A
Caractéristiques de la forme-sonnet
§ 1 On peut reconnaître à la forme-sonnet quatorze caractères
1 1 On peut reconnaître à la forme-sonnet quatorze caractères qui lui donnent une position particulière parmi les formes poétiques attestées.
1 2 I-II-III Il s’agit d’une forme savante (I), essentiellement écrite (II) et récente (III)
1 1 Elle est inconnue de l’Antiquité classique comme du Moyen-âge européen et commence à apparaître en Sicile aux début du 13ème siècle
IV Sa durée de vie (IV) est très grande. Les premiers sonnets datent du treizième siècle et il s’en compose encore au début du vingt-et-unième. La forme-sonnet est une forme poétique (V) ancienne et contemporaine.
VI Le sonnet est présent dans la tradition poétique d’un grand nombre de langues. La forme-sonnet est quasi-universelle (VI). Les premiers sonnets , qui n’étaient pas, comme nous le verrons, encore des sonnets, étaient siciliens, et le sonnet est resté pendant plusieurs siècles pratiquement enfermé en Italie. Dès la Renaissance, une première vague d’emprunts le répand en Europe : des sonnets sont composés en espagnol, occitan, catalan, portugais, anglais, néerlandais, allemand, entre autres. Le sonnet conquiert ensuite les langues slaves, scandinaves, le hongrois… . Une deuxième grande vague universalisante l’amène à coloniser la plupart des langues de l’Europe.
III 1 La quasi-totalité des langues où existe le sonnet sont des langues alpha-bétiques. Mais on trouve, avant la Renaissance déjà, des sonnets en hébreu et il en existe aussi en japonais et en chinois dans les années vingt du vingtième siècle.
VII conséquence : la forme-sonnet a une Vocation à l’universalité (VII)
VIII La forme-sonnet, à toutes les époques et dans presque toutes les langues qu’elle conquiert présente une propriété très surprenante : une immense productivité. Elle a un très grand pouvoir multiplicateur (VIII). Il s’est écrit énormément de sonnets.
IX On a composé dans la forme-sonnet certains des poèmes considérés comme figurant parmi les plus beaux de la poésie universelle. Il n’est pas possible de ne pas tenir compte de ce fait dans une discussion de la forme. La forme-sonnet est une forme poétique de valeur exceptionnelle (IX). Dans leurs langues respectives, bien des sonnets comptent parmi les monuments les plus élevés de l’art de poésie (IX). Ce trait est généralement reconnu. On peut l’illustrer d’une manière très simple : par une liste de noms
IX 1 courte liste témoin
Du Bellay Ronsard Nerval Mallarmé
Cavalcanti Dante Pétrarque Rilke
Gongora Quevedo Camoëns
Shakespeare Donne Hopkins
X dixième caractère : un mystère formel (X)
Le sonnet est presque toujours présenté comme une forme fixe, étroitement contrainte. Cette affirmation se retrouve à tout moment de son histoire et de ses migrations. Elle est tantôt mise à son crédit, fait partie de son prestige ; tantôt au contraire on le lui reproche. Il est indéniable que, de siècle en siècle, et de langue à langue les sonnets conservent un air de parenté (et la même désignation).
XI Ils ont entre eux une ressemblance familiale (XI). Cependant, et c’est la un trait qui distingue fortement la forme-sonnet d’autres formes plus ou moins comparables (selon les critères précédents) comme le haïku japonais, la recherche de constantes formelles ne conduit à aucun résultat probant. En particulier, le trait qui est, spontanément, offert toujours comme constant et caractéristique, celui du nombre des vers du poème, supposé être, par définition, de 14, est une chimère. Des sonnets de Hopkins ont 11 vers (10 ½ selon son propre décompte !). il existe des sonnets français ou italiens qui ont beaucoup plus quatorze vers. Il est vrai que le nombre 14 joue un rôle essentiel dans la forme, mais il ne peut servir à définir la forme.
XI 1 Il y a des sonnets de plus de 100 vers chez Murtola, dans sa polémique avec Marino, au début du 17èmesiècle ; 197 dans un sonnet du poète milanais Carlo Porta, vers 1810, …
1 3 Il est en fait impossible de trouver un trait (ou un ensemble de traits) de la forme-sonnet dont on puisse dire avec certitude : tous les sonnets et seuls les sonnets le présentent. Et on ne peut même pas atteindre une telle ‘fixité’ en se limitant à une langue, à une période historique limitée
1 3 1 Les tentatives de ce genre sont nombreuses
XII La pratique de la forme-sonnet comme jeu de langage (XII) est une forme de vie (XII)
1 4 XIII sans restreindre abusivement le champ de la forme et l’appauvrir dangereusement. Et ce n’est pas seulement le changement d’époque ou de langue qui amène une telle variabilité formelle (XIII) ; à l’intérieur d’une même tradition, d’une même génération de sonnetistes, on le rencontre encore. C’est pourquoi, au premier abord, le sonnet paraît ressemble beaucoup au célèbre Couteau de Lichtenberg.
XIV Hypothèse de singularité (XIV): la forme-sonnet est la seule forme poétique de la tradition mondiale de poésie à présenter les treize traits qui précèdent.
1 5 Le trait de variabilité formelle est un mystère formel (X) de première grandeur. Il demande, sinon à être élucidé, du moins à être reconnu et décrit. Le situation est paradoxale : les variations sont immenses, et en même temps le sentiment de parenté est grand. Cela laisse à penser qu’il y a, dans la forme-sonnet, sinon des constantes, du moins des quasi-constantes (le nombre 14 en est une, la plus évidente), qu’une étude attentive devrait mettre en évidence.
1 5 1 Un premier pas a été fait dans notre étude de 1990 : La forme du sonnet français de Marot à Malherbe (recherche de seconde rhétorique)
1 6 Je vais tenter d’aller plus loin dans ce cours.
B
Avant le sonnet
§ 2 La forme-sonnet est une des trois formes qui apparaissent dans la poésie italienne
2 1 La forme-sonnet est une des trois formes qui apparaissent dans la poésie italienne dans le deuxième quart du treizième siècle et qui représentent chacune une part de l’héritage formel de la poésie lyrique des Troubadours.
2 2 Ces trois formes sont :
a – la canzone
b- le sonnet
c – la sextine
2 3 La forme-mère est la canso, composée en provençal dans ce qu’on nomme aujourd’hui occitanie à partir de la fin du 11ème siècle.
2 4 Description sommaire de la forme-canso.
2 5 La canso est une forme poético-musicale qui se compose de deux éléments :
i un texte poétique
ii un texte musical
2 6 Le texte poétique est composé d’un nombre variable de coblas (strophes), suivies, en principe, d’une ou plusieurs tornadas (envois).
2 6 1 La tradition manuscrite, lacunaire, de la lyrique des Troubadours, ne permet pas d’affirmer que la présence de tornadas est obligatoire. Je l’admets cependant.
2 7 Chaque cobla d’une canso est caractérisée, en ce qui concerne son texte, par une double formule :
i – une formule métrique qui indique le nombre de positions métriques (syllabes) de chaque vers de la strophe.
ii – une formule de rimes qui note la succession des rimes dans la strophe.
2 8 Exemple 1 : canso de Bernart de Vent adorn, deux premières strophes
E7
Ab joi mou lo vers e·l comens,
et ab joi reman e fenis;
e sol que bona fos la fis,
bos tenh qu’er lo comensamens.
per la bona comensansa
mi ve jois et alegransa;
e per so dei la bona fi grazir,
car totz bos faihz vei lauzar al fenir.
