Archives de catégorie : Genre des rimes

Since I left you mes yeux sont de mémoire. — 1970 (2)

Marcel Thiry Attouchements des sonnets de Shakespeare


CXIII – ‘Since I left you mine eye is in my mind’

Since I left you mes yeux sont de mémoire.
Vous me voilez la montagne ou la mer.
Laissez mes yeux attoucher cette moire
De nos instant dont j’abolis la mort.

A vous les yeux de ma secrète vue
Qui semblent voir le monde et n’ont que vous
Pour ciel, montange, et la mer, et la vie,
Et n’ont plus vu que vous since I left you.

Laissez que ma mémoire vous compose
Comme au matin l’arbre sort de la nuit;
Pendant qu’avec des vers aux doigts de rose,

Frère des yeux pour défaire la nuit,
Un lent Sonnet que le Temps vous dévoue
Change l’absence en essence de vous.

abab cdcd efef gg=shmall – disposition de rimes des sonnets de Shakespeare   déca – tr

Dans les roseaux le printemps se balance. — 1970 (1)

Lanza del Vasto Le Viatique, II


Printemps sur le marais

Dans les roseaux le printemps se balance.
Par-dessus les buissons, sur l’étang plat
La nue est plate avec de blancs éclats,
Le vent se lève et retombe en silence.

Le pas est mou, dans les joncs emmêlés,
Le sol mouillé, jetant sous les chaussures,
Un cri d’oiseau, glisse à la pourriture,
Un brouillard vêt les saules mutilés.

L’étang est plat, l’air veuf de voix humaines
Même de cloche, et sans une félure,
Et le regard à nul arbre ne mène

Nous marchons vite et cherchons les vrais champs
Car le printemps est mort ici: nature
Chante en ces lieux toute seule son chant.

Q63 – T24 – déca

Sur un monceau fuyant s’exerce ma chimère. — 1969 (7)

Joseph Djirian Kaléidoscope

L’écume

Sur un monceau fuyant s’exerce ma chimère.
Calme, calme la mer d’un bleu étourdissant,
Teinté par le soleil ; elle brasse le sang ;
Et mon âme s’émeut d’un parfum d’éphémère.

L’instant ce n’est qu’écume éjectée en dentelles
Qui se répand comme l’heur entravé. L’ardeur
De s’exalter ainsi que ces flots en fureur
Se pourchassant, hélas !, mais sans croiser leur zèle.

Tout bouillonne à souhait dans ce chaos sans bornes.
Ses crêtes se touchant, la frange qui les borne
Tisse le pavillon d’un royaume inconnu

Disputé par les flots. Illusion solitaire
Où baigne ma vigueur, qui teinte à son insu
L’élan fallacieux que la vie exaspère.

Une trouée en l’eau, la colombe s’immole
Quand d’ériger dessus, mon âme se console.

Q63  T14  -ff    16v

Le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse — 1968 (1)

Raymond QueneauBattre la campagne


L’instruction laïque et obligatoire

Le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse
car le soleil se tient bien haut sur l’horizon
de longues heures à sillonner les sillons
avant que cette étoile à l’ouest ne disparaisse

le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse
il s’arrête et se dit à quoi bon à quoi bon
j’aurais bien mieux fait de me casser le citron
pourquoi donc fallut-il que point ne m’instruisisse

le semeur qui se meurt se trouve pris d’angoisse
il n’a plus de temps pour avoir de l’instruction
et savoir s’il eut raison de dire à quoi bon

le semeur qui se meurt redevient philosophe
il reprend son chemin à travers les sillons
en distribuant son grain pour une autre moisson

Q15 – T29 –  y=x : c=a , d=b

Merci pour la Vérole et gardez le Pourboire. — 1966 (8)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Sonnet attribué

Merci pour la Vérole et gardez le Pourboire.
Je m’en vais vers là où on va.
J’ai des soucis, comme la Loire,
J’ai des sourcils froncés très bas.

Je vais, triste et certain des fruits de ma Victoire.
Je suis Vainqueur. Je ne sais pas de Quoi.
Vous êtes de passage au plafond de ma Gloire.
Les Manèges de la Graisse ont fait de nous Trois.

Trois par un puis par quatre et l’air
Pousse dans son trombone une expression divine.
Ce qui est noir ici par là-bas d’illumine.

On dirait la clarté; on dirait cet œil clair,
Et ce Spectacle aussi que mon regard termine:
L’Ovale Vérolé du Visage d’Hermine.

