Archives de catégorie : Genre des rimes

O vous qui dans ces vers dispersés par ma veine — 1851 (4)

Alfred de Martonne Les offrandes

Aux Lecteurs. Imité de Pétrarque

O vous qui dans ces vers dispersés par ma veine
Ecoutez les soupirs dont j’ai nourri mon coeur,
Aux jours de ma jeunesse, en ma première erreur,
Quand j’étais un autre homme et je portais ma chaîne.

Du style varié dont j’ai chanté ma peine
Et ma vaine espérance et ma vaine douleur,
O vous qui de l’amour avez senti l’ardeur
Vous me pardonnerez la faiblesse incertaine.

Hélas! je le vois bien à mes derniers instants;
Du monde entier je fus la fable trop longtemps,
Et de moi bien souvent je rougis, quand j’y songe.

De ma démence ainsi ma rougeur est le fruit;
Le repentir amer, comme un remords le suit:
Je le vois: ce qui plaît au monde n’est qu’un songe.

Q15 – T15 – tr (Pétrarque rvf 1) « Ces quelques sonnets », explique l’auteur,  » sont extraits de cinq gros volumes, qui contiennent plus de vingt mille vers dans tous les rythmes. L’auteur, après les avoir relus au moment de l’impression, et perdu toutes ses illusions sur leur mérite, et n’a osé livrer que cette faible partie à l’indifférence du public, après l’avoir arraché à la sienne propre.  »

Une deuxième édition, avec 55 sonnets (5 de plus), a paru en 1868, sous le titre Ludibria Ventis.

La Haine est le tonneau des pâles Danaïdes; — 1851 (2)

Baudelaire in Le Messager de l’Assemblée

Le tonneau de la Haine

La Haine est le tonneau des pâles Danaïdes;
La Vengeance éperdue aux bras rouges et forts
A beau précipiter dans ses ténèbres vides
De grands seaux pleins du sang et des larmes des morts,

Le Démon fait des trous secrets à ces abîmes,
Par où fuiraient mille ans de sueurs et d’efforts,
Quand même elle saurait ranimer ses victimes
Et pour les pressurer ressusciter leurs corps.

La Haine est un ivrogne au fond d’une taverne,
Qui sent toujours la soif naître de la liqueur
Et se multiplier comme l’hydre de Lerne.

– Mais les buveurs heureux connaissent leur vainqueur,
Et la Haine est vouée à ce sort lamentable
De ne pouvoir jamais s’endormir sous la table.

Q38 – T23 Les rimes b (-ides), et b’ (-imes) sont proches -Baudelaire marque déjà son goût pour les formules de tercets terminées par un couplet plat (T23, T30 surtout). Influence de son maître Gautier?

Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères, — 1851 (1)

Baudelaire in Le Messager de l’Assemblée

La mort des amants

Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,
Des divans profonds comme des tombeaux,
Et d’étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l’envie leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,
Nous échangerons un éclair unique,
Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux;

Et plus tard un Ange, entr’ouvrant les portes,
Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
Les miroirs ternis et les flammes mortes.

Q8 – T14 – tara

La nature est un livre où notre âme attendrie — 1850 (9)

Louis Dureau Poésies

Sonnet

La nature est un livre où notre âme attendrie
Peut lire sans effort de divines leçons :
Le ruisseau coule et dit : hommes, flots, nous passons :
L’oiseau nous dit : priez, quand sa voix chante et prie.

Quels doux enseignements dans une fleur flétrie,
Dans la rosée, et dans l’aurore et ses rayons ! …
Sur la pervenche bleue, au matin nous voyons
La goutte d’eau briller comme une pierrerie.

Dans leur frêle union, la rosée et la fleur
Confondent leur éclat, leur grâce et leur couleur ;
Mais quand l’une se meurt sur sa tige brisée,

L’autre en vapeur de feu monte au foyer du jour :
Abandonnant ainsi sa dépouille épuisée,
Mon ame montera vers Dieu, soleil d’amour.

Q15  T14 – banv

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E.M.P. Laas d’Agen Dictionnaire portatif … – le sonnet se compose rigoureusement de deux strophes de quatre, et de deux strophes de trois vers ; le tout en rimes croisées, la première féminine. Du reste, le poète peut choisir la mesure qui lui convient, pourvu qu’il la conserve jusqu’à la fin.

Le sonnet peut être en vers de douze, de dix, de huit ou de sept syllabes, mais les sujets nobles et sérieux n’admettent que le vers de douze, ou alexandrin.

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O chêne hospitalier ! dont le front séculaire — 1850 (8)

Juste-Urbanie Auvert Les primevères et les soucis

Le chêne

O chêne hospitalier ! dont le front séculaire
S’élance vers les cieux, et dont l’ombrage épais
Couronne ce vallon de fraîcheur et de paix,
Que j’aime à rechercher ton abri tutélaire !

Le voyageur y goute un repos salutaire
Qui n’a de ta bonté ressenti les effets ?
Et moi me souvenant toujours de tes bienfaits,
Je reviendrai m’asseoir sous ton toit solitaire.