Si m’apodera jois e·m vens:
meravilh’ es com o sofris
car no dic e non esbruis
per cui sui tan gais et jauzens;
mas greu veiretz fin’ amansa
ses paor e ses doptansa,
c’ades tem om vas so c’ama, falhir,
per qu’eu no·m aus de parlar enardir.
traduction anglaise
E7,a
With joy I take my pen in hand,
with joy I write and end my song
and if the end at least is good
it seems to me I started well:
therefore by the good beginning
I have joy and jubilation,
so that I welcome all good endings now
and all good deeds I’ll welcome at the end.
Joy overcomes and conquers me,
it’s strange that I can stand it all:
that I don’t speak and shout about
the one who makes me joyous now:
but true love comes, not so lightly
without fear and with no doubting;
we always fear that what we love may fail,
so I don’t dare to stir myself to speak.
2 9 La formule métrique est
8 8 8 8 7 7 10 10
2 9 1 Le compte des syllabes se fait jusqu’à la dernière syllabe accentuée
2 10 La formule de rimes s’écrit de la manière suivante : la première rime est notée ‘a’ ; chaque fois qu’on change de rime, une nouvelle lettre est introduite.
2 11 Donc, dans l’exemple 1 :
a b b a c c d d
2 12 Règle 1 : La formule de rimes est la même pour toutes les coblas d’une canso
2 13 La règle précédente vaut pour l’espèce des rimes, non pour les timbres qui les réalisent. Il peut être le même pour les autres strophes
2 13 1 ou certaines d’entre elles seulement. Il y a tout un jeu sur les reprises et variations de timbres que je ne développerai pas.
2 14 La suite des timbres est ici
rime a : ens rime b : is rime c : ansa rime d : ir
2 15 Exemple 2 : de Marcabru (strophes 1 et 2)
2 16
E8
A la fontana del vergier,
On l’erb’ es vertz jost·l gravier,
A l’ombra d’un fust domesgier,
En aiziment de blancas flors
E de novelh chant costumier,
Trobei sola ses companhier,
Selha que no vol mon solatz.
So fon donzelh’ab son cors belh
Filha d’un senhor de castelh;
E quant ieu cugei que l’auzelh
Li fesson joi e la verdors,
E pel dous termini novelh,
E quez entendes mon favelh,
Tost li fon sos afars camjatz.
E8,a
2 16 1 traduction anglaise
Down by the garden-fountain, there
where grass grows green to gravel-walk,
beneath the fruit-tree, in its shade
white flowers that charm us, in a plot,
and with the season’s latest song,
I met alone, companionless,
the one who won’t converse with me.
She was a shapely damsel, and
the daughter of a castle’s lord,
and when I thought the greenery
and birdsong filled her quite with joy,
as the new season was at hand,
I thought that she would hear my pleas
and her expression soon would change.
2 17 Formule de rimes et timbres des deux strophes dans l’exemple 2
a a a b c c d
iers ors atz
elh ors atz
2 18 Le timbre des rimes ‘b ‘et ‘c’ n’a pas changé, mais le timbre de la rime ‘a’ n’est plus le même
2 19 Si les timbres des rimes sont les mêmes pour toutes les strophes, la canso est dite unisonans. C’est le cas dans l’exemple 1, pas dans l’exemple 2. S’ils changent de strophe en strophe, elle est dite singulars
2 20 Exemple 3 : d’Arnaut Daniel (strophes 1 et 2 )
2 21
E9- E9,a
Quan chai la fuelha
dels aussors entressims
el freg s’erguelha
don seca ‘l vais e’l vims,
del dous refrims
vei sordezir la bruelha:
mais ieu sui prims
d’Amor qui que s’en tuelha.
2 21 1
When the leaf sings
from the highest peaks
and the cold raises,
withering the kernel and willow,
of its sweet refrains
I see the wood grow dumb;
but I’m close to love,
whosoever might leave it.
2 22
Tot quan es gela,
mas ieu no puesc frezir
qu’amors novela
mi fa’l cor reverdir;
non dei fremir
qu’Amors mi cuebr’em cela
em fai tenir
ma valor em capdela
2 22 1
Everything is iced,
but I cannot freeze
because a love affair
makes my heart lush again;
I should not shake,
because Love covers and hides me
and makes me preserve
my merit, and leads me.
2 23 La formule des rimes et les timbres des deux strophes de l’exemple 3 sont
a b a b a b a
elha ims
ela ir
Les rimes de la première strophe ont été renouvelées pour la seconde.
2 24 Règle 2 : La mélodie d’une canso est la même pour toutes les coblas.
2 25 La musique assure l’unité de la canso.
2 26 Les cansos comportent un nombre variable de coblas
2 27 Au moins deux. Une cobla isolée, soit volontairement, soit par lacune de la tradition manuscrite se nomme cobla esparsa.
2 25 1 Les termes techniques utilisés pour la description proviennent en partie d’un recueil tardif, du 14ème siècle, postérieur à l’âge du trobar, les Leys d’amors
2 28 Une cobla esparsa est la première strophe d’une canso potentielle.
2 29 Elle ne doit pas être considérée comme close mais comme virtuellement prolongeable en une canso
2 29 1 tanka/haiku
2 30 Une canso s’achève en principe par un ou plusieurs ‘envois’, les tornadas, qui contiennent des vers dont la formule reproduit un segment final de la formule de la canso.
2 31 L’envoi est une adresse, soit à la dame dédicataire du chant, désignée sous son nom secret, le senhal, soit à un seigneur-mécène, soit à un autre troubadour, comme dans l’exemple suivant, ou Bernard de Ventadour envoie sa canso à Rainbaud d’Orange, sous le pseudonyme de ‘Tristan’
2 32
E10-E10,a
Can vei la lauzeta mover
De joi sas alas contra’l rai,
Que s’oblid’ e’s laissa chazer
Per la doussor c’al cor li vai,
Ai! Tan grans enveya m’en ve
De cui qu’eu veya jauzion!
Meravilhas ai, car desse
Lo cor de dezirer no’m fon
2 32 1 When I see the lark break its wings against a sunbeam, forget itself, and fall from that sweet joy that pierces the heart, O—my own could melt, envying all those I see rejoicing.
…….
2 33
Tristans, ges non auretz de me,
Qu’eu m’en vau, chaitius, no sai on.
De chantar me gic e’m recre,
E de joi e d’amor m’escon.
2 33 1 You’ll hear nothing more from me, Tristan— I am broken, and I know not where I go. I have no more songs to sing. I hide myself from love and joy.
§ 3 La canso, forme maîtresse du trobar
3 1 L’Art des Troubadours se nomme le trobar.
3 1 1 ‘trobar’ : trouver. Les Troubadours sont ceux qui trouvent. Ce qu’ils trouvent est le chant : chan
3 2 Il s’exprime en premier, disons primordialement, dans la canso, qui est la forme reine de leur art.
3 3 La canso a un sujet, thème, contenu, sens unique, qui est l’amour : Amors.
3 4 Amors inspire la canso. La canso ne parle, ne chante que de cela.
3 5 Qu’est Amors ? ce que dit, chante la canso. Il n’y a pas de définition de l’amour selon les Troubadours, de la forme d’amour qu’ils inventent, disent et chantent, en dehors de la canso.
3 6 Voilà qui mérite un axiome
3 7
AXIOME 1
La canso dit et chante Amors en le chantant
3 8 Les cansos sont les plus importantes des compositions troubadouresques. Mais ce ne sont pas les seules. Les principales ‘non-cansos’ se nomment sirventes.
3 9 Règle 3 Les sirventes parlent de tout ce qui n’est pas amors
3 10 Règle 4 : tout sirventes emprunte sa forme (mélodie, formules de rimes et de mètres) à une canso préexistante
3 10 1 Le caractère lacunaire de la tradition fait que la Règle 3 n’est qu’une hypothèse.
3 10 1 1 La pseudo-étymologie qui explique sirventes comme ‘au service de la canso’ soutient l’hypothèse
3 11 Le trobar pratique aussi un genre dialogué, la tenso (tenson). Il se joue à deux généralement, parfois à trois.
