Archives de catégorie : Genre des rimes

Ta paille azur de lavandes, — 1899 (28)

Mallarmé Poésies

Chansons bas

II
(la Marchande d’Herbes Aromatiques)

Ta paille azur de lavandes,
Ne crois pas avec ce cil
Osé que tu me la vendes
Comme à l’hypocrite s’il

En tapisse la muraille
De lieux les absolus lieux
Pour le ventre qui se raille
Renaître aux sentiments bleus.

Mieux entre une envahissante
Chevelure ici mets-là
Que le brin salubre y sente,
Zéphirine, Paméla.

Où conduise vers l’époux
Les prémices de tes poux.

shmall – 7s

Hors de la poix rien à faire, — 1899 (27)

Mallarmé Poésies

Chansons bas

I
(le Savetier)

Hors de la poix rien à faire,
Le lys naît blanc, comme  odeur
Simplement je le préfère
A ce bon raccomodeur.

Il va de cuir à ma paire
Adjoindre plus que je n’eus
Jamais, cela désespère
Un besoin  de talons nus.

Son marteau qui ne dévie
Fixe de clous gouailleurs
Sur la semelle l’envie
Toujours conduisant ailleurs.

Il recréerait des souliers,
O pieds, si vous le vouliez!

shmall – 7s

A des heures et sans que tel souffle l’émeuve — 1899 (26)

Mallarmé Poésies

Remémoration d’amis belges

A des heures et sans que tel souffle l’émeuve
Toute la vétusté presque couleur encens
Comme furtive d’elle et visible je sens
Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve

Flotte où semble par soi n’apporter une preuve
Sinon d’épandre pour baume antique le temps
Nous immémoriaux quelques-uns si contents
Sous la soudaineté de notre amitié neuve

O très chers rencontrés en le jamais banal
Bruges multipliant l’aube au défunt  canal
Avec la promenade éparse de maint cygne

Quand solennellement cette cité m’apprit
Lesquels entre ses fils un autre vol désigne
A prompte irradier ainsi qu’aile l’esprit

Q15 – T14 – banv

Avec comme pour langage — 1899 (24)

Mallarmé Poésies

Eventail
de Madame Mallarmé

Avec comme pour langage
Rien qu’un battement aux cieux
Le futur vers se dégage
Du logis très précieux

Aile tout bas la courrière
Cet éventail si c’est lui
Le même par qui derrière
Toi quelque miroir a lui

Limpide (où va redescendre
Pourchassée en chaque grain
Un peu d’invisible cendre

Seule à me rendre chagrin)
Toujours tel il apparaisse
Entre tes mains sans paresse

shmall – 7s

La chevelure vol d’une flamme à l’extrême — 1899 (23)

Mallarmé Poésies

La chevelure vol d’une flamme à l’extrême
Occident de désirs pour la tout éployer
Se pose (je dirai mourir un diadème)
Vers le front couronné son ancien foyer

Mais sans or soupirer que cette vive nue
L’ignition du feu toujours intérieur
Originellement la seule continue
Dans le joyau de l’oeil véridique ou rieur

Une nudité de héros tendre diffame
Celle qui ne mouvant astre ni feux au doigt
Rien qu’à simplifier avec gloire la femme
Accomplit par son chef fulgurante l’exploit

De semer de rubis le doute qu’elle écorche
Ainsi qu’une joyeuse et tutélaire torche

shmall

Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie, — 1899 (22)

Mallarmé Poésies

Tristesse d’été

Le soleil, sur le sable, ô lutteuse endormie,
En l’or de tes cheveux chauffe un bain langoureux
Et, consumant l’encens sur ta joue ennemie,
Il mêle avec les pleurs un breuvage amoureux.

De ce blanc flamboiement l’immuable accalmie
T’a fait dire, attristée, sous mes baisers peureux
« Nous ne serons jamais une seule momie
Sous l’antique désert et les palmiers heureux! »

Mais ta chevelure est une rivière tiède,
Où noyer sans frissons l’âme qui nous obsède
Et trouver ce Néant que tu ne connais pas.

Je goûterai le fard pleuré par tes paupières,
Pour voir s’il sait donner au coeur que tu frappas
L’insensibilité de l’azur et des pierres.

Q8 – T14

Cependant que la cloche éveille sa voix claire — 1899 (21)

Mallarmé Poésies

Le sonneur

Cependant que la cloche éveille sa voix claire
A l’air pur et limpide et profond du matin
Et passe sur l’enfant qui jette pour lui plaire
Un angélus parmi la lavande et le thym,

Le sonneur effleuré par l’oiseau qu’il éclaire,
Chevauchant tristement en geignant du latin
Sur la pierre qui tend la corde séculaire,
N’entend descendre à lui qu’un tintement lointain.

Je suis cet homme. Hélas! de la nuit désireuse,
J’ai beau tirer le câble à sonner l’Idéal,
De froids péchés s’ébat un plumage féal,

Et la voix ne me vient que par bribes et creuse!
Mais, un jour, fatigué d’avoir enfin tiré,
O Satan, j’ôterai la pierre et me pendrai.

Q8 – T30

Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête 1899 (20)

Mallarmé Poésies

Angoisse

Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête
En qui vont les péchés d’un peuple, ni creuser
Dans tes cheveaux impurs une triste tempête
Sous l’incurable ennui que verse mon baiser:

Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes
Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sait plus que les morts:

Car le Vice, rongeant ma native noblesse,
M’a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité

Par un coeur que la dent d’aucun crime ne blesse,
Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.

Q59 – T30

Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renaître — 1899 (18)

Mallarmé Poésies

Le pitre châtié

Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renaître
Autre que l’histrion qui du geste évoquais
Comme plume la suie ignoble des quinquets,
J’ai troué dans le mur de toile une fenêtre.

De ma jambe et des bras limpide nageur traître,
A bonds multipliés, reniant le mauvais
Hamlet! c’est comme si dans l’onde j’innovais
Mille sépulcres pour y vierge disparaître.

Hilare or de cymbale à des poings irrité,
Tout à coup le soleil frappe la nudité
Qui pure s’exhala de ma fraîcheur de nacre,

Rance nuit de la peau quand sur moi vous passiez,
Ne sachant pas, ingrat, que c’était tout mon sacre,
Ce fard noyé dans l’eau perfide des glaciers.

Q15 – T14 – banv

Non, non, votre secret n’était pas un mystère. — 1899 (15)

Louis Fréchette Mémoires de la Royal Society of Canada, Section française t.5

Réponse au sonnet d’Arvers

Non, non, votre secret n’était pas un mystère.
Cet amour éternel discrètement conçu,
Vous avez, ô poète, eu grand tort de le taire:
Celle que vous aimiez l’a toujours fort bien su.

Vous n’avez point passé près d’elle inaperçu;
Votre âme à ses côtés n’était pas solitaire;
Mais vous avez perdu votre temps sur la terre:
N’osant rien demander, vous n’avez rien reçu.

Les femmes ont le coeur aussi subtil que tendre:
Pas une, soyez sûr, qui marche sans entendre
Le moindre des soupirs exhalés sur ses pas.

À l’instinct de leur sexe uniquement fidèles,
Des centaines, croyant vos vers tout remplis d’elles,
Raillaient votre silence… et ne vous plaignaient pas.

Q10  T15 – arv