Archives de catégorie : Genre des rimes

Dans des gouffres nimbés d’auréoles rosâtres, — 1894 (17)

Revue de l’Est

Deux maîtresses en une

Dans des gouffres nimbés d’auréoles rosâtres,
Où transparaît l’horreur d’un enténèbrement,
Je trace tes contours sur les célestes plâtres
Qui tapissent le bleu morne du firmament !

Sur la palette d’or des lunes idolâtres,
J’étale la couleur de ton rose piquant,
Et le halo des nuits vient ceindre tes albâtres
De ton flanc callipyge, où clame mon tourment !

Alors tu te fais chair, chair de jeune maitresse,
Des hurlantes amours recélant la caresse,
Dans l’ondulation d’un frêle corps d’enfant!

Tes reins ont des serpents les plis noueux et lisses,
Tes yeux ont les éclairs de leurs yeux, et tes cuisses
L’élastique rondeur des trompes d’éléphant !

(Louis Baboulet)

Q8  T15

Non. Ce n’est pas vrai. Vous êtes très bonne, — 1894 (13)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A ***

Non. Ce n’est pas vrai. Vous êtes très bonne,
Très sobre de paroles dures vraiment
Et votre verbe est un pur liniment
Tout en voyelles sans la moindre consonne.

C’est la cause pourquoi je vous pardonne
Quelque vivacité dite éventuellement
Et sûrement dans le juste moment
Où je la mérite, et parlant à ma personne.

Car vous êtes franche et ce m’est doux,
Dans ce monde vil et surtout jaloux
De ramper autour de quelqu’un pour le tromper

Et c’est très bien ça, ma si chère amie,
Et je vous en estime (et je ne mens mie)
Et je t’en aime mieux encore de ne pas me tromper.

Q15 – T15 – m.irr – même mot à la rime aux vers 11 et 14

Zut, il n’en faut plus, c’est une hypocrite — 1894 (12)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A***

Zut, il n’en faut plus, c’est une hypocrite
A rebours ou c’est une folle ou, mieux,
Une sotte en cinq lettres, mais de vieux
Jeu, trop Second Empire, – et qui s’effrite.

Car jeune elle est très loin de l’être encor
Et la date de sa naissance est un trésor
De suppositions contradictoires.
Cela ne ferait rien sans doute au cas présent,

Moi n’étant plus non plus l’adolescent
Epris de sa cousine, lys! Ivoires!
Mais surtout elle est sotte, démérite

Pire à mes yeux que tous maux sous les cieux
Et, tort non moindre en surplus à mes yeux,
Elle a le don qui fait que je m’irrite.

QTTQ mais disposition standard – 10s 

Le vélin crie et rit et grimace, livide. — 1894 (10)

Alfred JarryMinutes de sable mémorial
Les trois meubles du mage surannés

II
Végétal

Le vélin crie et rit et grimace, livide.
Les signes sont dansants et fous. Les uns, flambeaux,
Pétillent radieux dans une page vide.
D’autres en rangs pressés, acrobates corbeaux,

Dans la neige épandue ouvrent leur bec avide.
Le livre est un grand arbre émergeant des tombeaux.
Et ses feuilles, ainsi que d’un sac qui se vide,
Volent au vent vorace et partent en lambeaux.

Et son tronc est humain comme la mandragore;
Ses fruits vivants sont des fèves de Pythagore;
Ses feuillets verdoyants lui poussent en avant.

Et les prédictions d’or qu’il emmagazine,
Seul peut les lire sans péril le nécromant,
La nuit, à la lueur des torches de résine.

Q8 – T14

De la quête ingénue, aussi émouvante — 1894 (7)

Marie KryzinskaJoies errantes

à Luce Colas

De la quête ingénue, aussi émouvante
que la grâce des paysages normands,
où, parmi les doux feuillages bruissants
l’eau coquette miroite, court, enchante.

Le cher souci d’Art a mis dans ses yeux gris,
rieurs de malice, un rien de graves songers,
mais sa bouche demain le fruit frais des vergers
aimés de Watteau et tout parfumés d’esprit.

Le siècle des fossettes et des bergeries,
des amours, des rubans et des coeurs aux abois,
semble l’avoir ornée pour le plaisir des yeux;

et c’est aussi le charme exquis des causeries
tendres et raisonneuses des Dames d’autrefois
qui ressuscite en elle par le vouloir des Dieux.

