Archives de catégorie : Genre des rimes

Du sonnet quel est l’avantage ? — 1898 (20)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Du sonnet quel est l’avantage ?
Vous dit-on souvent au palais :
Il n’a que faire dans les plaids,
Ce n’est qu’un charmant badinage.

Erreur ! on doit à son usage
De condenser non sans succès,
En peu de mots, en quelques traits,
Un confus et lourd verbiage.

Eh quoi ! messieurs les avocats,
Quatorze vers sont-ils au cas
D’encourir une raillerie ?

Onques juge ne dormirait
Si jamais une plaidoirie
N’était plus longue qu’un sonnet.

(G.Hipp)

Q15 T14 – banv – octo  s sur s

Dans l’Epopée, une vaste peinture — 1898 (19)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

‘Ut pictura poesis’

Dans l’Epopée, une vaste peinture
S’enlève à fresque et se brosse à grands traits ;
Des demi-dieux violant les secrets,
Le Drame antique outre un peu la nature ;

Jusqu’aux confins de la caricature
La Comédie exhaussant ses portraits,
Nous fait toucher nos travers de plus près ;
Le Sonettiste est peintre en miniature :

De Michel-Ange il n’a pas les crayons,
De Raphaël les célestes rayons,
Ou de Rubens la magique palette ;

Terburg, Miéris lui prêtent leur pinceau :
L’immensité dans la mer se reflète ;
Un coin de ciel suffit au clair ruisseau.

(Georges Garnier)

T15 Q14 – banv –  déca s sur s

Dans sa forme attrayante, avec art modelée, — 1898 (15)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Le sonnet

Dans sa forme attrayante, avec art modelée,
Nous aimons le sonnet, concis et gracieux.
Nous le voulons parfait : accents hamonieux,
Œuvre finement ciselée.

Elevant son essor vers la voute étoilée,
Dont les astres sans nombre éblouissent nos yeux,
Ainsi que l’ode il peut, dans l’infini des cieux,
Monter sur une stance ailée.

Souvent le cœur y parle un langage charmant ;
L’esprit en fait jaillir comme d’un diamant
Les plus brillantes étincelles.

Oui, c’est un joyau rare, une perle, un trésor …
Avouons-le pourtant : c’est une cage d’or
Où n’entrent pas les grandes ailes.

(Léon Magnier)

Q15  T15  s sur s –  2m (octo 4-8-11-14

Voulant te rogner l’aile, ô libre poésie ! — 1898 (14)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Voulant te rogner l’aile, ô libre poésie !
Un sévère critique et peu lyrique auteur
Soutint que le sonnet est une œuvre choisie
Dont rien ne peut, en vers, atteindre la hauteur.

Maintenant, pour Boileau, pédant législateur,
Nous ne témoignons pas beaucoup de courtoisie :
Nous l’appelons perruque, et du vieux radoteur
Nous raillons volontiers la docte fantaisie.

Nos poètes du jour, il est vrai, sont plus forts.
Ils maîtrisent la langue et riment sans efforts.
Le métier ne voit plus l’ouvrage de la veille.

Quant à moi, pour finir le travail que voici,
Mon cerveau n’a pas eu grand’peine, Dieu merci !
Et j’avoue humblement n’avoir pas fait merveille.

Q11  T15  s sur s

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème, — 1898 (13)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

« Un sonnet sans défaut »

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème,
A dit certain gâteux du temps du roi-soleil.
Un bon sonnet, pour moi, c’est une joie extrême,
Un régal délicat, un bijou sans pareil.

J’ai pâli bien souvent, ami, sur ce problème :
Faire aussi mon sonnet ! A l’horizon vermeil
Un rêve me montrait une pensée, un thème,
Qui s’évanouissait souvent à mon réveil.

Quand, revenant à moi, je saisissais la plume,
Pour fixer ce croquis estompé dans la brume,
Hélas ! de mon esprit le vent l’avait banni.

Aussi, sans plus chercher, je me tais, j’y renonce,
Ce n’est pas un sonnet qui sera ma réponse.
Tiens ! – mais, sans y songer, mon sonnet est fini.

