle, tout instruit dans ces ruines vivantes.

A l’endroit où flottait l’étendard redouté
Sur la tour où veillait le damoiseau fidèle,
Le sinistre corbeau se tient en sentinelle,

Et sur le front bruni de cette citadelle
Qui fit trembler le serf et le vassal rebelle,
Le burin de notre âge a gravé: Liberté!

Q15 – T33

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées, — 1842 (4)

Joseph Pétasse Fleurs des champs

Sonnet

J’aime à rêver le soir, dans les sombres vallées,
Que la lune blanchit de ses douces lueurs.
J’aime l’aspect touchant de ces nuits étoilées
Où rayonnent au ciel les divines splendeurs.

J’aime des vents du soir les haleines mêlées,
Qui promènent dans l’air d’énivrantes splendeurs.
J’aime du rossignol les notes modulées,
Qui caressent  mon âme et font couler mes pleurs.

Lorsque je m’abandonne aux vagues rêveries,
Que réveillent en moi ces voluptés chéries,
Une extase subite emplit bientôt mon coeur.

Et mon coeur succombant à cette pure ivresse,
Pour exalter son dieu, ne trouve en sa détresse,
Ne trouve que ces mots: « Seigneur, Seigneur, Seigneur! …  »

Q8 – T15 – bi suite du ‘Bouquet inutile’

Ami des malheureux, que le grand jour opprime, — 1842 (3)

Jules Le Fèvre-Deumier Oeuvres d’un  désoeuvré

L’énigme du secret

Ressemelage d’un vieux sonnet de Gombaud

Ami des malheureux, que le grand jour opprime,
Le silence et la nuit me rendent seuls parfait:
On m’accuse parfois de protéger le crime,
Et j’ôte, en m’éclairant, de l’éclat au bienfait.

Complice nuageux de leur plus doux méfait,
Les femmes n’ont pour moi qu’une assez mince estime.
Plus d’une cependant, quand mon poids l’étouffait,
N’a sauvé, que par moi, son honneur de l’abîme.

On prétend que je suis difficile à trouver:
Je le suis plus encor peut-être à conserver;
Mon nom, comme mon sort, me défend de paraître.

Les curieux me font à tout propos la cour;
Les fous! C’est me tuer, que vouloir me connaître:
Loin de vivre, je meurs, dès que je vois le jour.

Q11 – T14


Ne regardons jamais de femme dans la rue; — 1842 (1)

Alfred Philibert Les étincelles

Sonnet

Ne regardons jamais de femme dans la rue;
La femme nous fait mal et fuit en nous frappant;
Son regard nous fascine et son souffle nous tue:
C’est l’oeil et le dard du serpent.

Ces rencontres souvent nous laissent l’âme émue;
On en sourit d’abord; plus tard on s’en repent.
Le démon a toujours quelque ruse inconnue;
Il ne nous perd qu’en nous trompant.

On rentre tout mouillé sans songer à la pluie;
On ouvre sur la table un livre commencé;
Mais au second feuillet le livre nous ennuie.

On chante; on se promène; on se couche lassé;
On se tourne en rêvant vers une image enfuie.
Le beau soir que l’on a passé!

Q8 – T20 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

Les vers courts marquent les quatrains et le dernier vers.

O vous ! qui les premiers nous avez dit : « Courage ! » — 1841 (14)

Michel Florestan in Les écrivains de la mansarde

Sonnet

O vous ! qui les premiers nous avez dit : « Courage ! »
Et qui, nous voyant seuls, sur les bords du chemin,
Comme des passereaux blottis contre l’orage,
Nous avez appelés en nous tendant la main ;

O vous ! qui n’avez pas détourné le visage
Afin de ne pas voir, et cruels à dessein,
Sur des pauvres enfants jeté comme un outrage
La froide raillerie et l’orgueilleux dédain ;

Merci de cet amour, frères, qui nous console,
Et nous rend l’espérance … Une douce parole,
Un serrement de main calme bien des douleurs !

Mais pour comprendre ainsi nos regrets et nos pleurs,
Vos yeux ont dû verser des larmes bien amères !
Car les larmes sont sœurs ainsi que les misères.

Q8  T15