Archives de catégorie : Variétés particulières

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes, — 1991 (28)

Ivanhoe Rambosson in Le Saint-Graal

Les Possédés
à Rémy  de Gourmont

Ce matin morne où vous pensiez mourir, nos âmes,
En l’île de tristesse au fond des noirs jardins, –
Avec quel faste mortuaire nous allâmes
Vers la Tour de l’Aurore, où sont les paladins.

Quand on nous eut déclos l’huis d’or gardé de flammes,
Quand nous eûmes gravi les lumineux gradins,
Nous vîmes les guerrier du Christ et nous clamâmes :
Elus immaculés comme les séraphins,

Chevaliers, chevaliers, abolisseurs de sorts,
Belzébuth nous voudrait mener à mâle mort
Et nous vous conjurons en peur de nos folies

D’exorciser au nom du Verbe qui fut chair
Le succube égotant de nos mélancolies,
Qui nous pousse, perdus, vers le gouffre d’enfer !

Q8  T14  bi

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame, — 1891 (12)

Henri Meilhac Le concours de La Plume

Un sonnet, dites-vous, savez-vous bien, madame,
Qu’il me faudra trouver trois rimes à sonnet?
Madame, heureusement, rime avec âme et flamme
Et le premier quatrain me semble assez complet.

J’entame le second, le second je l’entame,
Et prends en l’entamant un air tout guilleret.
Car ne m’étant encor point servi du mot âme
Je compte m’en servir et m’en sers en effet.

Vous m’accorderez bien, maintenant, j’imagine,
Qu’un sonnet sans amour ferait fort triste mine,
Qu’il aurait l’air boiteux, contrefait, mal tourné.

Il nous faut de l’amour, il nous en faut quand même,
J’écris donc en tremblant: je vous aime, je t’aime,
Et voilà, pour le coup, mon sonnet terminé

Q8 – T15 – s sur s

O créer, avec fièvre un rien: quatorze vers — 1891 (11)

Le concours de La Plume

Gaston Sénéchal

Le Dahlia bleu

O créer, avec fièvre un rien: quatorze vers
Délicats, spéciaux, rares, heureux d’éclore;
Un bouquet effaçant, par le choix de sa flore,
La vieille rhétorique et les jeunes prés verts!

Y mettre le secret de mon coeur, comme Arvers,
Et les vocables doux par lesquels on implore,
Et sous un nom vraiment rythmique, Hélène ou Laure,
Oser vous y parler d’amour, à mots couverts.

Vous les liriez, non pas comme ceux qu’on renomme,
Comme les dieux, avec sollicitude, et comme
Ce sonnet sans défaut vaudrait bien un baiser,

Après l’avoir touché presque du bout des lèvres,
Vous iriez doucement, doucement, le poser,
Sur l’étagère où sont les coupes de vieux Sèvres.

Q15 – T14 – banv – s sur s

O mon noble pays ! ils avaient cru naguère, — 1890 (27)

Alcide Chapeau in L’Aurore

Patrie
Gloire à la France au ciel joyeux,
Si douce au cœur, si belle aux yeux,
Sol béni de la Providence,
Gloire à la France
P.DEROULÈDE

O mon noble pays ! ils avaient cru naguère,
Ces bandits d’Outre-Rhin, t’asservir à jamais ;
Des désordres sanglants de leur brutale guerre
Te croyant impuissante à supporter le faix !

Se ruant sur ton sol, et traitant de chimère,
De tes fils opprimés la gloire et les hauts faix,
Dans leur coupable orgueil, ils avaient cru sur terre
Anéantir jusqu’au nom si beau de français !

Forte de ton mandat, ô ma France adorée,
Va, poursuis ici-bas ta mission sacrée :
Tu ne saurais périr, flambeau du genre humain !

Aussi, vers le progrès qui grandit et féconde,
C’est toi, longtemps encor, qui conduira le monde,
Quoique puisse tenter l’audacieux Germain.

Q8  T15  bi  poème couronné au premier concours de l’Aurore

Elle tombe aussi finement — 1890 (6)

Alfred MigrenneLes moissons dorées

En voyant tomber la pluie

Elle tombe aussi finement
Que si c’était de la rosée,
Et la terre presque épuisée
S’en désaltère avidement.

De ma serre tout irisée
Des fleurs qui s’ouvrent par moments,
Le jasmin s’élève hardiment
Pour apparaître à ma croisée.

Demain les épis jauniront
Et gaîment des faucheurs iront
Les couper, puis les mettre en gerbe.

Car la pluie est à la moisson,
Ce que l’air est à la chanson
Et l’or du soleil à la gerbe.