(Ernest Lacoste)

Q8  T15  s sur s

Des profondeurs du rêve en lequel tu t’exiles — 1898 (10)

Alban Roubaud in La Cité d’Art

Appareillage

Des profondeurs du rêve en lequel tu t’exiles
ô mon âme pour fuir un peu la vérité
n’entends-tu pas, ce soir, comme un appel jeté
par delà l’horizon, en de magiques îles ?

Viens ! je veux m’affranchir du souffle impur des villes
et murer à jamais mon cœur ensanglanté :
Allons nous abreuver aux sources de clarté,
loin des désirs malsains hurlant en troupes viles.

Cinglons vers d’irréels pays que tu nommas :
peut-être qu’il fleurit sous de nouveaux climats
l’oubli que nous cherchons à nos douleurs secrètes.

Et qu’enfin tu pourras en des sites d’espoirs,
accouder ta pensée au bord croulant des soirs
et ne la confier qu’à des choses muettes.

Q15  T15

Mon âme à fonds secrets pleure le ministère — 1898 (8)

Jean Goudezki Hercule ou la vertu récompensée

Sonnets des revers

Mon âme à fonds secrets pleure le ministère
Le pouvoir éternel en un moment conçu.
Le mal n’est pas bien rare et je pourrais le taire,
Car si je fus ministre on n’en avait rien su.

Ainsi j’aurai passé, ministre inaperçu
Aussi triste qu’un ver et non moins solitaire,
Et je vais retourner à mes pommes de terre,
Ayant tout demandé et n’ayant rien reçu.

L’électeur, quoique Dieu l’ait fait naïf et tendre,
Va peut-être, à présent, m’oublier, sans entendre
Les appels au scrutin placés dessous ses pas.

A l’austère devoir correctement fidèle,
Le Président va dire en lisant la nouvelle:
« Quel était ce monsieur? » et ne comprendra pas …

Q10 – T15 – arv

Il te fut révélé, ce soir, et t’a blessée, — 1898 (5)

François Dellevaux Le sachet d’amour

Le lys

Il te fut révélé, ce soir, et t’a blessée,
L’acte brutal qui préoccupe ta pensée.
Or, c’est l’instant, ô virginale fiancée!
Des souhaits écoutés et des voeux accomplis….

Sois à moi! Le corps seul est d’argile. Le lys,
Cette royale fleur de pureté candide,
A besoin, pour pousser son calice splendide,
Du suc vivifiant d’un noir humus sordide:

Donne-toi. Notre amour te deviendra plus cher
En s’idéalisant, car, dans l’Oeuvre de chair,
La caresse est le Spasme et l’étreinte est l’Extase.

Qu’importe la matière impure, si l’esprit
S’en exalte? O leçon! Le parfum qui fleurit
Ignore, sans dédain, le fumier de sa base!

aaab  ba’a’a’ – T15

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes, 1898 (4)

Jean Moréas Poésies 1886-1896

Choeur

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes,
Démon Concept, tu t’ériges et tu suspends
Les males heures à ta robe, dont les pans
Errent au prime ciel comme un vol de colombes.

Toi, pourquoi sur l’autel fumant en hécatombes
Les lourds désirs plus cornus que des égipans,
Electuaire sûr aux bouches de serpents,
Et rite apotropée à la fureur des trombes;

Toi, sistre et plectre d’or, et médiation,
Et seul arbre debout dans l’aride vallée,
O Démon, prends pitié de ma condition;

Eblouis-moi de ta tiare constellée,
Et porte en mon esprit la résignation,
Et la sérénité en mon âme troublée.

Q15 – T20

Les langages humains, les mots d’une patrie, — 1898 (3)

– Marquis de Pimodan, Duc de Rarecourt  – Les sonnets

Le Golgotha

Les langages humains, les mots d’une patrie,
Les vocables du monde expirent! ….
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……………………………. Roi des Rois
Dieu Tout-Puissant! Jésus va mourir sur la Croix,
Et, tremblante, à ses pieds debout se tient Marie

Et, rétréci d’effroi, le coeur épouvanté
De la Mère, adorant l’Auguste Volonté,
Doit accepter l’horreur immense du Mystère,

Car qu’elle dise: « O Fils! mais ton sang est à moi,
Moi qui te l’ai donné! que m’importe la terre?
Que m’importent les cieux? Ce qu’il me faut: c’est Toi! »

quatrains lacunaires – T14