Archives de catégorie : Genre des rimes

La Gloire, comme nulle tempe — 1890 (2)

Mallarmé in Oeuvres complêtes – Poésies (ed. Barbier-Millan)

Sonnet à Valère Gille

La Gloire, comme nulle tempe
Encore mi-poivre mi-sel
Ne s’y dora selon la lampe,
De si tôt paraître missel

Ce l’est, avec le commentaire
Par entrelacs colorié:
Je me sens un peu comme en terre
Allé refleurir le laurier.

Le beau papier de mon fantôme
Ensemble sépulcre et linceul
Vibre d’immortalité, tome,
A se déployer pour un seul

Dans le gothique, d’évangile
Par vous rêvé, Valère Gille.

shmall – octo

De frigides roses pour vivre — 1890 (1)

Mallarmé in Oeuvres complêtes – Poésies (ed. Barbier-Millan)


Eventail de Méry Laurent

De frigides roses pour vivre
Toutes la même interrompront
Avec un blanc calice prompt
Votre souffle devenu givre

Mais que tout battement délivre
La touffe par un choc profond
Cette frigidité se fond
En du rire de fleurir ivre

A jeter le ciel en détail
Voilà comme bon éventail
Tu conviens mieux qu’une fiole
Nul n’enfermant à l’émeri

Sans qu’il y perde ou le viole
L’arôme émané de Méry

Q15 – T14 – banv – octo

Je n’en ferai qu’un seul ! il sera pour ta fête ! 1889 (31)

Louis Franc L’herbier

Sonnet unique

Je n’en ferai qu’un seul ! il sera pour ta fête !
Que de fois tu m’as dit, quand ce jour revenait,
« Eh bien ! trouverez-vous encore une défaite ?
Mon nom réclame un chant : s’il vous en souvenait !

Vous amant ! dont la plume et dont l’âme est muette !
Offrez-moi donc alors des bonbons en cornet.
Eh quoi ! pour inspirer n’ai-rien ? Vous poète !
Ah ! sauvez votre honneur au moins par un sonnet ! »

Le pourrai-je ? un sonnet c’est un bouquet de rimes !
Mais comment voir ta bouche ainsi traiter de frimes
Mon art et mon amour ! Au contraire dis-toi :

Ce lui fut une tendre et bien douce corvée !
Puis il brisa le moule après l’oeuvre achevée,
Pour qu’elle fût unique et n’appartînt qu’à moi.

Q8  T15  s sur s

Ce fut à Londres, ville où l’Anglaise domine, — 1889 (27)

Verlaine Dédicaces

A Germain Nouveau

Ce fut à Londres, ville où l’Anglaise domine,
Que nous nous sommes vus pour la première fois,
Et, dans King’s Cross mêlant ferrailles, pas et voix,
Reconnus dès l’abord sur notre bonne mine.

Puis, la soif nous creusant à fond comme une mine,
De nous précipiter, dès libres des convois,
Vers des bars attractifs comme les vieilles fois,
Où de longues misses plus blanches que l’hermine

Font couler l’ale et le bitter dans l’étain clair
Et le cristal chanteur et léger comme l’air,
– Et de boire sans soif à l’amitié future !

Notre toast a tenu sa promesse. Voici
Que vieillis quelque peu depuis cette aventure,
Nous n’avons ni le cœur ni le coude transi.

Q15  T14 – banv

Sa douceur qui n’est pas excessive, — 1889 (21)

Verlaine Dédicaces

à J-K. Huysmans

Sa douceur qui n’est pas excessive,
Elle existe mais il faut la voir,
Et c’est une laveuse au lavoir
Tapant ferme et dru sur la lessive.

Il la veut blanche et qui sente bon
Et je crois qu’à force il l’aura telle.
Mais point ne s’agit de bagatelle
Et la tâche n’est pas d’un capon.

Et combien méritoire son cas
De soigner ton linge et sa détresse,
Humanité, crasses et cacas.

Sans jamais d’insolite paresse,
O douceur du plus fort des J.-K.,
Tape ferme et dru, bonne bougresse !

Q63  T20  9s

COMME Proserpine avant sa destresse, — 1889 (20)

– in  Le Parnasse Breton contemporain

La Nismoise
sonnet deduict selonc le goust des vieulx françois, A Mme A. B,

COMME Proserpine avant sa destresse,
Comme Hebê, la gente aux yeux de velours,
Comme Amphitrite en ses glauques atours,
Comme l’Astartê, tant chière traistresse ;

Comme ung doulx perfum fleurant la tendresse,
Comme ung oyselet au tems des amours,
Comme ung guay soleil dorant les beaux jours,
Comme ung pur zephir, comme une caresse :

Par ainsy vrayment, reluysant dans l’air,
Engeole et seduict vostre soubris cler ;
Dessoubs le visaige on void briller l’ame.

