Archives de catégorie : Genre des rimes

Est-ce pour toi que ma voix pleure — 1895 (12)

Alban Roubaud Pour l’idole

Désir

Est-ce pour toi que ma voix pleure
Et se fait douce infiniment ?
Est-ce toi qui fait mon tourment,
Est-ce ton regard qui me leurre ?

Si ma bouche jamais n’effleure
Ni ne clôt ta bouche qui ment,
Est-ce pour toi que ma voix pleure
Et se fait douce infiniment ?

Quel charme exquis se subtilise
En lequel mon âme s’enlise
Et se meurt d’attendrissement ?

Mon désir grandi avec l’heure,
Et je suis à tes pieds, vraiment …
Car c’est pour toi que ma voix pleure.

Q14  T14  octo  y=x (d=b & e=a)  v.refrains : 1-2

Vicvânitra priait. Les nocturnes délices — 1895 (10)

Richard Cantinelli Le rouet d’Omphale

Vicvânitra et Minaka

Vicvânitra priait. Les nocturnes délices
Des songes se fondaient en la splendeur rosée
De l’aurore aux cheveux couronnés de narcisses,
Qui s’éveillait avec des langueurs d’épousée.

Vicvânitra priait et songeait. Les figuiers
Sous le soleil levant noircissaient enlacés:
Tels des êtres en qui montent les flots pressés
Du sang, sous le contact de lumineux baisers.

Tandis que, du lac bleu bordé d’iris très pâles,
Monte une femme au long collier semé d’opales,
Qui pose son pied blanc sur l’herbe du rivage.

Son vêtement mouillé sur ses formes se moule,
Et, lentement, sa main de ses cheveux dégage
Son visage où l’eau claire et scintillante coule.

abab a’a’a’a’ – T14

Vaine aurore! si des larmes voilent un rire, — 1895 (7)

André FontainasLes estuaires d’ombre


I

Vaine aurore! si des larmes voilent un rire,
Sont-elles un présage à nos fuites de joies
Qu’auraient les yeux d’une autre à suivre un jeu de soies
En frissons brefs au long des parois de porphyre?

Mais nul geste que l’aube encore ne s’y mire
Au fantastique épars de ce que tu déploies,
Où, verbe, ne s’y grave en hymnes, jeunes proies
A promulguer: rien n’est qui soit, sinon écrire.

Une brume vieillie agonise au pilier,
Et s’y meurtrit la voix d’angoisse rauque étreinte
Pour s’y sentir naissante aux outrages lier.

Aux havres d’or naguère où s’incurvait Corinthe
Nul éphèbe ne vogue en voeux d’âme nouvelle
Vers les fauves toisons que l’aurore y révèle.

Q15 – T23  – Le livre est dédié à Mallarmé – la règle d’alternance n’est plus qu’un souvenir

Que de fois, sur le roc de la cime prochaine, — 1895 (6)

G.C. Thouron Coups d’ailes

Sur le roc

Que de fois, sur le roc de la cime prochaine,
Joyeusement assis j’épèle dans les cieux!
Que de fois, maudissant et la vie et sa chaîne,
En rêve dans l’azur je m’élève anxieux!

Devant moi la nature et ses champs spacieux
Voulant m’assujettir à leurs sollicitudes:
Non! comme à l’aigle altier, grand sur ces solitudes,
Il faut à mon esprit le faîte audacieux.

Ah! c’est dans ces hauteurs où plane le génie,
Qu’il soit épris d’amour ou de pure harmonie,
Que mon âme enivrée en un sublime chant,

De contemplation et d’idéal plus belle,
Sacrifiant un monde aux prix d’une étincelle,
Avide, boit à flots les rayons du couchant!

Q48 – T15 – bi

La laide et maigre Guimard, prêtresse de Terpsichore, — 1895 (5)

Tony d’UrbinoSonnets fantaisistes

La Guimard

La laide et maigre Guimard, prêtresse de Terpsichore,
A des adorateurs que séduisit ses mollets,
Ses mollets faits au tour, virant dans les ballets,
Avec un art savant qu’on admire encore.

Elle s’enrichit, mais n’est point pécore,
Bien que ses protecteurs, ses valets
Lui fassent cadeau d’un palais
Qu’un peintre épatant décore.

Pour elle écrit Collé
Qu’elle a racolé
Pour son théâtre.

L’Opéra
Paîra
L’âtre.

Q 15 – T15 – bdn – Boule de neige métrique fondante stricte

Toute l’âme résumée — 1895 (3)

Mallarmé in Le Figaro – Supplément Littéraire

Toute l’âme résumée
Quand lente nous l’expirons
Dans plusieurs ronds de fumée
Abolis en d’autres ronds

Atteste quelque cigare
Brûlant savamment pour peu
Que la cendre se sépare
De son clair baiser de feu

Ainsi le choeur des romances
A la lèvre vole-t-il
Exclus-en si tu commences
Le réel parce que vil

Le sens trop précis rature
Ta vague littérature

shmall – 7s

Comme un cherché de sa province — 1895 (2)

Mallarmé in La Revue scolaire – journal général de l’instruction publique

Toast
Porté à M. Rousselot, directeur du collège Rollin, à l’occasion du banquet de la Saint-Charlemagne,
2 février 1895

Comme un cherché de sa province
Sobre convive mais lecteur
Vous aimâtes que je revinsse
Très cher Monsieur le Directeur

Partager la joie élargie
Jusqu’à m’admettre dans leur rang
De ceux couronnant une orgie
Sans la fève ni le hareng

Aussi je tends avec le rire
– Ecume sur ce vin dispos –
Qui ne saurait se circonscrire
Entre la lèvre et les pipeaux

A vous dont le regard me coupe
La louange haut notre Coupe

shmall – octo

Ce me va hormis l’y taire — 1895 (1)

Mallarmé in La Revue Blanche

Petit Air
(guerrier)

Ce me va hormis l’y taire
Que je sente du foyer
Un pantalon militaire
A ma jambe rougeoyer

L’invasion je la guette
Avec le vierge courroux
Tout juste de la baguette
Au gant blanc des tourlourous

Nue ou d’écorce tenace
Pas pour battre le Teuton
Mais comme une autre menace
A la fin que me veut-on

De trancher ras cette ortie
Folle de la sympathie

shmall – 7s

Un rayon délicat vient caresser la terre, — 1894 (19)

Louise Abbéma in l’Art et la mode

NUIT JAPONAISE, ÉVENTAIL

Un rayon délicat vient caresser la terre,
Le fin croissant du soir dans le ciel violet,
Baigne de la pâleur de son tremblant reflet,
Les îles de Yedo, et la mer qui s’éclaire.

Un parfum très subtil monte avec volupté
Des pâlissants iris et des pivoines roses,
Quel mystère charmant enveloppe les choses
En l’exquise douceur des belles nuits d’été!

Tout repose et se tait. Sous les brises très molles,
Les Pavots endormeurs effeuillent leurs corolles
Qu’un souffle tendre et frais entraîne en voltigeant.

Sur les bateaux légers aux frissonnantes voiles,
La blonde Séléné fait pleuvoir des étoiles,
Et le Japon s’endort en un rêve d’argent.

Q63  T15