Archives de catégorie : Genre des rimes

Ô croisée ensommeillée, — 1873 (26)

Tristan Corbière   Les Amours jaunes

Sonnet de nuit

Ô croisée ensommeillée,
Dure à mes trente-six morts!
Vitre en diamant, éraillée
Par mes atroces accords!

Herse hérissant rouillée
Tes crocs où je pends et mords!
Oubliette verrouillée
Qui me renferme … dehors!

Pour Toi, Bourreau que j’encense,
L’amour n’est donc que vengeance? …
Ton balcon: gril à braiser? …

Ton col: collier de garotte? …
Eh bien! ouvre, Iscariote,
Ton judas pour un baiser!

Q8 – T15  7s

Et vous viendrez alors, imbécile caillette, — 1873 (25)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Bonsoir

Et vous viendrez alors, imbécile caillette,
Taper dans ce miroir clignant qui se paillette
D’un éclis d’or, accroc de l’astre jaune, éteint
Vous verrez un bijou dans cet éclat de tain.

Vous viendrez à cet homme, à son reflet mièvre
Sans chaleur … Mais, au jour qu’il dardait la fièvre,
Vous n’avez rien senti, vous qui – midi passé
Tombez dans ce rayon tombant qu’il a laissé.

Lui ne vous connaît plus, Vous, l’Ombre déjà vue,
Vous qu’il avait couchée en son ciel toute nue,
Quand il était un Dieu! … Tout cela – n’en faut plus. –

Croyez – Mais lui n’a plus ce mirage qui leurre.
Pleurez. – Mais il n’a plus cette corde qui pleure.
Ses chants … – C’était d’un autre; il ne les a pas lus.

Q55 – T15 exemple (rare) de sonnet non autonome : il suppose qu’on a lu le sonnet précédent

Comme il était bien, Lui, ce Jeune plein de sève! — 1873 (24)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Déclin

Comme il était bien, Lui, ce Jeune plein de sève!
Âpre à la vie Ô gué ! … et si doux en son rêve.
Comme il portait sa tête ou la couchait gaîment!
Hume-vent à l’amour! … qu’il passait tristement.

Oh comme il était Rien! … – Aujourd’hui, sans rancune
Il a vu lui sourire, au retour, la Fortune;
Lui ne sourira plus que d’autrefois; il sait
Combien tout cela coûte et comment ça se fait.

Son coeur a pris du ventre et dit bonjour en prose.
Il est coté fort cher… ce Dieu c’est quelque chose;
Il ne va plus les mains dans les poches tout nu …

Dans sa gloire qu’il porte en paletot funèbre,
Vous le reconnaîtrez fini, banal, célèbre …
Vous le reconnaîtrez, alors, cet inconnu.

Q55 – T15

J’ai vu le soleil dur contre les touffes — 1873 (23)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Duel aux camélias

J’ai vu le soleil dur contre les touffes
Ferrailler. – J’ai vu deux fers soleiller,
Deux fers qui faisaient des parades bouffes;
Des merles en noir regardaient briller.

Un monsieur en linge arrangeait sa manche;
Blanc, il me semblait un gros camélia;
Une autre fleur rose était sur la branche,
Rose comme … Et puis un fleuret plia.

– Je vois rouge… Ah oui! c’est juste: on s’égorge –
… Un camélia blanc – là – comme Sa gorge …
Un camélia jaune, – ici – tout mâché …

Amour mort, tombé de ma boutonnière.
– À moi, plaie ouverte et fleur printanière!
Camélia vivant, de sang panaché!
Veneris Dies 13 ***

Q59 – T15 – tara

Beau chien, quand je te vois caresser ta maîtresse, — 1873 (21)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

Sonnet à Sir Bob
chien de femme légère, braque anglais pur sang.

Beau chien, quand je te vois caresser ta maîtresse,
Je grogne malgré moi – pourquoi? – Tu n’en sais rien…
– Ah! c’est que moi – vois-tu – jamais je ne caresse,
Je n’ai pas de maîtresse, et … ne suis pas beau chien.

Bob! Bob! – Oh! le fier nom à hurler d’allégresse! …
Si je m’appelais Bob … Elle dit Bob si bien! …
Mais moi je ne suis pas pur sang. – Par maladresse,
On m’a fait braque aussi! … mâtiné de chrétien.

– Ô Bob! nous changerons, à la métempsycose:
Prends mon sonnet, moi ta sonnette à faveur rose;
Toi ma peau, moi ton poil! – avec puces ou non …

Et je serai sir Bob! – Son seul amour fidèle!
Je mordrai les roquets, elle me mordrait, Elle! …
Et j’aurais le collier portant Son petit nom.

British channel. 15 may.

Q8 – T15

Vers filés à la main et d’un pied uniforme, — 1873 (20)

Tristan Corbière Les Amours jaunes

I
Sonnet

Avec la manière de s’en servir
Réglons notre papier et formons bien nos lettres

Vers filés à la main et d’un pied uniforme,
Emboîtant bien le pas, par quatre en peloton;
Qu’en marquant la césure, un des quatre s’endorme ….
Ça peut dormir debout comme soldats de plomb.

Sur le railway du Pinde est la ligne, la forme;
Aux fils du télégraphe: – on en suit quatre, en long;
A chaque pieu, la rime – exemple: chloroforme.
– Chaque vers est un fil, et la rime un jalon.

Télégramme sacré – 20 mots – Vite à mon aide…
(Sonnet – c’est un sonnet – ) ô Muse d’Archimède!
– La preuve d’un sonnet est par l’addition:

– Je pose 4 et 4=8! Alors je procède,
En posant 3 et 3! – Tenons Pégase raide:
« Ô lyre! Ô délire! Ô… » – Sonnet – Attention!

Pic de la Maladetta. – Août.

Q8 – T15 – s sur s – On comparera ce ‘sonnet sur le sonnet’ de Corbière aux autres exemples contenus dans ce choix.

(a.ch)  » Dans son sonnet sur le sonnet, Corbière, horribile auditu, a fait un vers faux :
Je pose 4 et 4=8! Alors je procède, Même si on ne dit pas « égal » :
Je pose quatre et quatre : huit Alors je procède = 13 syllabes car huit a un h aspiré. Le vers n’est correct qu’oralement »

J’ai pénétré bien des mystères — 1873 (18)

Charles Cros Le coffret de santal

Heures sereines

J’ai pénétré bien des mystères
Dont les humains sont ébahis:
Grimoires de tous les pays,
Etres et lois élémentaires.

Les mots morts, les nombres austères
Laissaient mes espoirs engourdis;
L’amour m’ouvrit ses paradis
Et l’étreinte de ses panthères.

Le pouvoir magique à mes mains
Se dérobe encore. Aux jasmins
Les chardons ont mêlé leurs haines.

Je n’en pleure pas; car le beau
Que je rêve, avant le tombeau,
M’aura fait des heures sereines.

Q15 – T15 – octo  – Les rimes des deux quatrains n’ont pas la même consonne d’appui.

J’ai bâti dans ma fantaisie — 1873 (16)

Charles Cros Le coffret de santal

Sonnet

J’ai bâti dans ma fantaisie
Un théâtre aux décors divers:
– Magiques palais, grand bois verts –
Pour y jouer ma poésie.

Un peu trop au hasard choisie,
La jeune première à l’envers
Récite quelquefois mes vers.
Faute de mieux je m’extasie.

Et je déclâme avec tant d’art
Qu’on me croirait pris à son fard,
Au fard que je lui mets moi-même.

Non. Sous le faux air virginal
Je vois l’être inepte et vénal,
Mais c’est le rôle seul que j’aime.

Q15 – T15 – octo

Je crois que Mantegna vous a faite en peinture — 1873 (15)

Charles Cros Le coffret de santal

Sonnet
A Mademoiselle Nelsy de S.

Je crois que Mantegna vous a faite en peinture
Droite dans le gazon rare et les arbres fins,
Au bord d’une mer bleue, où, civils, des dauphins
Escortent des vaisseaux à la basse mâture.

Vous menez, garrotés d’une rouge ceinture,
Des amours; sans souci de leurs pleurs vrais ou feints
Vous rêvez des projets dont nul ne sait les fins,
Laissant vos cheveux d’or flotter à l’aventure.

Où, prêtresse venue avec les chefs normands,
C’était vous qui rendiez dociles et dormants,
Par vos chansons, les flots insoumis de la Seine.

Echappée à d’anciens tableaux, d’anciens romans,
Ainsi, votre beauté m’étonne, sur la scène
Du monde de nos jours, pauvre en enchantements.

Q15 – T7

Absurde et ridicule à force d’être rose, — 1873 (14)

Charles Cros Le coffret de santal

Révolte

Absurde et ridicule à force d’être rose,
A force d’être blanche, à force de cheveux
Blonds, ondés, crêpelés, à force d’avoir bleus
Les yeux, saphirs trop vains de leur métempsycose.

Absurde, puisqu’on n’en peut pas parler en prose,
Ridicule, puisqu’on n’en a jamais vu deux,
Sauf, peut-être, dans des keepsakes nuageux …
Dépasser le réel ainsi, c’est de la pose.

C’en est même obsédant, puisque le vert des bois
Prend un ton d’émeraude impossible en peinture
S’il sert de fond à ces cheveux contre nature.

Et ces blancheurs de peau sont cause quelquefois
Qu’on perdrait tout respect des blancheurs que le rite
Classique admet: les lys, la neige. Ça m’irrite!

Q15 – T30