Archives de catégorie : Variétés particulières

Respectez-la toujours cette forme que j’aime, — 1877 (2)

Henri-Charles ReadPoésies

Le sonnet
à ma soeur

Respectez-la toujours cette forme que j’aime,
Cette forme divine et pure qu’Apollon
Autrefois inventa dans le sacré vallon
Et qu’il fit resplendir d’une beauté suprême!

Sur ton front gracieux posons le diadème,
O sonnet, toi qui n’est ni trop court, ni trop long,
Qui tantôt es Zéphir et tantôt Aquilon!
Quel que tu sois, tu vaux toujours mieux qu’un poème.

Que de méchants auteurs t’ont péniblement fait,
Qui sans repos longtemps ont torturé leur tête
Pour mettre un avorton au jour, non un Sonnet;

La source vive sort, et, sans que rien l’arrête,
Des fentes du rocher s’élance d’un seul jet:
Ainsi tu dois jaillir de l’âme du Poète!

Q15 – T20 – s sur s

Le sonnet, cadre étroit, mais où la poésie — 1876 (14)

Eugène Lambert in L’Artiste

Le sonnet

Le sonnet, cadre étroit, mais où la poésie
Enferme avec amour, sans le faire éclater,
Tout ce qui charme : amour, foi, raison, fantasie,
Et vient en ce milieu charmant pour y chanter !

C’est tout ce qu’il concentre en sa forme choisie ;
C’est la parcelle d’or que l’art sait présenter
A son creuset, qu’informe encore, il a saisie
Pour en fait un bijou qu’un burin doit sculpter ;

Tous les parfums d’Asie, et que le Tigre arrose,
En une goutte d’ambre ou d’essence de rose ;
Tous les rayons qu’un prisme en lui peut réunit ;

C’est toute la rosée, en sa perle irisée ;
Et tous les sentiments en un seul souvenir,
Et qui d’un coin du cœur nous font un Elysée !

Q8  T14  s sur s

Mon esprit, sérieux et fils de la Réforme — 1876 (1)

Auguste CreisselsLes Tendresses Viriles – Sonnets –

Le Sonnet

Mon esprit, sérieux et fils de la Réforme
Aime, en vrai huguenot, le Sonnet dédaigné;
Car son double quatrain, droit, sévère, aligné,
Accepte pour son bien la rigueur de la forme.

Soumis aux mêmes lois, le tercet uniforme
Reste grave et solide au poste désigné;
On dirait des soldats d’Agrippa d’Aubigné
Maintenus au cordeau par Philibert Delorme.

Si des quatorze vers un seul quittait le rang,
L’esprit des francs-routiers, sur l’heure y pénétrant,
Ferait de ces héros des coureurs d’aventure;

La force du Sonnet exige un mouvement,
Discipliné, conduit comme un vieux régiment,
Sur un plan rigoureux de haute architecture.

Q15 – T15 – s sur s

Pourquoi dans un sonnet étrangler sa pensée ? — 1875 (10)

Eugène Roulleaux in Revue … de l’Ain

Sonnet sur le sonnet

Pourquoi dans un sonnet étrangler sa pensée ?
Si, pour quelque chef-d’œuvre, un beau cadre me plaît,
Je n’étreindrai jamais, sur l’étroit chevalet,
Comme un vil criminel, ma muse embarrassée.

Ce qu’il faut, une fois la rime égalisée,
Comme des ailes d’aigle – ou bien de roitelet,
Ce n’est pas qu’elle courbe, obséquieux valet,
Devant un fouet brutal sa grâce cadencée.

Son destin est le vol, libre, capricieux.
Qu’elle rase les eaux ! qu’elle aille au fond des cieux !
Qu’elle brise tout frein ! L’espace est son domaine.

L’univers est à toi ! Songe que c’est meilleur
Qu’un sonnet – vrai carcan – Poésie, ô ma reine,
Et ne va pas ramper aux pieds d’un rimailleur.

Q15  T14 – banv –  s sur s

Le Sonnet à la mode est, dit-on, revenu ; — 1875 (9)

Bernard Bonafoux Les nouveaux sonnets de Provence

Sonnet & chanson

Le Sonnet à la mode est, dit-on, revenu ;
J’en suis très-satisfait, et ce serait louable
Si comme nos aïeux on essayait, à table,
De le faire mousser à la fin du menu !

Il voulut déserter, – ce fut très-regrettable :
De se perpétuer il n’était pas tenu,
Mais puisqu’il nous revient comme un hôte connu,
Tachons que son succès soit à jamais durable.

La Chanson n’a pas craint de faire comme lui :
Elle nous a quitté, à bon droit elle a fui
Nos cœurs trop asservis à la vile matière.

Reviendra-t-elle un jour ? Ne désespérons pas
D’entendre nos enfants joindre, dans leurs ébats,
Le Sonnet amoureux à la Chanson guerrière.