Q63 – T36 – métrique irrégulière, plutôt 11s

La chasuble des Apostoles, — 1894 (6)

Laurent TailhadeAu pays du Mufle – (ed.1920)

II
Virgo Fellatrix (d’après Laurent Tailhade)

La chasuble des Apostoles,
Dans le cristal incendié
Flamboie – Un coeur supplicié
Attend, vierge, que tu l’extolles.

D’or fin, la Lune, sous ton pié:
Aux accents des luths, des citoles,
L’Ange ‘Saint des saintes étoles »
Chante l’amour. O filiae!

Canonique! mystique! unique!
Hors du triptyque, ta tunique
Verse l’âme des Paradis.

Toi, la Pudibonde, sans nulle
Macule, j’ouvre la lunule
Des ostensoirs où tu splendis.

Q15 – T15 – octo

L’insénescence de l’humide argent accule — 1894 (5)

Laurent TailhadeAu pays du Mufle – (ed.1920)
(Deux sonnets pour être dits en expectant claudication)

I
Le limaçon (d’après feu Rimbaud)

L’insénescence de l’humide argent accule
La glauque vision des possibilités
Où s’insurgent, par telles prases abrités,
Les désirs verts de la benoîte renoncule.

Morsure extasiant l’injurieux calcul,
Voici l’or impollu des corolles athées
Choir sans trève! Néant des Sphinges Galathées
Et vers les nirvânas, ô Lyre, ton recul!

La mort est un vainqueur Loyal et redoutable
Aux vénéneux festins où Claudius s’attable
Un bolet nage en la saumure des bassins.

Mais, tandis que l’abject amphictyon expire
Eclôt, nouvel orgueil de votre pourpre, ô Saints,
Le lis ophilial orchestré par Shakespeare.

Q15 – T14 – banv

Un soir d’automne en Normandie, — 1894 (3)

Fernand Halley Soirées d’automne

Amour et Patrie, sonnet patriotique

Un soir d’automne en Normandie,
Je vis au détour d’un chemin,
Une enfant, la mine hardie,
Qui me tendait sa blanche main.

Elle chantait la mélodie
Si chère aux Français, c’est certain;
L’hymne sacré de la patrie,
Et j’accompagnai le refrain.

Puis tout à coup, faisant silence:
 » Si tu le veux, beau troubadour,
Je te chanterai, me dit-elle,

Avec l’Espérance, l’Amour! »
« Oh! non, non! lui dis-je, ma belle.
Chante, chante encor pour la France! »

Q8 – T39  octo

L’air noble, le taint mat d’une Jéorjiaine, — 1894 (2)

Lord-Orangis (= Gabriel Marfond) Aifemaire Amour – Sonnets écrits d’après une orthographe nouvelle –

Le portrait

L’air noble, le taint mat d’une Jéorjiaine,
De longs cheveus de jais tombans jusqu’aus jenous;
Le sémillant aisprit d’une pariziaine,
Sous de longs cils trais noirs des jolis yeus trais dous;

Un nom beau comme un chant de harpe aioliaine,
Ou come les refrains des pâtres andalous:
Voila ce quy vous vaut, belle muziciaine,
De tant de coeurs aipris tant d’homajes jalous!

D’autres peuvent avoir le ton chaud de l’oranje,
Des rôses sur leur lys, ou, sous la fine franje
De leurs cils capiteus, un euil noir plus ardant.

Mais, je puis l’avouer, sans forcer la louanje,
Je ne conus jamais, avant vous ô mon anje
D’atraits aucy divers un tout aucy charmant.

Q8 – T6

La vie est toute tracée — 1893 (22)

Paul Verola Les baisers morts

Scepticisme

La vie est toute tracée
Et, gondole sans rameur,
L’âme coule, harassée,
Amour, sifflet ou rumeur

A rien ne sert se débattre ;
Le cœur fuit, méchant ou bon :
Toujours noir est le charbon ;
Toujours blanc sera l’albâtre.

L’âme, toute embarrassée,
N’entraîne que ce qui meurt,
Baisers secs, fleur trépassée,
Bois mort et vaine clameur !

Elle va, troupeau sans pâtre
Et sans but, à l’abandon,
Broutant violette ou chardon,
Yeux bleus ou dégoût saumâtre.

Dans le cœur rien ne peut naître
Et tout ce qui y pénètre,
Y pénètre pour mourir,

De l’univers sanctuaire
Il n’est que l’obituaire
Changeant printemps en hiver ;

Larmes, cris, chants de victoire,
Il est le four crématoire
Incinérant l’Univers !

Quatre quatrains (abab a’b’b’a’ abab a’b’b’a’) et trois tercets ( ccd c’c’d’ eed’ ; la rime ‘d’ est quasi-orpheline)