Q16 – T15 – octo  – bi

Je n’en ferai qu’un seul ! il sera pour ta fête ! 1889 (31)

Louis Franc L’herbier

Sonnet unique

Je n’en ferai qu’un seul ! il sera pour ta fête !
Que de fois tu m’as dit, quand ce jour revenait,
« Eh bien ! trouverez-vous encore une défaite ?
Mon nom réclame un chant : s’il vous en souvenait !

Vous amant ! dont la plume et dont l’âme est muette !
Offrez-moi donc alors des bonbons en cornet.
Eh quoi ! pour inspirer n’ai-rien ? Vous poète !
Ah ! sauvez votre honneur au moins par un sonnet ! »

Le pourrai-je ? un sonnet c’est un bouquet de rimes !
Mais comment voir ta bouche ainsi traiter de frimes
Mon art et mon amour ! Au contraire dis-toi :

Ce lui fut une tendre et bien douce corvée !
Puis il brisa le moule après l’oeuvre achevée,
Pour qu’elle fût unique et n’appartînt qu’à moi.

Q8  T15  s sur s

L’Amour, entre deux madrigaux. — 1889 (19)

Henri Finistère in  Le Parnasse Breton contemporain

L’invention du sonnet

L’Amour, entre deux madrigaux.
De Pan raillait les vers rustiques :
— « Te tairas-tu, dieu des fagots,
« Depuis le temps que tu t’appliques

« A moduler sur tes pipeaux,
« Avec des sons mélancoliques,
« De monotones bucoliques
« Et de sempiternels rondeaux

— « Assez ! dit Pan, le front morose.
« Ferais-tu mieux, critique rose? »
L’Amour sourit d’un air moqueur,

Et de son carquois qu’il balance,
Comme un trait le Sonnet, s’élance…
Cupidon est toujours vainqueur.

Q9  T15  octo  s sur s

AMI , tu l’as voulu : je te fais un sonnet. — 1889 (18)

– in  Le Parnasse Breton contemporain

– Bernard d’Erm

Un sonnet

AMI , tu l’as voulu : je te fais un sonnet.
Rimer quatorze vers! Conçois-tu bien ma peine?
Me voilà du travail au moins pour la semaine.
En y songeant, déjà je me sens frissonner.

Du courage! Cherchons! Pourrai-je moissonner
Quelques mots pas trop creux, quelque parole saine?
Je veux aller au bout… Non! mon ardeur est vaine
Et Pégase a tôt fait de me désarçonner.

La chute était prévue et n’a rien qui m’étonne :
Rimer n’est pas mon fait; je rampe, je tâtonne,
Et pourtant je me mets la cervelle à l’envers.

Mais je ne puis finir, si les rimes fidèles
N’accourent avec toi pour terminer mon vers.
Oh! viens à mon secours, muse des Asphodèles

Q15  T14 – banv –  s sur s

Un trouvère ignoré fit le premier sonnet — 1889 (14)

Emile Bergerat La Lyre comique

Le sonnet du sonnet
A José-Maria de Hérédia

Un trouvère ignoré fit le premier sonnet
Vers le treizième siècle, à Palerme, en Sicile.
Sur les seins d’une dame, un thème difficile,
Il essayait une ode et s’y désarçonnait.

D’Orient, où tout rythme et toute chanson nait,
Survinrent deux ramiers las et sans domicile.
La belle, hospitalière à leur couple docile,
Les logea dans le nid au double coussinet.

Le poète accordait par des strophes jumelles
Les rumeurs des oiseaux aux soupirs de mamelles,
Telles que le poème en ses quatrains les a.

Le soir vint. Oppressés par l’amoureuse escrime,
Un pigeon s’assoupit, un téton s’apaisa,
Et le doux quatuor s’achève en tierce rime.

Q15  T14 – banv –  s sur s

Pour un civet, il faut un lièvre: — 1887 (6)

Le Chat Noir,

Armand Masson

Bouchée à la reine

Pour un civet, il faut un lièvre:
Il faut une idée au sonnet.
Prenez-là délicate et mièvre,
Un déjeuner de sansonnet.

Dans une coupe de vieux Sèvre
Faites-là fondre un tantinet
Avec ces mots doux à la lèvre
Où Benserade butinait.

Saupoudrez de rimes parfaites,
Poivre, piments, cannelle, et faites
Un trait précieux pour la fin:

Vous aurez une chose exquise,
Un plat de petite marquise,
– Bon pour les gens qui n’ont pas faim.

Q8 – T15 – octo  – s sur s