3 12 Règle 5 La forme d’une tenso est la même que celle d’une canso préexistante
3 11 1 Pour la même raison que précédemment cette règle n’est qu’une hypothèse
3 12 Exemple 4 : deux premiers échanges d’une tenson entre Giraut de Bornelh et Raimbaut d’Aurenga (Raimbaud d’Orange)
3 12
E11
Era.m platz, Giraut de Bornelh,
Que sapcha per c’anatz blasman
Trobar clus ni per cal semblan.
Aisso.m diatz Si tan prezatz
So que vas totz es comunal!
Car adonc tuch seran egal.·
Senher Linhaure, no.m corelh,
Si quecs se trob’a so talan!
Mas me eis volh jutjar d’aitan
Qu’es mais amatz
Chans e prezatz,
Qui.l fai levet e venansal,
E vos no m’o tornetz a mal·
Giraut, no volh qu’en tal trepelh
Torn mos trobars quez om am tan
L’avol co.l bon e.l pauc co.l gran.
Ja per los fatz Non er lauzatz!
Car no conoisson ni lor chal
So que plus char es ni mais val.·
Linhaure, si per aisso velh
Ni mo sojorn torn en afan,
Sembla que.m dopte de mazan
A que trobatz, Si no vos platz
C’ades o sapchon tal e cal
Que chans no port’altre chaptal.·
E11a
« Il me plaît aujourd’hui de savoir Guiraut de Borneil, Pourquoi vous blâmez La poésie « fermée » et selon quelle apparence. Et dites-moi Si vous estimez Tout ce qui est commun à tous, Car alors tous les poètes seront égaux. » « Messire Linhaure, je ne me plains pas De voir chacun versifier selon son goût; Mais je veux me juger moi-même selon ce principe: Que chant est plus aimé Et plus estimé, Quand on le fait facile et simple. Ne m’en veuillez pas de cette déclaration. » « Guiraut, je ne souhaite pas que ma poésie Retourne en telle cohue où l’on aime autant Le mauvais que le bon et le petit que le grand. Jamais les sots Ne la loueront, Car ils ne connaissent pas, et peu leur importe, Ce qui est plus précieux et vaut davantage ». « Linhaure, si pour cette poésie (difficile) Je veille et change mon divertissement en fatigue, Il semble bien que pour elle j’aie peur du bruit de la critique. Pourquoi faites-vous des vers S’il ne vous plaît point Que tel ou tel les sache tout de suite? La poésie ne rapporte pas d’autre profit! … Traduction Jean Audiau et René Lavaud.
3 13 Le texte est monométrique, en vers de 8 syllabes. La formule de rimes est a b b c d d
§4 Les trois axiomes de la canso
4 1 En plus de l’AXIOME 1 ci-dessus, la forme-canso est soumise à deux autres principes
4 2 AXIOME 2, axiome de renouvellement :
Deux cansos distinctes ont des formules distinctes
4 3 La différence peut porter sur la mélodie, la formule métrique ou la formule de rimes, ou deux d’entre ces constituants, ou les trois
4 3 1 On peut, en fait, considérer que cet axiome, en fait, résulte de la définition même de la canso, est donc, en fait, un théorème qui s’en déduit :
4 3 2 L’amour doit être nouveau toujours, neuf, novel ; le chant par conséquent doit avoir cette propriété.
4 3 3 Donc, toute canso doit avoir quelque chose de nouveau.
4 3 4 Or, ce qui appartient en propre à une canso, c’est sa formule.
4 3 4 1 Et cela seulement. Le ‘contenu’ est toujours le même
4 3 5 Il s’ensuit que toute canso doit se distinguer de toute autre par sa formule. Toute canso doit avoir une formule originale.
4 4 Le nom d’axiome de renouvellement traduit le fait qu’un troubadour, au moment de composer une canso, doit tenir compte de toutes les cansos antérieures et ne pas reproduire une formule déjà employée par un collègue. Le trobar se renouvelle dans cesse et le nombre des formules distinctes augmente.
4 5 On a conservé à peu près 2600 textes de troubadours. Les formules de rimes que présente le Répertoire métrique des Troubadours d’Istvan Frank sont presque 900. C’est dire la pertinence de l’axiome de renouvellement.
4 6 Les cansos ne sont pas de valeur égale. Certaines sont considérées comme méritant plus de gloire que d’autres, parce qu’elles chantent mieux que d’autres amors.
4 7 Comment reconnaître la valeur d’une canso ? par le nombre de celles qui l’imitent, qui reproduisent un ou plusieurs éléments de sa formule.
4 8 AXIOME 3, Axiome du Pretz (prix)
La valeur d’une canso se mesure au nombre de cansos qui l’imitent.
4 8 1 En se limitant aux formules de rimes, et en notant P le nombre de textes qui ont la même, les 5 plus importantes sont les suivantes
E12
Formule P
abbaccdd 306
ababccdd 112
abbacddc 92
abbaccddee 70
ababcddc 37
ababcdcd 26
ababccddee 25
4 8 1 1 Remarque : le Pretz de la formule abababab n’est que 6, celui de abbaabba, 9. C’est peu
§5 Trobar clus, trobar leu
5 1 Dans l’exemple 4 (cité en 3 12 ) Raimbaud d’Orange et Giraut de Bornelh polémiquent, ‘tensonnent’ sur un sujet qui est une constante dans l’histoire de la poésie : la question de l’obscurité.
5 2 Il y a deux stratégies, deux ‘lignes’ dans le trobar, que les Troubadours eux-mêmes ont nommées : l’une est le trobar leu, la ‘parole claire’, sans artifices, sans complications formelles ; l’autre, le trobar clus, et sa variante, le trobar ric, la ‘poésie fermée’, faite de recherches de rimes, de ‘performances’ combinatoires, d’images inhabituelles. Le maître reconnu du clus est Raimbaud d’orange, et son disciple le plus fameux Arnaut Daniel.
5 2 1 Immortalisé par Dante, dans la ‘Comedia’, d’une manière spectaculaire : il le fait parler 8 vers en provençal.
5 2 1 1 Au chant XXVI du Purgatoire. Arnaut est tout prêt de la rivière
5 2 1 1 1 l’arno ?
spéculation folle de dragoneti
5 2 1 2 qui, franchie, le mènerait au Paradis. Mais il doit, cependant, être puni, et souffrir parmi les ‘luxurieux’. Dans ne badine pas avec ses maîtres et ses rivaux, même quand il leur rend hommage.
5 2 1 2 1 Il jette en Enfer Brunet Latin, dont le crime fut, lui florentin, d’écrire en frznçais
5 2 2 Hommage étonnant de la part d’un poète qui a tant fait pour établir sa version de l’italien, le parler florentin, au détriment des autres langues, particulièrement la langue par excellence de la poésie et de l’amour en son temps, la langue des Troubadours, la langue d’oc.
5 2 2
E13
Tant m’abellis vostre cortes deman
Qu’ieu no me puesc ni voill a vos cabrire.
Ieu sui Arnaut que plor e vau cantan ;
consiros vei la passada folor
e vei jausen lo joi qu’esper deman.
Ara vos prec per aquella valor que
vos guida al som de l’escalina,
soventra vos a temps de ma dolor.
E13a
Tant me plaît votre courtoise demande
que je ne veux ni ne peux me cacher à vous.
Je suis Arnaut qui pleure et vais chantant ;
je vois dans ma tristesse ma folie passée
et vois dans le plaisir la joie qui m’attend.
Je vous prie maintenant, par cette vertu
qui vous guide au sommet de la pente,
qu’il vous souvienne à temps de ma douleur.
5 2 2 1 pas géniaux, ces vers, mais linguistiquement compétents
5 2 3 Les trois mots ‘ieu sui Arnaut » font allusion à trois vers fameux du troubadour
5 2 4
E14
ieu sui Arnautz qu’amas l’aura
chatz la lebre con lob ou
e nadi contra suberna
E14a
5 2 4 1 je suis Arnaud qui amasse le vent / chasse le lièvre avec le bœuf / et nage contre le courant
5 3 Exemple 5, d’Arnaut Daniel
5 4
E15
L’aur amara
fa’ls bruels brancutz
clarzir,
que’l dous’espeis’ab fuelhs,
e’ls letz
becx
dels auzels ramencx
te babs e mutz,
pars
e non pars,
per que m’esfortz
per far e dir
plazers
a manhs per lei
qui m’a virat bas d’aut,
don tem morir
si l’afans no m’asoma.
5 4 1
E15a
The bitter air
makes those bough-laden woods
barren,
which the sweet one thickens with leaves,
and the gleeful
beaks
of the wandering birds
it keeps stammering and dumb,
couples
and single ones,
therefore I endeavour
to act and speak
pleasantly
to many for the sake of her
who has cast me low from high,
for whom I dread to die
if my grievance isn’t eased.
5 5 Le trobar clus ne dit pas autre chose que le trobar leu, que ce que dit tout le trobar, amors, l’amour. Une de ses tactiques préférées est le recours aux mots, aux sons, mètres et rimes complexes ou rares, à des cuisines savantes, « confitures exquises aux bons poètes » (Rimbaud).
5 5 1 pexa et irsuta Sola etenim pexa irsutaque urbana tibi restare videbis, que nobilissima sunt et membra vulgaris illustris.
5 Et pexa vocamus illa, que trisillaba, vel vicinissima trisillabitati, sine aspiratione, sine accentu acuto vel circumflexo, sine z vel x duplicibus, sine duarum liquidarum geminatione vel positione inmediate post mutam, dolata quasi, loquentem cum quadam suavitate relinquunt: ut amore, donna, disio, vertute, donare, letitia, salute, securitate, defesa.
6 Irsuta quoque dicimus omnia preter hec, que vel necessaria, vel ornativa videntur vulgaris illustris. Et necessaria quidem appellamus que campsare non possumus; ut quedam monosillaba, ut sì, no, me, te, se, a, e, i, o, u, interiectiones, et alia multa. Ornativa vero dicimus omnia polisillaba que mixta cum pexis pulcram faciunt armoniam compaginis, quamvis asperitatem habeant a dspirationis, et accentus, et duplicium, et liquidarum, et prolixitatis; ut terra, honore, speranza, gravitate, alleviato, impossibilità, impossibilitate, benaventuratissimo, inanimatissimamente, disaventuratissimamente, sovramagnificentissimamente, quod endecasillabum est. Posset adhuc inveniri plurium sillabarum vocabulum, sive verbum; sed quia capacitatem nostrorum omnium carminum superexcedit, rationi presenti non videtur obnoxium, sicut est illud honorificabilitudinitate, quod duodena perficitur sillaba in vulgari et in gramatica tredena perficitur in duobus obliquis.
7 Quomodo autem pexis irsuta huiusmodi sint armonizanda per metra, inferius instruendum relinquimus. Et que iam dicta sunt de fastigiositate vocabulorum, ingenue discretioni sufficiant.
5 6 Mais l’essentiel du style clus est d’ordre stratégique.
5 6 1 stratégie qu’on peut reconnaître ailleurs que dans le trobar, en d’autres moments de la poésie, un concept esthétique fondamental.
5 7 La clef de la manière « clus » est l’entrebescar, ‘entrelacement’.
5 8
E16 – Bernart Marti lo Pintor
C’aisi vauc entrebescant
los motz e·l so afinant:
lengu’entrebescada
es en la baisada.
E16a
Ainsi je vais enlaçant
Les mots et purifiant les sons
Comme la langue s’enlace
A la langue dans le baiser
§6 La Sur-règle du Trobar
6 1 Qui examine l’ensemble des manifestations de l’art des Troubadours, dont ce qui précède n’est qu’un exposé rapide et sommaire, se rend compte qu’un principe général y est à l’œuvre, que je nommerai la E17 Sur-règle du Trobar
6 2 Toute caractéristique du trobar est nécessairement niée dans le trobar.
6 3 Développons un peu, en considérant 9 cas. La liste n’est pas exhaustive.
6 4 (i) La canso est dédiée à l’amors ; chaque canso dit l’amour du troubadour pour une dona (dame). Mais : Le sirventes, qui a les mêmes caractéristiques formelles s’occupe d’autre chose.
(ii) Les règles de la canso sont strictes : un certain nombre de coblas, sur la même mélodie, les mêmes formules métrique et rimique. Mais : le trobar connaît aussi le descort, où ces données changent de strophe en strophe
(iii) Dans une cobla, à chaque vers porteur d’une rime correspond, régulièrement, au moins un autre vers porteur de la même rime : Mais : dans la forme-canso apparaissent des cas où une rime, ou plusieurs, d’une strophe n’ont pas d’écho dans la même strophe. Ce sont les rimes estramps.
(iv) Un des principes de la poésie rimée est qu’on ne rime pas avec le même mot. Mais : dans certaines formules de rimes un timbre au moins est supporté par un mot-refrain
(v) La formule d’une canso est, en principe, définie d’une manière univoque : elle a une formule de rimes associée à une formule métrique. Mais : nombreuses sont les cansos qui peuvent être analysées suivant deux ou plusieurs formules. C’est la douloureuse question , gênante pour les métriciens, de la rime intérieure
(vi) La mélodie d’une canso comporte des répétitions mélodiques coïncidant avec les divisions du texte de la cobla génératrice. Mais : des mélodies n’ont pas ce caractère. C’est l’oda continua.
(vii) Dans une tenso deux troubadours (ou plus) polémiquent. Mais : certaines troubadours débattent, dans la forme-tenso, avec eux-mêmes.
(viii) la forme-canso suppose au moins deux strophes. Mais : certaines coblas sont esparsas, sans aucune suite.
(ix) La canso est aristocratique. L’amors n’est pas pour les ‘vilains’, les paysans. Mais : un type de non-canso met en scène troubadours et filles du peuple : c’est la pastorela (pastourelle). Il a ses propres caractéristiques formelles. Ainsi, il n’emploie pas le décasyllabe à rimes plates.
6 5 FAIT ESSENTIEL 1 : La sur-règle implique que dans chacun des cas cités, le trait d’opposition à la règle sera poussé, si possible, à l’extrême : pour (1), signalons un cas particulier marquant : Toute l’œuvre de Guilhem de Bergueda est composée de poèmes dont l’unique thème est la haine d’un seigneur, qui était son ennemi mortel. Pour (iii), la cobla dissoluta, où toutes les rimes sont estramps. (v) Une canso de Cerveri de Girona est en vers monosyllabiques. Mais on peut la reconstituer en une énorme quantité d’autres combinaisons avec rimes intérieures. Etc.
6 5 FAIT ESSENTIEL 2 : Le trobar disparu, la sur-règle que j’ai énoncée a continué à agir sur ses descendants.
§7 La ‘translation’ du trobar vers l’Italie, qui se produit dans les années 1220-1240
7 1 La ‘translation’ du trobar vers l’Italie, qui se produit dans les années 1220-1240
7 1 1 Un des derniers grands troubadours, Sordel (Sordello) est italien.
7 2 a eu des effets dévastateurs sur le trobar. Elle a détruit sa cohérence. L’importance de ce fait pour la compréhension de la poésie des héritiers siciliens et italiens des Troubadours a été et est encore, à mon avis, plutôt que sous-estimée par les spécialistes, presque entièrement méconnue. La filiation-transformation a été, même quand elle n’était pas excessivement minimisée ou niée, étudiée de manière locale, a porté sur tel ou tel aspect du traitement du trobar par ses héritiers, jamais globalement.
7 3 Je suis évidemment incapable de la faire moi-même. Je ne peux que signaler les problèmes qui découlent de la reconnaissance du caractère destructeur-reconstructeur de la translation.
7 4 Caractère 1 –
Disparition de la musique
7 5 Dans le champ poétique sicilien-italien la mélodie cesse de faire partie intégrante de la forme-poésie. La poésie, désormais est écrite. Même si la dimension orale demeure, comme pour toute poésie
7 5 1 Les quatre états d’un poème : La situation est en fait plus compliquée que la simple distinction oral/écrit. Je pense que s’y ajoute une opposition interne/externe; Autrement dit un poème a quatre états distincts: deux états externes, l’un écrit (poème sur la page) l’autre oral (poème porté par une voix). Les deux états peuvent être présents dans les exécutions et les lectures; l’un d’eux peut être secondaire, ou même omis (mais agit alors virtuellement). Il y a, et ce n’est pas le moins important, deux états internes; l’un est la voix de la poésie dans la tête, que je nomme l’état aural; l’autre est la page mentale, que je nomme l’état éQrit.. Il n’y a pas besoin de jouer la moindre comédie pour que dans la lecture silencieuse les quatre composantes interviennent (éventuellement l’une contre l’autre). Je pense qu’un poème qui n’est que sur la page, ou qui n’est que lu oralement n’existe pas. Il est immobile, oisif, inerte. Un poème n’a de réalité qu’une fois entré dans les têtes; et alors il est un objet, un corps à quatre membres, qui en plus ne restent pas les mêmes dans le temps.
7 6 Toute canzone, tout sonnet, tout sextine, toute ballata, n’importe quelle composition en une autre forme a nécessairement un état écrit.
7 7 Il s’ensuit qu’une attention devrait être portée à la façon dont les canzone, sonnets, sextines, etc. figurent sur les pages, d’un manuscrit, puis d’un livre imprimé.
7 8 Comme la plupart des textes de la période première de la poésie italienne n’ont été conservés que dans des manuscrits tardifs, il n’est possible de faire que des conjectures. Mais il faudrait au moins reconnaître l’importance du problème.
7 9 Hypothèse : La version écrite remplace la musique dans son rôle de garant de l’unité de la composition.
7 10 Caractère 2 – La nature ‘potentielle’ de la strophe isolée (esparsa) est oubliée
7 11 Elle est conçue comme autre chose qu’une première strophe possible d’une canso perdue ou à composer, mais comme le modèle possible d’une forme.
7 12 Le lien entre cobla et canso est ainsi dissous. Les deux ont êté ‘traduites’ de manière différente, et ont donné naissance à deux formes poétiques distinctes, en apparence sans grands rapports.
7 13 Dans ces conditions, comme il n’y a pas de prolongements supposés à la strophe isolée, comme elle est considérée comme normalement unique, et comme la poésie est rimée, il ne doit pas y avoir de vers sans rime ; pas de rime estramp.
7 14 Caractère 3 – Le jeu entre les deux principes, de Renouvellement et de Pretz cesse, au profit d’un principe dominant d’Originalité
7 15 Le principe d’originalité s’exerce dans une situation d’ignorance, de perte de mémoire du trobar. Même les plus érudits des poètes italiens du treizième siècle n’ont qu’une connaissance très partielle de la tradition provençale.
7 16 Caractère 4 – La sur-règle agit, mais de manière sporadique, partielle, et est le plus souvent interprétée de manière réductrice.
7 17 Caractère 5 – La parenté profonde d’origine entre les différents représentants de la diaspora troubadouresque n’est plus perçue par les poètes italiens
7 17 1 et très partiellement par les savants modernes
7 18 Caractère 6 – Un ambition de ‘sorpasso’ et partant d’effacement du trobar est à l’oeuvre, qui oppose les héritiers fidèles
7 18 1 ou qui s’efforcent de l’être, comme Guittone d’Arezzo
7 19 aux ‘novateurs’, ceux qu’on nomme les représentants du ‘dolce stil novo’. Dante en est le plus parfait représentant.
7 20 Caractère 7 – L’Amors des troubadours, traduit en Amore par Dante et les stilnovistes n’est pas seulement falsifié, affadi, pour des raison éthiques-théologiques
7 20 1 la condamnation de cette version profane de l’amour par l’archevêque de Paris en 1277 joue évidemment son rôle
7 21 Il est également victime d’un contresens touchant son caractère contradictoire mais unitaire. Le trobar fait se tenir ensemble, à l’aide du concept de mezura, les deux faces opposées d’amors, l’amour sublime et l’amour charnel. Dans la version sicilienne puis italienne, puis européenne de l’Amore, il y a au contraire presque toujours séparation absolue, opposition irréductible.
C
La Canzone
§8 La Canzone est l’héritière directe de la Canso
8 1 Elle en présente toutes les caractéristiques, à une exception près, mais de taille : la composante musicale a disparu.
8 2 Je ne vais pas faire l’étude formelle de la canzone. Je vais donner 2 plus 1 exemple
8 3
E18
Guido Guinizelli
Al cor gentil rempaira sempre Amore
come l’ausello in selva a la verdura;
né fe’ Amor anti che gentil core,
né gentil core anti ch’Amor, natura:
ch’adesso con’ fu ‘l sole,
sì tosto lo splendore fu lucente,
né fu davanti ‘l sole;
e prende Amore in gentilezza loco
così propïamente
come calore in clarità di foco.
Foco d’amore in gentil cor s’aprende
come vertute in petra prezïosa,
che da la stella valor no i discende
anti che ‘l sol faccia gentil cosa;
poi che n’ha tratto fòre
per sua forza lo sol ciò che li è vile,
stella li dà valore:
così lo cor ch’è fatto da natura
asletto, pur, gentile,
donna a guisa di stella lo ‘nnamora.
Amor per tal ragion sta ‘n cor gentile
per qual lo foco in cima del doplero:
splendeli al su’ diletto, clar, sottile;
no li stari’ altra guisa, tant’è fero.
Così prava natura
recontra amor come fa l’aigua il foco
caldo, per la freddura.
Amor in gentil cor prende rivera
per suo consimel loco
com’adamàs del ferro in la minera.
Fere lo sol lo fango tutto ‘l giorno:
vile reman, né ‘l sol perde calore;
dis’ omo alter: « Gentil per sclatta torno »;
lui semblo al fango, al sol gentil valore:
ché non dé dar om fé
che gentilezza sia fòr di coraggio
in degnità d’ere’
sed a vertute non ha gentil core,
com’aigua porta raggio
e ‘l ciel riten le stelle e lo splendore.
Splende ‘n la ‘ntelligenzïa del cielo
Deo crïator più che ‘n nostr’occhi ‘l sole:
quella intende suo fattor oltra cielo,
e ‘l ciel volgiando, a Lui obedir tole;
e con’ segue, al primero,
del giusto Deo beato compimento,
così dar dovria, al vero,
la bella donna, poi che ‘n gli occhi splende
del suo gentil, talento,
che mai di lei obedir non si disprende.
Donna, Deo mi dirà: « Che presomisti? »,
sïando l’alma mia a Lui davanti.
« Lo ciel passasti e ‘nfin a Me venisti
e desti in vano amor Me per semblanti:
ch’a Me conven le laude
e a la reina del regname degno,
per cui cessa onne fraude ».
Dir Li porò: « Tenne d’angel sembianza
che fosse del Tuo regno;
non me fu fallo, s’in lei posi amanza ».
E18a trad. Dante Gabriel Rossetti
Within the gentle heart Love shelters him,
-
- As birds within the green shade of the grove.
- Before the gentle heart, in Nature’s scheme,
- Love was not, nor the gentle heart ere Love.
- For with the sun, at once,
- So sprang the light immediately; nor was
- Its birth before the sun’s.
- And Love hath his effect in gentleness
- Of very self; even as
- Within the middle fire the heat’s excess.
- The fire of Love comes to the gentle heart
- Like as its virtue to a precious stone;
- To which no star its influence can impart
- Till it is made a pure thing by the sun:
- For when the sun hath smit
- From out its essence that which there was vile,
- The star endoweth it.
- And so the heart created by God’s breath
- Pure, true, and clean from guile,
- A woman, like a star, enamoureth.
- In gentle heart Love for like reason is
- For which the lamp’s high flame is fann’d and bow’d:
- Clear, piercing bright, it shines for its own bliss;
- Nor would it burn there else, it is so proud.
- For evil natures meet
- With Love as it were water met with fire,
- As cold abhorring heat.
- Through gentle heart Love doth a track divine,—
- Like knowing like; the same
- As diamond runs through iron in the mine.
- The sun strikes full upon the mud all day;
- It remains vile, nor the sun’s worth is less.
- “By race I am gentle,” the proud man doth say:
- He is the mud, the sun is gentleness.
- Let no man predicate
- That aught the name of gentleness should have,
- Even in a king’s estate,
- Except the heart there be a gentle man’s.
- The star-beam lights the wave,—
- Heaven holds the star and the star’s radiance.
- God, in the understanding of high Heaven,
- Burns more than in our sight the living sun:
- There to behold His Face unveil’d is given;
- And Heaven, whose will is homage paid to One,
- Fulfils the things which live
- In God, from the beginning excellent.
- So should my lady give page:
- That truth which in her eyes is glorified,
- On which her heart is bent,
- To me whose service waiteth at her side.
- My lady, God shall ask, “What dared’st thou?”
- (When my soul stands with all her acts review’d;)
- “Thou passed’st Heaven, into My sight, as now,
- To make Me of vain love similitude.
- To Me doth praise belong,
- And to the Queen of all the realm of grace
- Who endeth fraud and wrong.”
- Then may I plead: “As though from Thee he came,
- Love wore an angel’s face:
- Lord, if I loved her, count it not my shame.”
8 4
E19
Dante
Donne ch’avete intelletto d’amore,
i’ vo’ con voi de la mia donna dire,
non perch’io creda sua laude finire,
ma ragionar per isfogar la mente.
Io dico che pensando il suo valore,
Amor sì dolce mi si fa sentire,
che s’io allora non perdessi ardire,
farei parlando innamorar la gente.
E io non vo’ parlar sì altamente,
ch’io divenisse per temenza vile;
ma tratterò del suo stato gentile
a respetto di lei leggeramente,
donne e donzelle amorose, con vui,
ché non è cosa da parlarne altrui.
Angelo clama in divino intelletto
e dice: « Sire, nel mondo si vede
maraviglia ne l’atto che procede
d’un’anima che ‘nfin qua su risplende ».
Lo cielo, che non have altro difetto
che d’aver lei, al suo segnor la chiede,
e ciascun santo ne grida merzede.
Sola Pietà nostra parte difende,
che parla Dio, che di madonna intende:
« Diletti miei, or sofferite in pace
che vostra spene sia quanto me piace
là ‘v’è alcun che perder lei s’attende,
e che dirà ne lo inferno: O mal nati,
io vidi la speranza de’ beati ».
Madonna è disiata in sommo cielo:
or voi di sua virtù farvi savere.
Dico, qual vuol gentil donna parere
vada con lei, che quando va per via,
gitta nei cor villani Amore un gelo,
per che onne lor pensero agghiaccia e pere;
e qual soffrisse di starla a vedere
diverria nobil cosa, o si morria.
E quando trova alcun che degno sia
di veder lei, quei prova sua vertute,
ché li avvien, ciò che li dona, in salute,
e sì l’umilia, ch’ogni offesa oblia.
Ancor l’ha Dio per maggior grazia dato
che non pò mal finir chi l’ha parlato.
Dice di lei Amor: « Cosa mortale
come esser pò sì adorna e sì pura? »
Poi la reguarda, e fra se stesso giura
che Dio ne ‘ntenda di far cosa nova.
Color di perle ha quasi, in forma quale
convene a donna aver, non for misura:
ella è quanto de ben pò far natura;
per essemplo di lei bieltà si prova.
De li occhi suoi, come ch’ella li mova,
escono spirti d’amore inflammati,
che feron li occhi a qual che allor la guati,
e passan sì che ‘l cor ciascun retrova:
voi le vedete Amor pinto nel viso,
là ‘ve non pote alcun mirarla fiso.
Canzone, io so che tu girai parlando
a donne assai, quand’io t’avrò avanzata.
Or t’ammonisco, perch’io t’ho allevata
per figliuola d’Amor giovane e piana,
che là ‘ve giugni tu diche pregando:
« Insegnatemi gir, ch’io son mandata
a quella di cui laude so’ adornata ».
E se non vuoli andar sì come vana,
non restare ove sia gente villana:
ingegnati, se puoi, d’esser palese
solo con donne o con omo cortese,
che ti merrano là per via tostana.
Tu troverai Amor con esso lei;
raccomandami a lui come tu dei.
[Vita Nuova XIX 4-14]
E19a (translation by Dante Gabriel Rossetti)
- Ladies that have intelligence in love,
- Of mine own lady I would speak with you;
- Not that I hope to count her praises through,
- But telling what I may, to ease my mind.
- And I declare that when I speak thereof,
- Love sheds such perfect sweetness over me
- That if my courage failed not, certainly
- To him my listeners must be all resign’d.
- Wherefore I will not speak in such large kind
- That mine own speech should foil me, which were base;
- But only will discourse of her high grace
- In these poor words, the best that I can find,
- With you alone, dear dames and damozels:
- ‘Twere ill to speak thereof with any else.
- An Angel, of his blessed knowledge, saith
- To God: “Lord, in the world that Thou hast made,
- A miracle in action is display’d,
- By reason of a soul whose splendours fare
- Even hither: and since Heaven requireth
- Nought saving her, for her it prayeth Thee,
- Thy Saints crying aloud continually.”
- Yet Pity still defends our earthly share
- In that sweet soul; God answering thus the prayer:
- “My well-belovèd, suffer that in peace
- Your hope remain, while so My pleasure is,
- There where one dwells who dreads the loss of her:
- And who in Hell unto the doomed shall say,
- ‘I have looked on that for which God’s chosen pray.’”
- My lady is desired in the high Heaven:
- Wherefore, it now behoveth me to tell,
- Saying: Let any maid that would be well
- Esteemed keep with her: for as she goes by,
- Into foul hearts a deathly chill is driven
- By Love, that makes ill thought to perish there:
- While any who endures to gaze on her
- Must either be ennobled, or else die.
- When one deserving to be raised so high
- Is found, ’tis then her power attains its proof,
- Making his heart strong for his soul’s behoof
- With the full strength of meek humility.
- Also this virtue owns she, by God’s will:
- Who speaks with her can never come to ill.
- Love saith concerning her: “How chanceth it
- That flesh, which is of dust, should be thus pure?”
- Then, gazing always, he makes oath: “Forsure,
- This is a creature of God till now unknown.”
- She hath that paleness of the pearl that’s fit
- In a fair woman, so much and not more;
- She is as high as Nature’s skill can soar;
- Beauty is tried by her comparison.
- Whatever her sweet eyes are turned upon,
- Spirits of love do issue thence in flame,
- Which through their eyes who then may look on them
- Pierce to the heart’s deep chamber every one.
- And in her smile Love’s image you may see;
- Whence none can gaze upon her steadfastly.
- Dear Song, I know thou wilt hold gentle speech
- With many ladies, when I send thee forth:
- Wherefore (being mindful that thou hadst thy birth
- From Love, and art a modest, simple child),
- Whomso thou meetest, say thou this to each:
- “Give me good speed! To her I wend along
- In whose much strength my weakness is made strong.”
- And if, i’ the end, thou wouldst not be beguiled
- Of all thy labour, seek not the defiled
- And common sort; but rather choose to be
- Where man and woman dwell in courtesy.
- So to the road thou shalt be reconciled,
- And find the lady, and with the lady, Love.
Commend thou me to each, as doth behove.
8 5 Troisième exemple : Cet exemple est exceptionnel : Cavalcanti se montre le plus fidèle au trobar et propose une alternative au sonnet, avec une strophe modèle de 14 vers.
8 6
E20
Donna me prega, – per ch’eo voglio dire
d’un accidente – che sovente – è fero
ed è sì altero – ch’è chiamato amore:
sì chi lo nega – possa ‘l ver sentire!
Ed a presente – conoscente – chero,
perch’io no spero – ch’om di basso core
a tal ragione porti canoscenza:
ché senza – natural dimostramento
non ho talento – di voler provare
là dove posa, e chi lo fa creare,
e qual sia sua vertute e sua potenza,
l’essenza – poi e ciascun suo movimento,
e ‘l piacimento – che ‘l fa dire amare,
e s’omo per vederlo pò mostrare.
In quella parte – dove sta memora
prende suo stato, – sì formato, – come
diaffan da lume, – d’una scuritate
la qual da Marte – vène, e fa demora;
elli è creato – (ed ha, sensato, – nome),
d’alma costume – e di cor volontate.
Vèn da veduta forma che s’intende,
che prende – nel possibile intelletto,
come in subietto, – loco e dimoranza.
In quella parte mai non ha possanza
perché da qualitate non descende:
resplende – in sé perpetual effetto;
non ha diletto – ma consideranza;
sì che non pote largir simiglianza.
Non è vertute, – ma da quella vène
ch’è perfezione – (ché si pone – tale),
non razionale, – ma che sente, dico;
for di salute – giudicar mantene,
ché la ‘ntenzione – per ragione – vale:
discerne male – in cui è vizio amico.
Di sua potenza segue spesso morte,
se forte – la vertù fosse impedita
la quale aita – la contraria via:
non perché oppost’a naturale sia;
ma quanto che da buon perfetto tort’è
per sorte, – non pò dire om ch’aggia vita,
ché stabilita – non ha segnoria.
A simil pò valer quand’om l’oblia.
L’essere è quando – lo voler è tanto
ch’oltra misura – di natura – torna,
poi non s’adorna – di riposo mai.
Move, cangiando – color, riso in pianto,
e la figura – con paura – storna;
poco soggiorna; – ancor di lui vedrai
che ‘n gente di valor lo più si trova.
La nova – qualità move sospiri,
e vol ch’om miri – ‘n non formato loco,
destandos’ira la qual manda foco
(imaginar nol pote om che nol prova),
né mova – già però ch’a lui si tiri,
e non si giri, – per trovarvi gioco,
né certamente gran saver né poco.
De simil tragge – complessione sguardo
che fa parere – lo piacere – certo:
non pò coverto – star, quand’è sì giunto.
Non già selvagge – le bieltà son dardo,
ché tal volere – per temere – è sperto:
consiegue merto – spirito ch’è punto.
E non si pò conoscer per lo viso:
compriso, – bianco in tale obietto cade;
e, chi ben aude, – forma non si vede:
dunqu’elli meno, che da lei procede.
For di colore, d’essere diviso,
assiso – ‘n mezzo scuro, luce rade.
For d’ogne fraude – dico, degno in fede,
che solo di costui nasce mercede.
Tu puoi sicuramente gir, canzone,
là ‘ve ti piace, ch’io t’ho sì adornata
ch’assai laudata – sarà tua ragione
da le persone – c’hanno intendimento:
di star con l’altre tu non hai talento.
E20a
8 6 1
A lady asks me – I speak for such reason
Of an effect – that so often – is daring
And so haughty – he’s called Amore:
He who denies him – now realise the truth!
I speak – to those present – with knowledge,
Owning no expectation – that the base-hearted
Can gain understanding through explanation:
Nor that – without practical demonstration
I have the talent – to prove at will
Where he lives, or who gave him creation,
Or what his power is, or what his virtue,
His essence too – and his every movement,
Nor the delight – so that we say ‘to love’,
Nor whether a man can show him to gazing.
In the place – that memory inhabits
He has his station – and takes on form
Like a veil of light – born of that shadow
Which is of Mars – that arrives and remains;
He is created – has sensation – name,
From the soul, manner – from the heart, will.
And comes from visible form that takes on,
And embraces – in possible intellect,
As in the subject – location and dwelling.
And yet he has no weight in that state
Since he is not as a quality descending:
Shines out – of himself perpetual impression;
Takes no delight – except in awareness;
Nor can scatter his likenesses around.
He is not virtue – but out of that comes
Which is perfection – (so self-established),
And through feeling – not rationally, I say;
Beyond balance – yet proclaiming judgement,
That will itself – ’stead of reason – is valid:
Poor in discernment – so vice is his friend.
Oft from his power then death will follow,
He’s strong – and, virtue opposing him,
Thus runs counter to what brings succour:
Not that he is by nature in conflict;
But twisted awry from true perfection
By fate – no man possessor of life can say
That once established – he has no lordship.
Likewise he has power though men forget.
He comes into being – when will is such
That a further measure – of nature’s – at play;
Then he will never adorn himself – with rest.
Moving – changing colour, laughing through tears,
Contorting – the features – with signatures of fear;
Scarce pausing; – yet you will note of him
He’s most often found with people of worth.
His strange quality gives rise to sighing,
And makes a man gaze – into formless places
Arousing the passion that stirs a flame,
(No man can imagine him who’s not known him)
Unmoving – yet he draws all towards him,
Not turning about – to discover joy:
Nor minded to know whether great or small.
From his like he elicits – the complex glance
That makes – the pleasure – appear more certain:
Nor can stay hidden – when he is met with.
Not savage indeed – yet beauty his arrow
So that desire – for fear is – made skilful:
Following all merit – in the piercing spirit.
Nor can be comprehended from the face:
Seen – as blankness fallen among objects;
Listening deep – yet seeing not form itself:
But led by what emanates from it.
Far from colour, of separate being,
Seated – in midst of darkness, skirting the light,
Yet far from all deceit – I say, worthy of trust,
So that compassion is born from him alone.
Canzone, confidently, now you may go
Wherever you please, I’ve adorned you so
Your reasoning – will be praised by everyone
Who makes the effort to comprehend you: though
You will reveal no art to other than them.
D
La sextine
§9 Bien que chronologiquement dernière parmi les formes héritières du trobar
9 1 Bien que chronologiquement dernière parmi les formes héritières du trobar, je la présente avant le sonnet, qui est ici mon objet principal d’étude.
9 2 Son premier exemple italien, dû à Dante, est placé dans le champ de la canzone, mais c’est une ‘canzone’ très spéciale, car elle reproduit exactement, à la différence des autres canzone, la formule de rimes d’une canso, qui est d’Arnaut Daniel.
9 3
E21 (Arnaut Daniel)
Lo ferm voler qu’el cor m’intra
no’m pot ges becs escoissendre ni ongla
de lauzengier qui pert per mal dir s’arma;
e pus no l’aus batr’ab ram ni verja,
sivals a frau, lai on non aurai oncle,
jauzirai joi, en vergier o dins cambra.
Quan mi sove de la cambra
on a mon dan sai que nulhs om non intra
-ans me son tug plus que fraire ni oncle-
non ai membre no’m fremisca, neis l’ongla,
aissi cum fai l’enfas devant la verja:
tal paor ai no’l sia prop de l’arma.
Del cor li fos, non de l’arma,
e cossentis m’a celat dins sa cambra,
que plus mi nafra’l cor que colp de verja
qu’ar lo sieus sers lai ont ilh es non intra:
de lieis serai aisi cum carn e ongla
e non creirai castic d’amic ni d’oncle.
Anc la seror de mon oncle
non amei plus ni tan, per aquest’arma,
qu’aitan vezis cum es lo detz de l’ongla,
s’a lieis plagues, volgr’esser de sa cambra:
de me pot far l’amors qu’ins el cor m’intra
miels a son vol c’om fortz de frevol verja.
Pus floric la seca verja
ni de n’Adam foron nebot e oncle
tan fin’amors cum selha qu’el cor m’intra
non cug fos anc en cors no neis en arma:
on qu’eu estei, fors en plan o dins cambra,
mos cors no’s part de lieis tan cum ten l’ongla.
Aissi s’empren e s’enongla
mos cors en lieis cum l’escors’en la verja,
qu’ilh m’es de joi tors e palais e cambra;
e non am tan paren, fraire ni oncle,
qu’en Paradis n’aura doble joi m’arma,
si ja nulhs hom per ben amar lai intra.
Arnaut tramet son chantar d’ongl’e d’oncle
a Grant Desiei, qui de sa verj’a l’arma,
son cledisat qu’apres dins cambra intra.
E21a
9 3 1
The firm will that my heart enters
can’t be scraped by beak nor by nail
of slanderer who damns with ill speaking his soul;
since I don’t dare beat them with bough or rod,
at least, secretly, where I won’t have any uncle,
I’ll enjoy pleasure, in the garden or in the room.
When I remember the room
where, to my scorn, I know no man enters
-instead they are all to me more than brother or uncle-
I have no limb that doesn’t shake, not even the fingernail,
just as a child is before the rod:
such is my fear of not being close to her soul.
Were I close to her body, not to her soul,
were she to let me hide in her room,
since it hurts my heart more than strike of rod
that her servant isn’t there where she enters:
I’ll be with her what flesh is to nail
and I won’t follow advice of friend or of uncle.
Not even the sister of my uncle
did I love more or as much, by this soul,
since, as the finger is close to the nail,
if she pleases, I want to be to her soul:
of me can do the love that my heart enters
more with its will than a strong man with a frail rod.
Since when flourished the withered rod
and from Adam sprung nephew and uncle,
a love as good as the one that my heart enters
I don’t think has ever been in any body or soul:
wherever I am, out in the plains or in a room,
my heart doesn’t part from her more than a nail.
So clings and is fixed, like with nail,
my heart to her like the bark to the rod,
she is to me tower, palace and room;
and I don’t love as much parent, brother or uncle,
and in Paradise will have double joy my soul,
if anyone there for good-loving enters.
Arnaut sends forth this song of uncle and nail
to Great Desire, which of his rod holds the soul,
a framework-song which, learned, the room enters.
9 4 Poème exceptionnel à plusieurs titres.
9 5 La formule de rimes est abcdef, toutes les rimes sont estramps. En outre toutes les rimes sont des mots-rimes.
9 6 Les mots-rimes sont des mots-refrains. Ils sont présents dans toutes les strophes. Mais leur ordre change de strophe en strophe.
9 7 Si on note 1 2 3 4 5 6 l’ordre des mots-rimes dans la première strophe, l’ordre dans la seconde strophe est 6 1 5 2 4 3 .
9 8 La permutation qui fait passer de la première à la seconde strophe fait aussi passer de la seconde à la troisième, et ainsi de suite.
9 9 On peut caractériser le ‘mouvement’ des rimes dans le poème par la permutation
(6 1 5 2 4 3 )
9 10 Le poème a 6 strophes et une tornada de 3 vers, chacun de ses vers reprenant deux des mots-rimes.
9 11 La permutation caractéristique est d’ordre 6 : si on écrivait une septième strophe, les mots-rimes se retrouveraient dans l’ordre initial.
9 12 Le poème de Dante, dans les Rime petrose
9 13
E22
Al poco giorno e al gran cerchio d’ombra
son giunto, lasso!, ed al bianchir de’ colli,
quando si perde lo color ne l’erba;
e ‘l mio disio però non cangia il verde,
si è barbato ne la dura petra
che parla e sente come fosse donna.
Similemente questa nova donna
si sta gelata come neve a l’ombra;
che non la move, se non come petra,
il dolce tempo che riscalda i colli
e che li fa tornar di bianco in verde
perché li copre di fioretti e d’erba.
Quand’ella ha in testa una ghirlanda d’erba,
trae de la mente nostra ogn’altra donna;
perché si mischia il crespo giallo e ‘l verde
sì bel, ch’Amor lì viene a stare a l’ombra,
che m’ha serrato intra piccioli colli
più forte assai che la calcina petra.
La sua bellezza ha più vertù che petra,
e ‘l colpo suo non può sanar per erba;
ch’io son fuggito per piani e per colli,
per potere scampar da cotal donna;
e dal suo lume non mi può far ombra
poggio né muro mai né fronda verde.
Io l’ho veduta già vestita a verde
sì fatta, ch’ella avrebbe messo in petra
l’amor ch’io porto pur a la sua ombra;
ond’io l’ho chesta in un bel prato d’erba
innamorata, com’anco fu donna,
e chiuso intorno d’altissimi colli.
Ma ben ritorneranno i fiumi a’ colli
prima che questo legno molle e verde
s’infiammi, come suol far bella donna,
di me; che mi torrei dormire in petra
tutto il mio tempo e gir pascendo l’erba,
sol per veder do’ suoi panni fanno ombra.
Quandunque i colli fanno più nera ombra,
sotto un bel verde la giovane donna
la fa sparer, com’uom petra sott’erba.
E22a
9 13 1
I have come, alas, to the great circle of shadow,
to the short day and the whitening hills,
when the colour is all lost from the grass,
though my desire will not lose its green,
so rooted is it in this hardest stone,
that speaks and feels as though it were a woman.
And likewise this heaven-born woman
stays frozen, like the snow in shadow,
and is unmoved, or moved like a stone,
by the sweet season that warms all the hills,
and makes them alter from pure white to green,
so as to clothe them with the flowers and grass.
When her head wears a crown of grass
she draws the mind from any other woman,
because she blends her gold hair with the green
so well that Amor lingers in their shadow,
he who fastens me in these low hills,
more certainly than lime fastens stone.
Her beauty has more virtue than rare stone.
The wound she gives cannot be healed with grass,
since I have travelled, through the plains and hills,
to find my release from such a woman,
yet from her light had never a shadow
thrown on me, by hill, wall, or leaves’ green.
I have seen her walk all dressed in green,
so formed she would have sparked love in a stone,
that love I bear for her very shadow,
so that I wished her, in those fields of grass,
as much in love as ever yet was woman,
closed around by all the highest hills.
The rivers will flow upwards to the hills
before this wood, that is so soft and green,
takes fire, as might ever lovely woman,
for me, who would choose to sleep on stone,
all my life, and go eating grass,
only to gaze at where her clothes cast shadow.
Whenever the hills cast blackest shadow,
with her sweet green, the lovely woman
hides it, as a man hides stone in grass.
9 14 Dante supprime l’envoi, rend le poème monométrique ; à part cela, il conserve toutes les autres caractéristiques de la canso d’Arnaut Daniel.
9 15 Un pas décisif est fait par Pétrarque, qui rompte le lien avec la ‘canzone’ et traite le poème du Troubadout, repris, pour sa forme, par Dante, comme modèle d’une forme nouvelle, la sestina (sextine). Il en compose 9.
9 16 Après Pétrarque, la sextine est une forme reconnue de la poésie italienne, distincte de la canzone et du sonnet. Elle est encore vivante au commencement du 21ème siècle
9 16 1 Voir Pierre Lartigue – L’hélice d’écrire : la sextine, Les Belles Lettres, coll. « Architecture du verbe », Paris, 1994