Pour lors, ie me sens tout regoillardi.
Comme ung chat frileulx ronronne à la flamme,
Chaufant ma Bretaigne à vostre Midy.

Q15  T14 – banv –   déca  encore un essai terrifiant de pseudo vieux-français

TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes, — 1889 (16)

Louis Marsolleau in  Le Parnasse Breton contemporain

Sonnet en vert

TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes,
Ëmeraude , la fée au sourire pervers
Est debout, près de la source verte aux flots pers ,
Dans la forêt de jaspe aux fraîcheurs murmurantes.

Et sur le gazon vert que parfument les menthes ,
Le soleil , avec des rayonnements d’ors verts ,
Découpe sa dentelle adorable à travers
L’élan capricieux des feuilles frissonnantes.

Et toute la forêt éblouissante étreint ,
De l’intense reflet de sa verdeur divine ,
La verte fée aux yeux pâles d’algue marine.

Mais elle alors, ainsi qu’un rêve qui s’éteint.
S’évapore; et l’on voit, sous la charmille ouverte,
Flotter une nuée indescriptible et verte !

Q15  T30

Oh ! ne transigez pas, ayez de la rascasse, — 1889 (13)

Emile Bergerat La Lyre comique

La bouillabaisse

Oh ! ne transigez pas, ayez de la rascasse,
Du merlan, du saint-pierre et du rouget, assez
Pour un jeune requin. Parmi les crustacés,
Préférez la langouste à petite carcasse.

L’anguille ? … l’oublier serait un trait cocasse !
La sardine s’impose aux mollusque tassés ;
La cigale de mer poivre ces testacés
D’un arome enragé de poivre madécasse.

Or, sans ail, thym, fenouil, quatre épices, lauriers,
Oignons et céleris, jamais vous ne l’auriez !
Un zeste de citron délicat l’enjolive.

Quant au safran, maudit qui le dose ! … Raca
Sur l’huile qui n’est pas honnêtement d’olive !
Et quand on l’a mangée, on peut faire caca !

Q15  T14 – banv
RACA, mot inv.Vieilli – 2. Empl. interj. avec une valeur de commentaire affectif. [S’emploie pour manifester un profond dégoût, un grand mépris à propos de qqc.] Le droit, l’humanité, la justice… Raca! (PONCHON, la Muse au cabaret, 1920, p. 229).
TESTACÉ, -ÉE, adj. – 1. Qui est revêtu, couvert, muni d’un test (coque, coquille, carapace). Le foie est (…) très-volumineux dans les gastéropodes testacés, et y remplit (…) la plus grande partie des circonvolutions de la coquille (CUVIER, Anat. comp., t. 4, 1805, p. 151). Animaux ovipares et testacés, sans tête et sans yeux, ayant un manteau qui tapisse l’intérieur de la coquille (LAMARCK, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 314).

Les chiens perdus ont des fourrières ; — 1889 (12)

– Jules Jouy in Le Paris (d’après Patrick Biau, J.J. le ‘poète chourineur’)

Philosophe

Les chiens perdus ont des fourrières ;
Les cygn’ des boit’s sur leurs bassins ;
Les rodeurs de nuit, des carrières,
L’bagn’ sert d’hôtel aux assassins.

La nuit, au poste, les roussins
Ont d’quoi s’coucher sur leurs derrières ;
Les architect’s, pour un tas d’saints,
Ont creusé des nich’s, dans des pierres.

Eh bien, moi, pauvr’ vieux ouvrier,
Parc’ qu’on n’veut plus m’faire travailler,
J’peux mêm’ pas ronfler comm’ Gavroche !

Bah ! j’m’en fich’ d’avoir pas d’foyer ;
Car, si j’ai pas l’sou dans ma poche,
Au moins j’ai pas d’terme à payer.

Q11  T14 – octo Les vers sont comptés ‘oralement’ ce qui fait ‘peuple’. Mais Mr Jouy ne se permet pas de rimer un singulier avec un pluriel, ce qui est bien savant.

Le poupard était bon: le raille nous aggriffe, — 1889 (11)

Marcel Schwob Oeuvres de Jeunesse

L’emballage

Le poupard était bon: le raille nous aggriffe,
Marrons pour estourbir notre blot dans le sac.
Il fallait être mous tous deux comme une chiffe
Pour se laisser paumer sur un coup de fric-frac.

Nous sommes emballés sans gonzesse, sans riffe,
Où nous faisions chauffer notre dard et son crac
Chez le bistrot du coin, la sorgue, quand on briffe
En se palpant de près, la marmite et son mac.

Le mazarot est noir; pas de rouges bastringues,
Ni de perroquets noirs chez les vieils mannezingues;
Il faut être rupin, goupiner la mislocq.

Bouffer sans mettre ses abatis sur la table
Et ne pas jaspiner le jars devant un diable;
Nous en calancherons, de turbiner le chocq.

Q8 – T15  argot poupard : se dit d’un bébé grassouillet