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Le presbythère n’a rien perdu de son charme, — 1973 (12)

OulipoLa Littérature potentielle

Jacques Bens

Trois sonnets irrationnels
I

Le presbythère n’a rien perdu de son charme,
Ni le jardin de son éclat qui vous désarme,
Rendant la main aux chiens, la bride à l’étalon:

Mais cette explication ne vaut pas ce mystère.

Foin des lumières qui vous brisent le talon,
Des raisonnements qui, dissipant votre alarme,
Se coiffent bêtement  d’un chapeau de gendarme,
Désignant là le juste, et ici le félon.

Aucune explication ne rachète un mystère.

J’aime mieux les charmes passés du presbytère
Et l’éclat emprunté d’un célèbre jardin;
J’aime mieux les frissons (c’est dans mon caractère)
De tel petit larron que la crainte oblitère,
Qu’évidentes et sues les lampes d’Aladin.

pour la définition du ‘sonnet irrationnel’ voir les exemples

Vous soupirez, bien sûr: « Ah, pas le pélican! » — 1965 (5)

Jacques Bens41 sonnets irrationnels

Théorisants, IV

Vous soupirez, bien sûr: « Ah, pas le pélican! »
…………………………… ces tripes à l’encan
ce flanc qu’on met en perce!

Laissez-moi z’ajouter: et surtout pas Claudel.

…    qui sur nous déverse
dans des vers trompetteurs la voix du Vatican!
….       je préfère Racan
………….     et même Perse.

………………. en aucun cas Claudel.

Cet ignorant qui ne sut pas faire un rondel
….. mieux fait de cacher sa manie
…… au tréfonds du Carmel,
son Père Eternel!
……………………….. ça, le génie?

Pourquoi m’avoir donné rendez-vous sous la pluie? — 1965 (4)

Jacques Bens41 sonnets irrationnels


Antérimé

Pourquoi m’avoir donné rendez-vous sous la pluie?
Pourriez-vous patienter sous l’averse insolente?
A longs flots, le ciel noir se vide sur ma tête.

Faut-il vous espérer pour supporter cela?

A l’ombre des regrets je verrai ma patience
Pourrir tout doucement sans s’en apercevoir
Pourtant, je croyais bien que vous étiez sincère.
Allons, vous ne m’aimez pas comme vous le dites.

Faut-il vous supporter pour espérer cela?

Faute d’un peu d’amour mon âme se dessèche.
Avouez ce jeu cruel où vous vous complaisez,
Jeu de dupes qui fait se crisper les sourires.
Je m’excuse, mais je vais retirer mes billes.
Ah, vous regretterez cette pluie dans mon cœur.

Je ne hanterai plus les graves officines — 1965 (2)

Jacques Bens41 sonnets irrationnels


Nostalgique

Je ne hanterai plus les graves officines
Où mes amis, tout doucement, prennent racine,
Racines que j’envie sous mes airs fanfarons,

Car, au delà de tout, j’aime l’odeur des livres.

Si j’ai troqué la plume pour les moucherons
(C’est façon de parler, poétique et vaccine),
Si j’ai, dis-je, choisi le champ et les fascines,
Je n’ai pas renié mon sang d’écriveron:

Toujours, par dessus tout, j’aime l’odeur des livres.

Ah, connaître à nouveau ce monde qui m’enivre!
Retrouver, chaque jour, mes cousins correcteurs!
Renifler le parfum froid des clichés de cuivre!
Revivre, enfin, la vie qui déjà m’a fait vivre,
Et, parbleu, débarquer comme un triomphateur!

Je vais donc retrouver mes anciens horizons, — 1965 (1)

Jacques Bens41 sonnets irrationnels

Mélancolique

Je vais donc retrouver mes anciens horizons,
Cette odeur pas perdue des vents et des maisons,
J’ai l’air d’abandonner, mais n’ayez nulle crainte:

Si je quitte Paris, c’est pour le mieux aimer.

On incline à brusquer une banale étreinte.
Mais que vaut cet orgueil qui n’est plus de saisons?
Allez donc réunir le cœur et les raisons.
La ville, en souriant, laisse sa rude empreinte:

Je vais vous retrouver, mes anciens horizons.

Vous mieux aimer, je ne pouvais y croire, mais
Je vois bien qu’aujourd’hui le présent nous emporte.
Il me faut, pour vous voir, m’éloigner quelque peu.
J’enferme mes regrets, puisque cela se peut,
Après avoir glissé ma clé sous votre porte.