Q32 – T29 – 2m : octo: v.2, v.3, v.4, v.9 ; déca:v.6

L’ère des cuisiniers n’a plus rien à m’apprendre. — 1966 (7)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé

L’ère des cuisiniers

L’ère des cuisiniers n’a plus rien à m’apprendre.
Je sais comme eux choisir la viande la moins tendre
et la laisser après molle comme un tampon.
Ce que moi je leur fais et de moi ce qu’ils font.

J’en ai la clef. La boîte et le couvercle! – Entendre
complète ce qui parle; on traverse le pont
comme le pont, sous lui, laisse un fleuve descendre;
On monte et l’escalier qui descendait répond.

L’étage, le palier, la famille, la pause,
l’effet qui met son pied dans la main de la cause,
l’enfant qui fait un ventre au couple désuni,

ce qu’il faut, c’est le bruit de ce muet qui cause;
c’est cette main de mort sur notre amour puni:
La nuit, pareille au jour et pareille à la nuit.

Q2 – T8

Je ne prends pas ce que je touche — 1966 (6)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Je ne prends pas ce que je touche

Je ne prends pas ce que je touche
Mais je suis touché par milliers.
Je parle sans manger. Ma bouche
a ses pélicans familiers.

Mon seul œil a les cils pliés.
J’ai deux soleils, mais pour qu’ils louchent:
l’un se lève, l’autre se couche:
je reste assis sur mes souliers.

Je ne sais pas ce que me veulent
père et mère, fille et filleule,
la pesanteur ni les besoins.

Je suis divisé par mes nombres
comme la nuit l’est par les ombres,
comme le dé l’est par ses points.

Q10 – T15 – octo

L’océan mesuré sur quoi je règne en maître — 1966 (1)

Olivier LarrondeL’arbre à lettres

A ma plage

L’océan mesuré sur quoi je règne en maître
Va léchant tes longs pieds en plage surhumaine.
La minuscule tête ouverte à la fenêtre,
Lui garde tout pour lui sauf des vagues amènes.

Il garde la distance, un monde à ses fenêtres,
Des madrépores morts sans tombeau que lui-même;
L’intérieure plaie des coraux se démène
Dans l’absence d’échos sous sa robe de prêtre.

S’en veut-il ignorer la douce pourriture
Qu’un coup d’air fait entrer sous de moins souples fronts,
Qu’un ciel compréhensif par ses ors les moins dures

Eût en douceur brûlé tel un baiser d’affront,
Qu’il vide ses bruits purs et garde son silence
Pour t’y garder de soi en toute vigilance.

Q9 – T23

Pourquoi m’avoir donné rendez-vous sous la pluie? — 1965 (4)

Jacques Bens41 sonnets irrationnels


Antérimé

Pourquoi m’avoir donné rendez-vous sous la pluie?
Pourriez-vous patienter sous l’averse insolente?
A longs flots, le ciel noir se vide sur ma tête.

Faut-il vous espérer pour supporter cela?

A l’ombre des regrets je verrai ma patience
Pourrir tout doucement sans s’en apercevoir
Pourtant, je croyais bien que vous étiez sincère.
Allons, vous ne m’aimez pas comme vous le dites.

Faut-il vous supporter pour espérer cela?

Faute d’un peu d’amour mon âme se dessèche.
Avouez ce jeu cruel où vous vous complaisez,
Jeu de dupes qui fait se crisper les sourires.
Je m’excuse, mais je vais retirer mes billes.
Ah, vous regretterez cette pluie dans mon cœur.

Je ne hanterai plus les graves officines — 1965 (2)

Jacques Bens41 sonnets irrationnels


Nostalgique

Je ne hanterai plus les graves officines
Où mes amis, tout doucement, prennent racine,
Racines que j’envie sous mes airs fanfarons,

Car, au delà de tout, j’aime l’odeur des livres.

Si j’ai troqué la plume pour les moucherons
(C’est façon de parler, poétique et vaccine),
Si j’ai, dis-je, choisi le champ et les fascines,
Je n’ai pas renié mon sang d’écriveron:

Toujours, par dessus tout, j’aime l’odeur des livres.

Ah, connaître à nouveau ce monde qui m’enivre!
Retrouver, chaque jour, mes cousins correcteurs!
Renifler le parfum froid des clichés de cuivre!
Revivre, enfin, la vie qui déjà m’a fait vivre,
Et, parbleu, débarquer comme un triomphateur!