Q16 T15  s sur s

Vous voulez un sonnet? – La chose est bientôt faite. — 1875 (6)

Gaston Schefer Premières poésies

A Mademoiselle X***

Vous voulez un sonnet? – La chose est bientôt faite.
Je vais vous en cuire un dans notre dernier goût,
Et je veux, en surplus, vous donner la recette
Pour toujours réussir ce précieux ragoût.

On prend pour un sonnet: un blanc rayon de lune,
L’aile d’un papillon, le pistil d’une fleur,
Un coquillage rose échoué sur la dune,
Et le brouillard léger d’une pâle vapeur.

Puis on mêle à cela, mais avec abondance,
Quelques larmes d’amour et de désespérance,
Un mot philosophique, un soupir de regret.

On parsème le tout de rimes flamboyantes,
On mélange avec art ces choses étonnantes,
Puis on ajoute un vers, et le sonnet est fait.

Q59 – T15 – s sur s

Sonnet, que me veux-tu? …. Tyran de ma pensée — 1875 (1)

Adrien Brun Sonnets

Au Sonnet

Sonnet, que me veux-tu? …. Tyran de ma pensée
Je t’obéis pourtant, je t’aime malgré moi.
Car la Muse est esclave en se livrant à toi,
Et de ton despotisme elle est presque offensée.

Quand vers son idéal elle s’est élancée,
Tout obstacle l’irrite, et la met en émoi,
Puis elle cède enfin à ta sévère loi;
Dois-je espérer, au moins, l’en voir récompensée?

Ainsi découragé d’avance, j’hésitais:
Dans mon timide essor soudain je m’arrêtais;
Ma main, plus d’une fois, avait jeté la plume.

Mais, pour me rassurer, le Sonnet repartit:
Achève, ami, crois-moi, ton modeste volume;
On passe dans la foule en se faisant petit.

Q15 – T14 – s sur s

Héléna, dans le pampre et les liserons bleux, — 1874 (22)

Gustave Mathieu in Revue du monde nouveau

Héléna changée en sonnet

Héléna, dans le pampre et les liserons bleux,
Lustrait ses cheveux roux !!! sous leurs touffes vermeilles
Plongeant ses doux rayons, le soleil, amoureux,
Des ses beaux seins mouvants titillait les merveilles.

Tout en fenêtre en face, un poëte envieux
La guettait l’œil en feu, du sang dans les oreilles !!!
Lors, des vers susurrant sous son cerveau fiévreux,
De s’élancer vainqueurs, essaimant comme abeilles …..

Les voilà s’acharnant à leur proie ; et le soir
L’astre jaloux, avant de s’abîmer, put voir
Lorgnant obliquement de la rive orangée,

Sous les baisers pourprés de quatorze grands vers,
Héléna, renversée et les yeux à l’envers,
Se tordre convulsive, en un sonnet changée.

Q8  T15  s sur s  (traitement assez étrange de ce thème)

Le sonnet est parfois en ses quatorze vers — 1874 (20)

Léon Duvauchel in L’Artiste

Sur le sonnet
Ma foi, c’est fait ! (Rondeau de Voiture)

Le sonnet est parfois en ses quatorze vers
Trop court pour contenir en entier ma pensée :
Alors, comme une barque au hasard balancée,
Elle chavire ou va, boiteuse, de travers.

Elle voudrait aussi pour bornes l’univers,
Lorsqu’aux mondes lointains elle s’est élancée,
Lorsqu’à la fiction je la vois fiancée,
Qu’elle s’est mis au front des diadèmes verts.

Souvent, hélas ! poète impuissant, infertile,
Le sonnet est trop long, et je n’ai pas rimé
Deux beaux quatrains jouant sur un sujet aimé ;

Et je te fâche alors d’un désir inutile,
Muse, tu ne veux pas ces jours-là m’écouter…
Pourtant j’en ai fait un … presque sans m’en douter !

Q15  T30  s sur s

Le terme est arrivé du compte de mes jours. — 1874 (13)

Cabaner Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Le poète mourant

Le terme est arrivé du compte de mes jours.
Dans un moment je vais pousser mes derniers râles,
J’entends un bruit confus de clairons, de cymbales,
De cloches, de tamtams, de fifres, de tambours.

Et j’écris mon dernier sonnet pendant ces courts
Instants. Déjà la Mort, à travers plusieurs salles,
Vient vers moi, déroulant dans ses longues mains pâles,
Un écrit que, cherchant des rimes, je parcours.

Mort! Mon sonnet sera comme un vase sans anses,
Si je ne peux finir les tercets ! mais cela
T’importe peu – Bourgeoise! – et toujours tu avances!

Je sens ton souffle impur … – qui donc l’achèvera
Ce sonnet. Moi? dussè-je au milieu des souffrances
Le terminer avec mon dernier soupir … Ha!

Q15 – T20 – s sur s