§ 1 On admet généralement aujourd’hui que le sonnet a été inventé au 13ème siècle en Sicile
1 1 On admet généralement aujourd’hui que le sonnet a été inventé au 13ème siècle en Sicile.
1 1 1 Le fait n’a jamais, depuis Dante, été réellement mis en doute.
1 2 On s’accorde également sur le nom de l’inventeur, du ‘trouveur’ : Giacomo da Lentini
1 2 1 Jacopo da Lentini, vissuto fra il 1210 e il 1260 circa, fu notaio imperiale di Catania e poeta considerato da molti il caposcuola del cenacolo poetico siciliano fiorito alla corte di Federico II. Dante lo chiama « ‘l Notaro » (Divina Commedia, Pg. XXIV, 56) per antonomasia e lo considera l’esponente tipico della poesia di corte.
1 3 On pense connaître l’inventeur, mais on ne sait rien du ‘moment’ de l’invention.
1 4 Comme l’écrit Roberto Antonelli, dans le long article où il fait le point de la question
1 4 1 dans les Miscellanea en l’honneur d’Aurelio Roncaglia, en 1989
1 5 « E noto l’autore ma non l’evento »
1 5 1 pas de pomme tombée de l’arbre sur le nez du notaire*
1 5 1 1 * roman d’Edmond About
1 5 2 pas de baignoire d’Archimède*
1 5 2 1 * le mauvais élève : Archimède est un homme qui quand on le plonge dans l’eau, remonte toujours à la surface
1 5 3 Pas de mur de brique comme celui qui inspira à Lebesgue l’idée de son intégrale
1 6 Une vingtaine de sonnets sont attribués à Giacomo da Lentini, dans les manuscrits qui contiennent les poèmes, environ 150, conservés de ce qu’on appelle l’Ecole Sicilienne
1 6 1 Les poètes du ‘cercle ‘ du ‘notaire’, et leurs disciples siciliens ou toscans
1 7 Leur forme : Le mètre est l’endécasyllabe italien. Les formules de rimes sont au nombre de 3 :
(i) ababababcdecde (13 ex)
1 7 1
E23
Molti amadori la lor malatia
portano in core, che ‘n vista non pare;
ed io non posso sì celar la mia,
ch’ella non paia per lo mio penare:
però che son sotto altrui segnoria,
né di meve nonn-ò neiente a·ffare,
se non quanto madonna mia voria,
ch’ella mi pote morte e vita dare.
Su’ è lo core e suo son tutto quanto,
e chi non à consiglio da suo core,
non vive infra la gente como deve;
cad io non sono mio né più né tanto,
se non quanto madonna è de mi fore
ed uno poco di spirito è ‘n meve.
E23a
Nombreux sont les amants qui portent
Leur maladie dans leur cœur sans qu’elle paraisse visible ;
Mais, moi, je ne puiis assez cacher la mienne
Pour que ma peine ne la fasse pas apparaître ;
Parce que je suis au pouvoir d’autrui,
Et que je ne puis plus disposer de moi
Que pour tout ce que voudra ma dame,
Qui peut me donner la vie et la mort.
A elle est mon cœur, et à elle je suis tout entier ;
Et qui n’a pas conseil de son propre cœur
Ne vit pas comme il se doit parmi les gens ;
Car je ne suis moi, ni plus ni moins,
Que lorsque ma dame n’est pas loin de moi
Et qu’il y a un peu d’esprit en moi.
(2) ababababcdcdcd (6 ex.)
1 7 2
E24
Ogn’omo c’ama de’ amar so ‘nore
e de la donna che prende ad amare;
e foll’è chi non è soferitore,
che la natura de’ omo isforzare;
e non de’ dire ciò ch’egli ave in core
che la parola non pò ritornare:
da tutta gente tenut’è migliore
chi à misura ne lo so parlare.
Dunque, madonna, mi voglio sofrire
di far sembianti a la vostra contrata,
che la gente si sforza di maldire;
però lo faccio, non siate blasmata,
che l’omo si diletta più di dire
lo male che lo bene a la fiata.
(3) ababababccdccd ( 1 seul exemple)
1 7 3
E25
[[E]]o viso —e son diviso —da lo viso,
e per aviso —credo ben visare;
però diviso —’viso’ —da lo ‘viso’,
c’altr’è lo viso —che lo divisare.
E per aviso —viso —in tale viso
de l[[o]] qual me non posso divisare:
viso a vedere quell’è peraviso,
che no è altro se non Deo divisare.
‘Ntra viso —e peraviso —no è diviso,
che non è altro che visare in viso:
però mi sforzo tuttora visare.
[[E]] credo per aviso —che da ‘viso’
giamai me’ non pos’essere diviso,
che l’uomo vi ‘nde possa divisare.
E25a
Je le vois, je suis séparé du visage,
Et en imagination, je crois bien le voir ;
Mais je distingue le visage de l’image,
Car la vision est autre chose que l’imagination.
Et en imagination, je contemple un tel visage,
Dont je ne puis me séparer.
A voir en imagination ce visage tel qu’il est,
Ce n’est rien autre que contempler Dieu.
Entre la vision et l’image, il n’est pas de différence,
Car ce n’est rien autre que contempler un visage ;
Aussi je m’efforce de le contempler.
Car je crois par expérience que de ce visage
Je ne pourrai jamais être séparé,
Quoique l’on puisse en imaginer.
1 8 La présentation des textes que je donne ici n’est pas celle des éditions modernes ; elle ignore les divisions strophiques ; il n’y a aucun moyen de savoir comment l’auteur les présentait sur la page
1 8 1 J’ai conservé en revanche les tirets qui indiquent les rimes intérieures dans le dernier sonnet
1 9 Certains des sonnets font partie d’échanges avec d’autres poètes du même cercle ; ce sont des tenzone, forme imitée des tensons troubadouresques. La première, sans doute, et la plus célèbre
1 10
E26
Jacopo Mostacci
Solicitando un poco meo savere
E cum lui volendomi deletare,
Un dubio che me misi ad avere,
A vui lo mando per determinare.
On’ omo dice ch’ amor a podere
E gli corazi destrenze ad amare;
Ma eo no lo voglio consentere,
Pero ch’ amore no parse ni pare.
Ben trova 1′ om una amorosa etate,
La quale par che nasca de placere,
E cio vol dire hom che sia amore.
Eo no li sa990 altra qualitate;
Ma cio che e da vui lo voglio odere,
Pero ve ne facio sentenzatore.
E26a
Aiguillonnant un peu mon intellect
Pour me donner quelque délassement,
Je suis tombé sur un point délicat
Et je m’adresse à vous pour le trancher.
On dit partout qu’amour est un seigneur
Et qu’il contraint nos cœurs à s’enflammer,
Mais à cela je ne puis consentir
Parce qu’amour ne s’est jamais montré.
Cert’s, il existe une humeur amoureuse
Qu’éveille, semble-t-il, un beau visage,
Et c’est cela que l’on appelle « amour ».
Je ne lui vois point d’autre qualité,
Mais ce qu’il est, je veux de vous l’apprendre
Et vous laisse le soin d’en décider.
E27
Pier delle Vigne
Pero ch’ amore no se po vedere
E no si trata corporalemente,
Manti ne son de si fole sapere
Che credono ch’ amor sia niente.
Ma po ch’ amore li face sentere
Dentro dal cor signorezar la gente,
Molto mazore presio de avere
Che se ‘1 vedessen o e si bellamente.
Per la vertute de la calamita
Como lo ferro atra’, no se vede,
Ma si lo tira signorilemente;
E questa cosa a credere m’ envita
Ch’ amore sia, e dame grande fede
Che tutor sia creduto fra la gente.
E27a
Since Love may not be seen of mortal eyes,
Nor can in terms corporeal be taught,
Many are found of lore so foolish wise,
That in their reckoning Love is deemed as naught.
Albeit, since Within doth Love devise
That men must feel him, through his potence wrought,
Far more should he be hailed their Very Prize,
Than were he seen in outward semblance brought.
We have no sight that virtue to perceive
Whereby the loadstone doth the iron lure,
None less it draweth, sovran to constrain.
Which thing doth well invite me to believe
That Love is truly ; yea, doth faith assure
That ever ‘mongst the folk shall this obtain.
E28
Giacomo da Lentini
Amor è un[[o]] desio che ven da core
per abondanza di gran piacimento;
e li occhi in prima genera[[n]] l’amore
e lo core li dà nutricamento.
Ben è alcuna fiata om amatore
senza vedere so ‘namoramento,
ma quell’amor che stringe con furore
da la vista de li occhi à nas[[ci]]mento.
Che li occhi rapresenta[[n]] a lo core
d’onni cosa che veden bono e rio,
com’è formata natural[[e]]mente;
e lo cor, che di zo è concepitore,
imagina, e piace quel desio:
e questo amore regna fra la gente.
E28a
Amour est un désir né dans le coeur
Quand un plaisir extrême l’envahit ;
Ce sont les yeux qui font naître l’amour,
Et puis le coeur longuement le nourrit.
Bien peut-il arriver que l’on s’enflamme
Pour un objet que l’on n’a jamais vu,
Mais c’est dans le regard que prend sa source
L’amour qui nous étreint avec fureur.
Car nos yeux jusqu’au fond du coeur transmettent
Le bon et le mauvais de toute chose,
Telle que l’a formée mère nature ;
L’ayant reçu, le coeur forge une image
De l’objet désiré, et s’y complaît :
C’est cet amour qui règne dans le monde.
1 11 Outre ses sonnets et sa participation à des tensons, Il produit aussi des canzone, adaptant la canso à la langue sicilienne, et un discordo , forme qui dérive du descort provençal.
§2 La ‘question de l’origine’ est la suivante : où le ‘Notaro’ a-t-il ‘trouvé’ cette forme ?
2 1 La ‘question de l’origine’ est la suivante : où le ‘Notaro’ a-t-il ‘trouvé’ cette forme ? en quel sens du mot ‘trouver’ ? dans son crâne, tel un Troubadour composant une canso à formule de rimes originale ? chez un prédécesseur, comme un Troubadour empruntant sa formule de rimes à une canso existante ? ailleurs encore ?
2 2 Pendant très longtemps, la réponse donnée par les érudits a été tranquillement nationaliste : le contenu des poèmes, le contexte culturel de la Cour de Frédéric II imposait à des yeux innocents une réponse simple : le Sonnet vient des Troubadours. Cette évidence était insupportable pour les savants italiens du dix-neuvième siècle. On a donc ‘trouvé’, c’est –à-dire ‘inventé’, une forme de poésie populaire sicilienne qui aurait inspiré Giacomo. Les exemples invoqués sont tous très très tardifs ; peu importa. C’est encore cette ‘solution’, bien en accord avec la stratégie d’effacement du trobar inaugurée par Dante, qui est préconisée par Wilkins, en 1915, dans une étude, qui fit très longtemps autorité, et dont le titre est repris par Antonelli, ‘pas par hasard’.
2 3 L’enquête d’Antonelli est longue et très sérieuse. Il ne discute même pas la burlesque hypothèse ancienne.
2 4 Et ne tombe pas non plus dans le piège d’une hypothèse de rechange qui a été assez répandue au milieu du 20 ème siècle : on constate, par consultation du Répertoire Métrique d’Istvan Frank, qu’aucune cobla de Troubadours n’exhibe exactement l’une des trois formules de rimes du Notaro. Donc, le sonnet est, certes, dit-on, dans son contenu, inspiré des Troubadours. Mais sa forme, en fait l’essentiel, la forme-sonnet, est une création vraiment originale, qui fait sortir entièrement le sonnet du champ provençal. Le sonnet est sicilien donc italien. L’argument est très faible : le Principe de Renouvellement des formules que j’ai cité précédemment le réduit à néant. Le ‘Notaro’ s’inscrit d’autant plus nettement dans le champ du ‘trobar’ qu’il le respecte et réussit à présenter une formule de rimes qui n’a pas déjà été utilisée. Le même raisonnement permettrait de prouver que la ‘sextine’ d’Arnaut Daniel, qui n’a aucun ‘ancêtre’ chez les Troubadours qui l’ont précédé, n’était pas une canso.
2 5 Antonelli commence par démontrer que l’ensemble des poèmes de Giacomo et de ses associés et successeurs, s’inscrit , non seulement en ‘contenu’, mais aussi formellement dans le champ des Troubadours tardifs.
2 6 Les années où nait le sonnet « il trentennio 1220-1250 » sont celles où se développe très nettement la tendance à la composition de coblas qui ne sont pas des vestiges de cansos dont la suite est perdue, mais des compositions à part entière. La cobla est « il genere metrico … indicato come l’immediato antecedente… il tipo piu affine al sonetto ». Les trente années en question « appare un periodo nodale per il constituirsi di una tradizione metrica basata , oltra che sul discordo, su un registro alto, la canzone, e su un registro « basso’, tenzoni/ partimen, coblas e sirventesi.e la situazione, .. che sarà codificata dai manoscritti e sancita (sanctionnée) anche della produzione dalla coscienza dei produttori, fino al Guiraut Riquier.
2 6 1 le dernier, comme il se dit lui-même, des grands troubadours de Provence.
2 7 Il n’y a rien à dire à cette description des productions troubadouresque de cette époque. Mais on est bien obligé de remarquer que ni les sonnets ni les tensons siciliennes ne sont dans un registre ‘bas’. Cette opposition, haut-noble / bas-plébéien, est totalement anachronique : elle vient, en fait, de Dante
2 7 1 qui est tellement présent dans les crânes italiens qu’ils adoptent, sans réfléchir une seconde, tous ses jugements.
2 8 L’envahissement du trobar tardif par cette constellation de formes, où la cobla tend à se substituer à la canso est bien mis en évidence par les manuscrits : ainsi , Bertran Carbonel, par exemple, a 94 compositions ; 75 sont des coblas.
2 9 Mais dire que la situation présente l‘opportunità, la necessità quasi, di un tipo di componimento breve’ nouveau, me semble aller tout à fait au-delà des faits.
2 10 Et franchement fantaisiste me semble ceci, qui suit : « sarebbe difficile negare a Giacomo da Lentini la coscienza di volar creare una ‘forma’ e un ‘genere’ metrico
2 10 1 Qui peut savoir ce dont Le Notaro était conscient ?
2 11 Et tout à coup, on fait un grand pas : « in Giacomo, il sonetto e già genere autonomo »
2 12 Après ces conclusions, curieusement placées avant l’enquête minutieuse qu’il va faire dans le corpus troubadouresque pour chercher les dispositions de rimes voisines de celles employées par les Siciliens, Antonelli plonge ses filets dans le catalogue d’Istvan Frank et le résultat de sa pêche est très intéressant. Je ne le suivrai pas ici. Il est probable que son travail restera la base de toute discussion ultérieure. Je ne retiendrai pour mon propos qu’un seul exemple, qui témoigne de l’acuité du regard du savant italien.
2 13 Lanfranc Cigala, Troubadour génois des mêmes années
2 13 1 dont on connaît une tenson avec mon ancêtre Rubaut
2 14 compose un « sirventese di due sole strofe unisonans, si chiude con una tornata di tre versi uguale alla sirma*
2 14 1 * la fin de la formule de rimes de la strophe, dans la terminologie de Dante
2 15 « Dunque, nel manoscritto, e per il lettore, con un’ ultima strofa rimata abababab ; aab + aab, ovvero esattamente lo schema di « eo viso » di Giacomo »
2 16 Ce travail achevé, Roberto Antonelli reprend pour conclure la conclusion qu’il avait présentée dès le début : que Giacomo da Lentini a consciemment fourni à la poésie « frédéricienne » un « componimento e un genere monostrofico, polivalente, di tonalità minore, sul tipo delle coblas e tenzoni ». bref, il a bien inventé le sonnet et le sonnet est bel et bien une innovation majeure qui ‘surpasse’ le trobar. Et italienne. CQFD.
2 17 Je suis parfaitement d’accord sur le fait que la forme sonnet est une innovation majeure dans le champ des formes poétiques, qu’il s’agit d’une forme différente de celles que ‘trouvèrent’ les Troubadours, quoique pas ‘supérieure’ , ce qui n’a aucun sens, mais autre. Cependant :
2 18
Giacomo da Lentini n’a pas inventé le sonnet.
§3 Giacomo da Lentini, dis-je, n’a pas inventé le sonnet. Et je le prouve.
3 1 Qu’a-t-il donc fait ? en bon disciple des Troubaours, il a inventé une forme oiriginale de cobla
3 2 que lui-même, ses complices et successeurs ont adopté avec enthousisame ; une forme de cobla qui, avec les années a acquis un très grand Pretz. Mais
3 3 Rien n’indique que lui, ni les autres, n’ont eu ‘conscience’ d’avoir mis sur le marché poétique une forme nouvelle.
3 4 On constate avec amusement que Roberto Antonelli, toujours dans le même article, énonce, sans s’en rendre compte, un argument décisif à l’encontre de sa propre thèse
3 5 « cio che oggi definiamo ‘Sestina’ s’impone come genere, si costituice in tradizione, solo grazie agli imitatori ». C’est parce que de nombreux poètes, longtemps après Arnaut Daniel, ont composé des sextines et les ont nommés sextines, en ayant conscience du fait quil s’agissait d’une forme distincte de la canzone, que le poème construit selon la même formule est devenue la forme-sextine.
3 5 1 Immédiatement après cet remarque dévastatrice, sentant sans doute confusément le danger, il tente de revenir en arrière
3 5 2 Il y a « nelle ricerca di Arnaut una evidenta voluntà di coerenza … nel perseguire una forme precisa ». Sans doute, mais à aucun moment ne se manifeste une quelconque intention de sortir du champ formel de la canso.
3 6 L’invention du sonnet est postérieure de presque un demi-siècle et de plus d’un millier d’exemples à Giacomo da Lentini. Elle est due pour moitié à Guido Cavalcanti, qui non seulement adopte le nom, sonetto, choisi par Guittone d’Arezzo pour désigner cette variété de cobla, mais est responsable de l’innovation majeure dans la formule de rimes qui consiste a disposer les huit premier vers en deux quatrains à disposition ‘embrassée’, abba abba.
3 7
E29
Chi è questa che vèn, ch’ogn’om la mira,
che fa tremar di chiaritate l’âre
e mena seco Amor, sì che parlare
null’omo pote, ma ciascun sospira?
O Deo, che sembra quando li occhi gira!
dical’Amor, ch’i’ nol savria contare:
cotanto d’umiltà donna mi pare,
ch’ogn’altra ver’ di lei i’ la chiam’ira.
Non si poria contar la sua piagenza,
ch’a le’ s’inchin’ogni gentil vertute,
e la beltate per sua dea la mostra.
Non fu sì alta già la mente nostra
e non si pose ‘n noi tanta salute,
che propiamente n’aviàn canoscenza.
E29a 3 6 1 traduction d’Ezra Pound
Who is she that comes, makyng turn every man’s eye
And makyng the air to tremble with a Bright clearnesse
That leadeth with her Love, in such nearness
No man may proffer of Speech more than a sigh ?
Ah God, what she is like when her owne eye turneth, is
Fit for Amor to speake, for I can not at all ;
Such is her modesty, I would call
Every woman else but an useless uneasiness.
No one could ever tell all of her pleasauntness
In that every High noble vertu leaneth to herward,
So beauty sheweth her forth as her Godhede ;
Never before was our mind so High led,
Nor have we so much of heal as will afford
That our thought may take her immédiate in its embrace.
3 8 L’autre moitié de la responsabilité est à mettre au compte de Pétrarque qui, après Dante et Cino da Pistoia, rend ‘canonique’ l’invention cavalcantienne.
3 9 A partir du moment où la forme-sonnet existe, ne fait plus partie de l’héritage direct, par translation linguistique, du trobar, après coup donc, on peut désigner les poèmes de Giacomo da Lentini comme sonnets. Mais il n’est pas possible, sans anachronisme, d’antidater, dans une étude historique, le moment de l’invention.
3 9 1 Michael Oakeshott : réflexion sur la notion d’événement historique :
By an historical event I mean an occurrence or situation, inferred from surviving record, alleged to be what was actually happening, in a certain respect, then and there, and understood in terms of the mediation of its emergence; that is, understood as an eventus or outcome of what went before ”. D’où il résulte que …. “ historical events are immune to the criticism of the future: an earlier event cannot be made more historically intelligible in terms of later events ”
§4 Un petit choix de sonnets, De Giacomo da Lentini à Cavalcanti
4 1 Ce choix répond à des critères d’excellence, c’est à dire qu’il comprend les quelques sonnets que je considère comme ayant le plus de valeur esthétique, selon mon jugement personnel. Dans le paragraphe suivant je placerai des textes significatifs sur le plan formel d’évolution de la forme
4 2
de Giacomo da Lentini
I
Amor è un[[o]] desio che ven da core (see E28)
II
E30
Or come pote sì gran donna entrare
per gli ochi mei che sì piccioli sone?
e nel mio core come pote stare,
che ‘nentr’esso la porto là onque i’ vone?
Lo loco là onde entra già non pare,
ond’io gran meraviglia me ne dòne;
ma voglio lei a lumera asomigliare,
gli ochi mei al vetro ove si pone.
Lo foco inchiuso, poi passa difore
lo suo lostrore, sanza far rotura:
così per gli ochi mi pass’a lo core,
no la persona, ma la sua figura.
Rinovellare mi voglio d’amore,
poi porto insegna di tal criatura.
E30a
Comment donc une si grande dame a-t-elle pu entrer
Par mes yeux qui sont si petits ?
Et comment peut-elle se tenir dans mon cœur
Qui la porte en lui ou qu’il aille ?
On ne voit pas l’endroit par où elle entre,
Ce qui me donne grand étonnement ;
Mais je la veux comparer à la lumière,
Et mes yeux, au verre où elle se pose.
Du feu qui y est inclus, l’éclat
Passe au dehors sans le briser :
C’est ainsi que par mes yeux pass à mon cœur,
Non point la personne mais son image.
Je veux me rénover par l’amour,
Puisque je porte dans mon cœur l’enseigne d’une telle créature
E31
4 2 1 Guy Le fèvre de la Boderie L’encyclie de secrets de l’Eternité
Aux naturalistes et mécréants
Comme le beau Soleil de surgeon pérennel
Dardant son rais subtil pénètre une verrière
Sans le verre casser, et sans que sa lumière
Il retranche d’avec son pur rayon isnel :
Ainsi nous envoya Dieu le Père éternel
Son Verbe et sa splendeur dedans la Vierge entière,
Sans fendre son cristal ni rompre sa barrière,
Et sans se séparer du surgeon paternel.
Vous qui ne donnez foi à la sainte écriture,
Remarquez ce mystère au livre de Nature :
Ouvrez les yeux de l’Âme afin d’apercevoir
Le Soleil du soleil qui dans les cœurs veut naître :
Et n’attribuez plus au serviteur qu’au maître :
Puissant doit être cil qui donne à tous pouvoir.
4 3
E32
III
Io m’aggio posto in core a Dio servire
com’io potesse gire in paradiso,
al santo loco, c’aggio audito dire,
o’ si mantien sollazzo, gioco e riso.
Sanza mia donna non vi voria gire,
quella c’à blonda testa e claro viso,
che sanza lei non poteria gaudere,
estando da la mia donna diviso.
Ma no lo dico a tale intendimento,
perch’io pecato ci volesse fare;
se non veder lo suo bel portamento
e lo bel viso e ‘l morbido sguardare:
che·l mi teria in gran consolamento,
veggendo la mia donna in ghiora stare.
E32a
4 3 1 Dante Gabriel Rossetti
I have it in my heart to serve God so
That into Paradise I shall repair, –
The holy place through the which everywhere
I have heard say that joy and solace flow.
Without my lady I were loth to go, –
She who has the bright face and the bright hair;
Because if she were absent, I being there,
My pleasure would be less than nought, I know.
Look you, I say not this to such intent
As that I there would deal in any sin:
I only would behold her gracious mien,
And beautiful soft eyes, and lovely face,
That so it should be my complete content
To see my lady joyful in her place.
4 4
de Guido Guinizelli
IV
E33
Lo vostro bel saluto e ‘l gentil sguardo,
che fate quando v’encontro, m’ancide:
Amor m’assale e già non ha reguardo
s’elli face peccato over merzede,
ché per mezzo lo cor me lanciò un dardo
ched oltre ‘n parte lo taglia e divide;
parlar non posso, ché ‘n pene io ardo
sì come quelli che sua morte vede.
Per li occhi passa come fa lo trono,
che fer per la finestra de la torre
e ciò che dentro trova spezza e fende;
remagno como statüa d’ottono
ove vita né spirto non ricorre,
se non che la figura d’omo rende.
V
E34
Vedut’ho la lucente stella diana,
ch’apare anzi che ‘l giorno rend’albore,
c’ha preso forma di figura umana;
sovr’ogn’altra me par che dea splendore:
viso de neve colorato in grana,
occhi lucenti, gai e pien’ d’amore;
non credo che nel mondo sia cristiana
sì piena di biltate e di valore.
Ed io dal suo valor son assalito
con sì fera battaglia di sospiri
ch’avanti a lei di dir non seri’ ardito.
Così conoscess’ ella i miei disiri!
ché, senza dir, de lei seria servito
per la pietà ch’avrebbe de’ martìri.
VI
E35
Io voglio del ver la mia donna laudare
ed asembrarli la rosa e lo giglio:
più che stella dïana splende e pare,
e ciò ch’è lassù bello a lei somiglio.
Verde river’ a lei rasembro e l’âre,
tutti color di fior’, giano e vermiglio,
oro ed azzurro e ricche gioi’ per dare:
medesmo Amor per lei rafina meglio.
Passa per via adorna, e sì gentile
ch’abassa orgoglio a cui dona salute,
e fa ‘l de nostra fé se non la crede;
e no lle pò apressare om che sia vile;
ancor ve dirò c’ha maggior vertute:
null’om pò mal pensar fin che la vede.
E35a
In verity I’d sing my lady’s praise,
With rose and lily-flower her face compare:
Like to the morning star her beauty’s rays,
Like to a saint in heaven, ah, wond’rous fair!
Green shades are like her and the breeze as well,
All hues, all blossoms, flushed and pale,
beside Silver and gold and rare stones’ lustrous spell;
Even Love himself in her is glorified.
She goes her way so gentle and so sweet,
Pride falls in whomsoever she doth meet,
Worthless the heart which scorneth such delight!
Ungentle folk may not endure her sight,
And a still greater virtue I aver:
No man thinks ill hath he but looked on her.
VII
E36
Chi vedesse a Lucia un var capuzzo
in cò tenere, e como li sta gente,
e’ non è om de qui ‘n terra d’Abruzzo
che non ne ‘namorasse coralmente.
Par, sì lorina, figliuola d’un tuzzo
de la Magna o de Franza veramente;
e non se sbatte cò de serpe mozzo
come fa lo meo core spessamente.
Ah, prender lei a forza, ultra su’ grato,
e baciarli la bocca e ‘l bel visaggio
e li occhi suoi, ch’èn due fiamme de foco!
Ma pentomi, però che m’ho pensato
ch’esto fatto poria portar dannaggio
ch’altrui despiaceria forse non poco.
E36a
A voir Lucie coiffée d’un chaperon / de petit-gris qui lui sied à ravir, / il n’est, d’ici jusqu’en terre d’Abruzze, / homme qui ne serait tout feu tout flamme. // En cet atour, on croirait qu’elle est fille / d’un Teuton d’Allemagne ou d’un Français: / tête coupée d’un serpent ne s’agite / plus violemment que ne le fait mon coeur. /// Ah! la prendre de force, outre son gré, baiser sa bouche et tout son beau visage, / et ses yeux tels deux flammèches de feu! // ici je me ravise, ayant songé / que ce geste pourrait me faire tort / en risquant fort de déplaire à telle autre. //// )
de Guido Cavalcanti
VIII
E37
Avete ‘n vo’ li fior’ e la verdura
e ciò che luce ed è bello a vedere;
risplende più che sol vostra figura:
chi vo’ non vede, ma’ non pò valere.
In questo mondo non ha creatura
sì piena di bieltà né di piacere;
e chi d’amor si teme, lu’ assicura
vostro bel vis’a tanto ‘n sé volere.
Le donne che vi fanno compagnia
assa’ mi piaccion per lo vostro amore;
ed i’ le prego per lor cortesia
che qual più può più vi faccia onore
ed aggia cara vostra segnoria,
perché di tutte siete la migliore.
E37a
Vous avez en vous les fleurs et la verdure, / et tout ce qui brille ou est bel à voir. / Votre visage replendit plus que le soleil; / qui ne vous voit point ne peut jamais être valeureux. // Il n’est en ce monde créature / aussi pleine de beauté et de plaisance, / et celui qui craint Amour, votre beau visage / l’exhorte à vouloir en lui quelque chose d’aussi grand. /// Les dames qui vous font compagnie / me plaisent fort pour l’amour de vous, / et je les prie, par leur courtoisie, / de vous rendre honneur le plus qu’elles peuvent, / et de chérir votre seigneurie, / car c’est vous qui de toutes êtes la meilleure. ////).
IX
E38
Biltà di donna e di saccente core
e cavalieri armati che sien genti;
cantar d’augelli e ragionar d’amore;
adorni legni ‘n mar forte correnti;
aria serena quand’apar l’albore
e bianca neve scender senza venti;
rivera d’acqua e prato d’ogni fiore;
oro, argento, azzuro ‘n ornamenti:
ciò passa la beltate e la valenza
de la mia donna e ‘l su’ gentil coraggio,
sì che rasembra vile a chi ciò guarda;
e tanto più d’ogn’altr’ha canoscenza,
quanto lo ciel de la terra è maggio.
A simil di natura ben non tarda.
E38a
A quick perceptiveness, a woman’s charm,
a windless city white with falling snow,
the gallant courtesy of men-at-arms,
the blue of lazuli, the warmth of gold,
the song of birds, the reasonings of lovers,
a breeze at daybreak when the dawn is pale,
a flowered meadow full of all the colors,
galleons running under press of sail:
all these are second to my lady’s worth.
No one seeing her would wish to trade
her presence for the wonders on that list.
Aptness for joy is in the way she’s made—
her heart has knowledge which excels the rest
as heaven’s sphere is greater than the earth.
E38b trad Ezra Pound
Beauty of woman, of the knowing heart,
And courtly knights in bright accoutrement
And loving speeches and the small birds’ art,
Adorned swift ships which on high seas are sent,
And airs grown calm when white the dawn appeareth
And white snow falling where no wind is bent,
Brook-marge and mead where every flower flareth
And gold and silver and azure and ornament:
Effective ‘gainst all these think ye the fairness
And valour of my Lady’s lordly daring?
Yea, she makes all seem base vain gathering,
And she were known above whom’er you’d bring
As much as heaven is past earth’s comparing:;
Good seeketh out its like with some address.
E38c
Beauté de dame et d’esprit savant / et gents chevaliers en armes, / chants d’oiseaux et propos d’amour, / nefs pavoisés courant en haute mer, // air serein à l’apparition de l’aube, / et blanche neige tombant sans vent, / rivière vive et prairie aux mille fleurs, / ornements d’or, d’argent, ou d’azur; // tout cela, la grande beauté et la plaisance de ma dame / et son gent coeur le surpassent, / au point de le faire paraître vil en comparaison. // Et elle a plus de courtoisie que toute autre, / tout autant que le ciel est plus grand que la terre. / Pour qui est de semblable nature qu’elle, le bonheur ne tarde pas. //// )
see E29
X (§3 7)
Chi è questa che vèn, ch’ogn’om la mira,
….
XI
E39
Tu m’hai sì piena di dolor la mente,
che l’anima si briga di partire,
e li sospir’ che manda ‘l cor dolente
mostrano agli occhi che non può soffrire.
Amor, che lo tuo grande valor sente,
dice: «E’ mi duol che ti convien morire
per questa fiera donna, che niente
par che pietate di te voglia udire».
I’ vo come colui ch’è fuor di vita,
che pare, a chi lo sguarda, ch’omo sia
fatto di rame o di pietra o di legno,
che si conduca sol per maestria
e porti ne lo core una ferita
che sia, com’egli è morto, aperto segno.
E39a
Tu as tellement comblé mon esprit de douleur / que mon âme s’efforce à partir, / et les soupirs quexhale mon coeur douloureux / font voir (aux yeux) qu’il ne peut (plus résister. // Amour, qui ressent ta grande valeur, / dit: « J’ai peine que tu doive mourir / du fait de cette Dame cruelle qui semble / ne (vouloir) point avoir pitié de toi « . /// je vais comme quelqu’un qui est hors de vie, / qui semble aux regards (comme s’il était) / fait de bronze, ou de pierre ou de bois, // qui se meut comme par magie / et porte au coeur une blessure / qui est le signe manifeste qu’il est mort. //// )
XII
E40
Noi siàn le triste penne isbigotite,
le cesoiuzze e ‘l coltellin dolente,
ch’avemo scritte dolorosamente
quelle parole che vo’ avete udite.
Or vi diciàn perché noi siàn partite
e siàn venute a voi qui di presente:
la man che ci movea dice che sente
cose dubbiose nel core apparite;
le quali hanno destrutto sì costui
ed hannol posto sì presso a la morte,
ch’altro non n’è rimaso che sospiri.
Or vi preghiàn quanto possiàn più forte
che non sdegniate di tenerci noi,
tanto ch’un poco di pietà vi miri.
E40a
Nous sommes les tristes plumes angoissées, / les petits ciseaux et le canif attristé, / qui avons écit dans la douleur / ces paroles que vous avez ouïes. // or, nous vois dirons pourquoi nous sommes partis / et sommes maintenant venus vers vous ici: / la main qui nous animait dit su’elle sent / apparaître dans son coeur des choses redoutables /// qui ont tellement ravagé celui-ci / et l’on conduit si près de la mort / qu’il n’en est plus resté que des soupirs. // Nous vous prions, de toutes nos forces, de ne point refuse de nous garder, / jusqu’à ce qu’un peu de pitié vous regarde. //// )
XIII
E41
O tu, che porti nelli occhi sovente
Amor tenendo tre saette in mano,
questo mio spirto che vien di lontano
ti raccomanda l’anima dolente,
la quale ha già feruta nella mente
di due saette l’arciere soriano;
a la terza apre l’arco, ma sì piano
che non m’aggiunge essendoti presente:
perché saria dell’alma la salute,
che quasi giace infra le membra, morta
di due saette che fan tre ferute:
la prima dà piacere e disconforta,
e la seconda disia la vertute
della gran gioia che la terza porta.
E41a
O you who often bear Love in your eyes
Carrying three arrows in his hand,
In this, my thought come from afar
Commends to you a grieving spirit,
Already twice wounded in the mind
By the arrows of the Syrian archer;
A third time bends his bow so lightly,
He touches me not you being present:
Because of which my soul is saved
Almost sunk in every member, dead
Of two arrows dealing triple wounds:
The first is one of disquieting pleasure,
The second of desire filled with longing
For the great joy that the third wound brings.
§5 Un parcours formel, jusqu’à Cavalcanti
5 1 Les ‘siciliens’ après Giacomo da Lentini ajoutent deux dispositions de rimes nouvelles dans le sizain final. Les deux textes sont anonymes.
5 2 dce
E42
Pozo ‘l corpo ‘n un loco meo pigliando
e svarïando – la memoria giva,
un’ i[n]ve[r] nobel figura restando
e riguardando – stava me, pensiva,
dubbiosamente grand’or dimorando,
forte dottando – se gente veniva;
e, non vedendo, [a] me flor donando,
che odorando – poi el molto auliva.
Ed eo, sentendo l’odor, su levai
e riguardai – per veder l’albore,
che fe’ tal fiore; – vidil no già nente.
E, non vedendol, mizim’ al sentore,
e, per l’odore, – l’albore trovai
e riposai – a l’umbra lungiamente.
5 3 edc
E43
[S]’Amor, da cu[i] procede ben e male,
fosse visibil cosa per drittura,
sarebbe senza fallo appunto tale
chente si mostra nella [di]pintura:
garzon[e] col turcasso a la cintura,
saettando, nudo, cieco, ricco d’ale;
dell’ala sembl’angelica figura,
ma, chi l’asaggi, egl’è guerrer mortale,
che spoglia cor di libertà regnante
e fascia gli occhi de la canoscenza,
saettando disianza perigliosa;
e nel turcascio ten la gioi ascosa
di darla sì dopo lunga soffrenza,
ch’i’ tegno ben garzon ciascun amante.
5 4 Bien qu’il soit le premier à employer le terme technique de ‘sonetto’, Guittone d’Arezzo ne peut pas être considéré comme l’inventeur cherché. Car son œuvre montre clairement qu’il continue à travailler en disciple se voulant fidèle des Troubadours. La cobla sicilienne qu’il emploie très abondamment, et qu’il juge digne d’une désignation spéciale, est associée par lui avec au moins une variation qui est un allongement de la formule, comme les Troubadours ont l’habitude de le faire.
5 5 Le poème suivant a la formule
AaBAaB AaBAaB CcDdC DdCcD
où les minuscules désignentles vers courts.
5 6
Guittone d’Arezzo
E44
O benigna, o dolce, o graziosa,
o del tutto amorosa,
madre del mio Signore e Donna mia,
ove fugge, ove chiama, o’ sperar osa
l’alma mia bisognosa,
se tu, mia miglior madre, haila in obbria?
Chi se non tu misericordiosa?
chi saggia o poderosa
o degna in farmi amore e cortesia?
Mercé dunque, non più mercé nascosa,
né paia in parva cosa;
ché grave in abbondanza è carestia,
né sanaría la mia gran piaga fera
medicina leggera.
Ma se tutta sì fera e brutta pare,
sdegneraila sanare?
Chi gran mastro, che non gran piaga chera?
se non miseria fusse, ove mostrare
si poría né laudare
la pietà tua tanta e sì vera?
Convèn dunque misèra,
a te, Madonna, miseranda orrare.
5 7 Une autre variation est due à Monte Andrea
ababababab cdcdcd
où le huitain est changé en un dixain
1 8
E45
Dolente me, son morto ed ag[g]io vita,
non posso prender mai consumamento:
sempre cor’ e corp’ ho, l’arm’ è guernita
di dolorosi mai stando in tormento.
Non veg[g]io mai ch’io possa aver fenita,
però di me morire v’aconsento:
poi dal corpo l’arma fosse partita,
fora saria di tanto strug[g]imento;
ma di tal guisa ho questa ferita,
non farò da dolor mai partimento.
Ma tuttavia pur di male in peg[g]io
ognor sormonto: Deo, come ne scampo?
ché non fenisco tanto mal proseg[g]io?
Verso di me ha preso tanto campo
lo mal d’Amore, ca s’io vado o reg[g]io,
sono preso d’un foco ond’i’ sì avampo.
E45a
Hélas, je suis à la fois mort et vif,
Sans espoir de tomber jamais en cendres :
Cœur et corps tiennent bon, tandis que l’âme
Est tourmentée de poignantes douleurs.
Est tourmentée de poignantes douleurs.
Ne voyant pas la fin de ce supplice,
Je consens à mourir de votre main :
Lorsque mon âme aura quitté mon corps,
Je serai délivré de tous ces maux,
Car ma blessure est elle que jamais
De la douleur je ne pourrai me défaire.
Et mon mal va croissant de jour en jour :
Dieu, comment puis-je espérer m’y soustraire ?
Pourquoi rester sous un joug si cruel ?
Le mal d’amour a pris tel avantage
Sur moi, que je demeure prisonnier,
Où que j’aille, du feu qui me dévore.
§6 Dante apparait
6 1 Au chant 24 du Purgatoire Dante, se surpassant dans la mauvaise foi, au coeur de ce chant, en une sorte d’incise, brossant un de ces tableaux pervers dont il a le secret, a mis en scène à l’intention de la postérité (avec sa redoutable efficacité habituelle), en vue de détruire définitivement sa réputation, un poète, Bonagiunta Orbicciani da Lucca.
6 2 Bonagiunta, apercevant Dante, s’adresse à lui; comme à l’auteur qu’il croit reconnaître, d’une canzone dont il récite le premier vers, ce qui permet à Dante un peu d’autocitation (on n’est jamais si bien servi que par soi-même)
6 3
E46
Ma di’ s’i’ veggio qui colui che fore
trasse le nove rime, cominciando
» Donne ch’avete intelletto d’amore »
E io a lui » I’ mi son un, che quando
Amor mi spira, noto, e a quel modo
ch’e’ ditta dentro vo’ significando ».
» O frate, issa vegg’io » diss’elli » il nodo
ch ‘l Notaro e Guittone e me ritenne
di qual dolce stil novo ch’i’ odo!
Io veggio ben come le vostre penne
di retro al dittator sen vanno strette,
che delle nostre certo non avvenne;
e qual più a guardare oltre si mette,
non vede più d’all’uno all’altro stilo « ;
e, quasi contentato, si tacette.
6 3 1
E46a
Mais dis-moi si je suis devant cet homme même
auteur des vers nouveaux qui commencent ainsi :
Dames qui comprenez ce que c’est que l’amour ? »
Je dis : « Je suis quelqu’un qui ne fait que noter
lorsque l’amour m’inspire, et traduire en paroles
à mesure qu’il dicte au-dedans de mon cœur. »
Il dit : « Frère, à présent je sais ce qui manquait
au Notaire, à Guitton ! et à mes propres vers
pour atteindre au doux style à la mode aujourd’hui.
Et je comprends aussi comment avec vos plumes
vous suivez au plus près celui qui vous inspire,
ce qui certainement n’était pas notre cas.
Cependant, pour celui qui regarde de près,
passant d’un style à l’autre, c’est tout ce qu’il verrait. »
Il se tut sur cela, d’un air presque content.
6 4 Bonagiunta n’est pas bien vu de Dante. Il a osé polémiquer avec Guido Guinizelli, le bolognais, que Dante a choisi comme devant jouer le rôle de Saint Jean l’annonciateur en chef de son propre génie
6 4 1 sans lui demander son avis et en le flanquant quand même dans le Purgatoire, parmi les ‘luxurieux’
6 4 1 1 il y est en bonne compagnie: avec le Troubadour Arnaut Daniel
6 4 2 peut être à cause d’une certaine Lucia et son petit capuchon de petit-gris, « var capuzzo » E36
6 4 3 Dante, on le sait, est très généralement prude, d’une prudité fort bcbg.
6 5 Il emploie ici un de ses procédés favoris: ayant mis son ennemi en Enfer ou en Purgatoire (ses amis aussi, d’ailleurs) par décision stratégique, une de ses tactiques consiste à faire faire au malheureux, en le distrayant de son occupation présente qui demande une grande concentration, que ce soit sur son supplice infernal ou sur le pensum éternellement répétitif de sa réhabilitation au Purgatoire (à la longue l’Enfer ne doit guère paraître très différent du Purgatoire, qui est pire peut-être même) ce que plus récemment, dans une autre version d’Enfer, augmenté de Purgatoire (mais en vrai), on appellait une autocritique.
6 5 1 Je sais que le mot dans ce contexte est anachronique, mais je ne vois pas pourquoi je me priverais d’être de mauvaise foi; je ne fais que m’inspirer du maître
6 6 Bonagiunta reconnait donc qu’il a eu tort de s’opposer sans rien y comprendre au doulx stile nouvel, au dolce stil novo..
6 6 1 Il s’agit sans doute du sonnet qu’il envoie à Guinizelli
6 6 2
E47
Voi, c’avete mutata la mainera
de li plagenti ditti de l’amore
de la forma dell’esser là dov’era,
per avansare ogn’altro trovatore,
avete fatto como la lumera, 5
ch’a le scure partite dà sprendore,
ma non quine ove luce l’alta spera,
la quale avansa e passa di chiarore.
Così passate voi di sottigliansa,
e non si può trovar chi ben ispogna, 10
cotant’è iscura vostra parlatura.
Ed è tenuta gran dissimigliansa,
ancor che ’l senno vegna da Bologna,
traier canson per forsa di scrittura.
E47a
(trad. stegmuller – Vous qui avez changé la manière / des plaisantes poésies d’amour / par la forme, par l’essence, par l’origine, / pour supasser tous les autres poètes. // Vous avez fait comme la lumière / qui donne de l’éclat aux endroits sombres, / mais non point là où brille le haut rayon / qui la surpasse et qui l’emport sur elle en clarté. /// Ainsi vous l’emportez en subtilité sur quiconque, / et on ne peut trouver personne qui (vous) esplique bien, / tant votre langage est obscur. // E l’on tient pour une chose très étrange, / bien que le savoir vienne de Bologne, / de faire de la poésie à force d’étude. ////)
6 6 2 1 auquel Guinizelli aurait répondu
E48
Omo ch’è saggio non corre leggero,
ma a passo grada sì com’ vol misura:
quand’à pensato, riten su’ pensero
i nfin a tanto che ’l ver l’asigura.
Foll’è chi crede sol veder lo vero 5
e non pensare che altri i pogna cura:
non se dev’omo tener troppo altero,
ma dé guardar so stato e sua natura.
Volan ausel’ per air di straine guise
ed han diversi loro operamenti, 10
né tutti d’un volar né d’un ardire.
Dëo natura e ’l mondo in grado mise,
e fe’ despari senni e intendimenti:
Perzò ciò ch’omo pensa non dé dire.
6 6 3 Un trait récurrent dans les manières d’être des gangs litttéraires est de revendiquer ainsi l’éclat de la nouveauté pour des comportements et des inventions qui souvent ne sont que la mise d’habits neufs sur de vieilles outres
6 6 4 Dans la mesure ou le Dolce stil novo (D.s.n.) existe, s’il n’est pas une simple dénomination choisie par Dante pour donner plus de lustre à sa propre démarche (ensuite transformée en école par les philologues), ce qu’il a de neuf est de retrouver un des accents d’intensité de la poésie des Troubadours qui s’était un peu perdu dans les versions plus arides et parfois légérement scolastiques des poètes italiens post-troubadouresques comme Bonagiunta précisément, et surtout dans la voix de son maître à lui Guittone d’Arezzo, qu’on a appelé (sans très bien comprendre sa démarche, d’ailleurs) Guittone dell’aridità..
6 6 5 Mais le D.s.n. témoigne aussi d’une très réelle régression. Le caractère moralement bon chic bon genre de cette poésie amoureuse dont tout accent de désir reconnaissable franc et direct est retranché (sauf résurgences spasmodiques comme la brusque passion incontrôlée du sonnet de Guinizelli pour la belle Lucia, par exemple, (ou de l’altro Guido, Cavalcanti dans sa suave ‘pastourelle’: « or è stagione / di questa pasturella gio’ pigliare / « )), (c’est le moment de jouir de cette pastourelle),
6 6 6 Le conformisme éthique qui la met en accord moins avec l’enseignement dit évangélique du christianisme qu’avec les directives de l’Eglise catholique dans ses injonctions les plus redoutables, donne naissance à une poésie sublime certes mais quelquefois un peu édentée.
§7 Trois sonnets du Dante
7 1
XIV
E49
A ciascun’alma presa e gentil core
nel cui cospetto ven lo dir presente,
in ciò che mi rescrivan suo parvente,
salute in lor segnor, cioè Amore.
Già eran quasi che atterzate l’ore
del tempo che onne stella n’è lucente,
quando m’apparve Amor subitamente,
cui essenza membrar mi dà orrore.
Allegro mi sembrava Amor tenendo
meo core in mano, e ne le braccia avea
madonna involta in un drappo dormendo.
Poi la svegliava, e d’esto core ardendo
lei paventosa umilmente pascea:
appresso gir lo ne vedea piangendo.
E49a
A toute âme éprise et à tout noble cœur
A qui parviendra ceci
Afin qu’ils m’en retournent leur avis,
Salut dans la personne de leur Seigneur, c’est-à-dire l’Amour.
Déjà étaient passées les heures
Où les étoiles brillent de tout leur éclat,
Quand m’apparut tout a coup l’Amour
Dont l’essence me remplit encore de terreur.
L’Amour me paraissait joyeux.
Il tenait mon coeur dans sa main et dans ses bras
une femme endormie et enveloppée d’un manteau.
Puis il la réveillait et, ce coeur qui brûlait,
Il le lui donnait à manger, ce qu’elle faisait, craintive et docile,
Puis je le voyais s’en aller en pleurant.
Vita Nova III 10-12
7 2
XV
E50
Tanto gentile e tanto onesta pare
la donna mia quand’ella altrui saluta,
ch’ogne lingua deven tremando muta,
e li occhi no l’ardiscon di guardare.
Ella si va, sentendosi laudare,
benignamente d’umiltà vestuta;
e par che sia cosa venuta
da cielo in terra a miracol mostrare.
Mostrasi sì piacente a chi la mira,
che dà per li occhi una dolcezza al core,
che ