Archives de catégorie : Genre des rimes

Brr ! qu’il fait froid ! chère frileuse, — 1879 (23)

Alfred Aubert Caprices et boutades

Sonnet d’hiver

Brr ! qu’il fait froid ! chère frileuse,
Pose tes pieds sur le chenêts,
Tes pieds mignons que je connais
Etends-toi bien sur la causeuse .

Que les coussins ploient sous ton corps
Afin que d’une main fiévreuse
Je parcoure, ô mon amoureuse
L’écrin de tes tièdes trésors.

Depuis un mois pour toi, Ninette,
Ainsi qu’un pauvre anachorète
Je tiens bon devant Brididi*.

Le cœur si vite est refroidi !
Ravivons la chaude amourette
Depuis minuit jusqu’à midi.

Q52  T10 – octo

*Danseur professionnel

Lyon n’a point vu fuir la poésie : — 1879 (22)

Alfred Aubert Caprices et boutades
Trois sonnets à Pierre Dupont


I

Lyon n’a point vu fuir la poésie :
Pour sa noble muse en fidèle amant
Joseph Soulary taille un diamant,
Chef-d’oeuvre de style et de fantaisie.

Louisa Siefert, écrivain charmant,
Nous a dévoilé le cœur de la femme :
Doux rayons perdus, blessure de l’âme,
N’était-ce pas là l’éternel roman ?

Laprade, ébloui des clartés divines,
S’en va, que le jour rayonne ou décline,
Promener son rêve au sommet des monts,
Mais c’est ta chanson surtout qui reflète

L’esprit populaire et que nous aimons
O Pierre Dupont, immortel poète !

Q48  T14   tara

Le noir effondrement des ténèbres premières 1879 (21)

Charles Cros L’évocation des endormis

La chute

Le noir effondrement des ténèbres premières
S’accomplit. Et Satan, amoureux des lumières
Du punch, du vice impur et de l’orgie en rut,
Tomba du haut du ciel comme tombe un roc brut.

Il tomba si longtemps que les âges immenses
Sonnèrent tour à tour aux cloches des démences
Que Dieu mit çà et là dans l’espace sans bord.
Et plus bas que la vie, et plus bas que la mort,

Plus bas que le néant l’inaccessible cible,
Et plus bas que l’absurde et que l’inadmissible
Il tomba, ricanant de n’aller pas plus bas.

Il disait : C’est la fin des glorieux combats :
Il faut être vainqueur ou vaincu, mais bien l’être ;
L’esprit veut me tuer ? je vivrai par la lettre !

cas limite : on a quatorze vers plats, répartis, dans la page en 4+3+4+3 .

Les riens sont souvent bien des choses ! — 1879 (20)

L’Hydropathe

–       Georges Lorin

La cigarette

Les riens sont souvent bien des choses !
Et rien ne vaut ces riens de rien.
Cigarette, tu le vois bien,
Tu m’es plus chère que les roses.

Offerte, à titre de maintien
Par la saisisseuse de poses,
(L’effet est plus grand que les causes)
Désormais te voilà mon bien.

Je parle, je tourne, et t’oublie,
Je sors, dans un papier te plie,
Avec l’espoir de revenir.

En vain, tu veux être allumée,
Et t’évanouir en fumée,
De toi, je fais un souvenir.

Q15  T15  octo

L’aérostat est une bulle — 1879 (16)

Félicien Champsaur in L’Hydropathe

Voyage dans les airs

L’aérostat est une bulle
Et, lent, monte vers le soleil.
La brise d’avril, en éveil,
Au-dessous, dans la nue, ondule.

Il va, le ballon minuscule,
Monte dans le matin vermeil,
Rose, bleu, violet, pareil
A l’aile d’une libellule.

Le filet est tracé de fils
De la vierge, ténus, subtils.
Une étoile encore étincelle.

Il va, soutenant avec art
Un myosotis pour nacelle,
Et puis, dedans, Sarah Bernhardt.

Q15  T14 – banv –  octo Allusion au voyage en ballon de l’actrice, dont le récit avait été publié à l’occasion nouvel an par l’éditeur de Flaubert, Charpentier, à la place d’un des Trois Contes (St Julien l’hospitalier) initialement prévu. Flaubert s’en plaint dans une lettre à Tourgueniev.

Sa barbe est noire, noire, et son front haut, austère, — 1879 (15)

Grenot-Dancourt in L’Hydropathe

Portrait d’Emile Goudeau

Sa barbe est noire, noire, et son front haut, austère,
Son nez est ordinaire et son œil est hagard,
Il a l’esprit alerte et prompt comme un pétard,
L’hydropathe le craint, mais se tait, et vénère.

Il est bavard comme un portier de monastère,
Mais n’aime pas le bruit des autres, et sait l’art
D’apaiser la tempête avec un bolivard
Dont il couvre à propos son crâne âpre et sévère.

Il tient un peu de l’ours et du bâton noueux,
Oh ! c’est qu’un imbécile et moi, cela fait deux,
Dit-il, et devant lui l’hydropathe frissonne.

Il fait des vers qui sont beaux, si beaux que personne
Ne comprend. Il est dur mais noble, zinc, et beau.
Sur nos lèvres son nom vole. Hein ? oui …. c’est Goudeau.

Q15  T13

Quitte le restaurant discret, où vous soupâtes, — 1879 (14)

Jules Jouy in l’Hydropathe

Sonnet-programme

Quitte le restaurant discret, où vous soupâtes,
Niniche et toi, bourgeois vide et prétentieux,
Profitant du lorgnon que le vin sur tes yeux
Pose, viens avec moi t’asseoir aux Hydropathes.

Pourtant, avant d’entrer, un mot: que tu t’épates
Ou non, garde-toi bien de mots sentencieux
Devant ce défilé de profils curieux:
L’endroit est sans façons, on n’y fait point d’épate.

Certes, ne t’attends pas à trouver un goût d’eau
Au parlement criard que préside Goudeau,
Laisse à ton nez poilu monter l’encens des pipes;

Et – moins sot que Louis, aux canons bien égaux
Foudroyant les Teniers et leurs drôles de types –
Du cercle ‘Hydropathesque’ admire les magots.

Q15  T14 – banv

De ses cris Prométhée emplissait le Caucase; — 1879 (8)

– (Philibert Le Duc, ed) Sonnets curieux et Sonnets célèbres.

Prométhée et le vautour

De ses cris Prométhée emplissait le Caucase;
Et l’éternel vautour, à sa proie acharné,
Plongeant son bec vorace ainsi que dans un vase,
Buvait le sang au flanc du pâle condamné.

Le roc entier tremblait de son faîte à sa base
Sous l’effort convulsif du Titan enchaîné …
Quand tout à coup l’oiseau que la fureur embrase
Releva vers le ciel son long cou décharné.

Et le vautour cria d’une voix lamentable:
– Entendrai-je toujours cet être insupportable
Eternellement geindre et poser en martyr?

Pense-t-il, ici-bas, être seul à souffrir?
Et croît-il que ce soit un grand sujet de joie
De ne manger depuis six mille ans que du foie?

Gabriel Monavon

Q8 – T13

A minuit, je m’éveille, et, la tête obsédée — 1879 (7)

– (Philibert Le Duc, ed) Sonnets curieux et Sonnets célèbres.

Epithalame

A minuit, je m’éveille, et, la tête obsédée
Par les traits de l’enfant que j’épouse demain,
Je crayonne à tâtons quelque adorable idée,
Sur le premier papier que rencontre ma main.

Les rimes du bonheur pleuvaient comme une ondée!
J’en étais à ces mots: ‘ couronné par l’hymen,
L’amour est …’. Le sommeil me surprend en chemin,
Et la phrase expira, dans un rêve scandée.

Le jour enfin parait. Honte à l’amant qui dort!
Vite, achevons. Que vois-je? – O méprise risible!
J’avais écrit mes vers sur un billet de mort.

L’hémistiche, engagé dans le texte terrible,
Alignait, d’un seul trait, ces six mots alarmants:
 » L’amour est … décédé muni des sacrements« .

Joséphin Soulary

Q9 – T23