Oui, je me plais à voir reverdir, au printemps,
Tes rameaux protecteurs, respectés des autans,
Oh ! que de ton beau tronc n’approche la cognée !

Que ne t’assaillent pas les rigueurs du destin !
Et que ta cime soit de la foudre épargnée !
Que le soir de tes ans ressemble à leur matin !

Q15  T14 – banv

Brûler, transir, oser, perdre courage, — 1850 (7)

– Général d’Alvimar Œuvres poétiques

Définition de l’amour. sonnet

Brûler, transir, oser, perdre courage,
Etre à la fois gai, triste, doux, fâcheux ;
Hautain, soumis, agréable, sauvage,
Extrême en tout, confiant, soupçonneux :

De la raison abhorrer le langage,
Traîner sa chaîne en gémissant honteux ;
Prendre à longs trait un poison pour breuvage,
Chérir son mal en le trouvant affreux ;

Vouloir jouir d’un bonheur impossible,
Croire le ciel dans un enfer horrible,
L’y rechercher en vain avec fureur ;

Ne voir qu’en beau l’objet qui tyrannise,
Craindre d’ouvrir les yeux sur son erreur :
Tel est l’amour, qui l’a connu le dise.

Q8  T14  déca

Bon lecteur, j’aurais pu t’offrir en ce volume, — 1850 (6)

Ernest Perrot de Chazelles Vers d’un flâneur

Sonnet au lecteur

Bon lecteur, j’aurais pu t’offir en ce volume,
Comme fait maint auteur que l’on trouve charmant,
Des pensers remâchés laborieusement
Et de grands vers pompeux martelés sur l’enclume .

Et j’aurais pu, suivant une vieille coûtume
Avec un art distrait flatter ton sentiment ;
Mais je suis jeune encor, et de plus, mal pensant :
Pour un pareil métier je n’ai pas pris la plume.

Bien que de réussir le moyen soit certain
Et qu’ainsi dans le monde on fasse son chemin
Je suis très éloigné de ce lâche système ;

Advienne que pourra, dussè-je n’être rien,
Je dis ce que je hais, je nomme ce que j’aime
Er n’ai d’autre souci que d’être homme de bien !

Q15  T7

Notre vie est semblable aux monts de Pyrénées ; — 1850 (5)

Armand de Flaux Nuits d’été

Sonnet

Notre vie est semblable aux monts de Pyrénées ;
Aux pieds naissent des fleurs dans toutes les saisons,
Et du haut des glaciers les neiges entraînées,
Coulent plus mollement sur des lits de gazons.

Des forêts de sapins sur leurs flancs inclinées,
A jamais, du soleil leur cachent les rayons,
Et, dans l’azur des cieux, leurs têtes couronnées
Sont éternellement couvertes de glaçons.

Ces gazons et ces fleurs n’est-ce pas la jeunesse ?
Ces forêts, d’un aspect plus grave et plus obscur
Dont l’oeil est attristé, n’est-ce pas l’âge mûr ?

Ces sommets dévastés, n’est-ce pas la vieillesse ?
Puis cette immensité des pics au firmament
N’est-ce pas de la mort le vide et le néant ?

Q8  T30

Toi, dont la vie errante est de charmes remplie, — 1850 (4)

Paul-Eugène Bache Les oranaises

La plume

Toi, dont la vie errante est de charmes remplie,
Plume, faisceau léger d’un duvet blanc et pur,
Dont le tube flexible au moindre vent se plie
Plissant tes fils d’argent de doux reflets d’azur.

Burin que l’oiseau porte en son aile assouplie,
Qui puises son éclat dans un liquide obscur,
Qui façonnes les mots en musique accomplie,
Dont le bec meurtrit mieux que le fer le plus dur ;

Toi, qui nages dans l’or, toi qui rases la terre.
Toi, qui vivant d’amour, de gloire ou de mystère,
Gémis en t’envolant comme un baiser d’adieu ;

Pourquoi n’écris-tu pas, quand de nos mains tu tombes,
Sur la page d’airain qu’on ferme sur nos tombes,
Au lieu d’un nom glacé, ce mot sublime : DIEU !

Q8  T15

Jusqu’à présent, lecteur, suivant l’antique usage, — 1850 (3)

Alfred de Musset Poésies nouvelles

Sonnet au lecteur

Jusqu’à présent, lecteur, suivant l’antique usage,
Je te disais bonjour à la première page.
Mon livre, cette fois, se ferme moins gaiement;
En vérité, ce siècle est un mauvais moment.

Tout s’en va, les plaisirs et les moeurs d’un autre âge,
Les rois, les dieux vaincus, le hasard triomphant,
Rosalinde et Suzon qui me trouvent trop sage,
Lamartine vieilli qui me traite en enfant.

La politique, hélas! voilà notre misère.
Mes meilleurs ennemis me conseillent d’en faire.
Etre rouge ce soir, blanc demain, ma foi, non.

Je veux, quand on m’a lu, qu’on puisse me relire.
Si deux noms, par hasard, s’embrouillent sur ma lyre,
Ce ne sera jamais que Ninette ou Ninon.

Q2 – T15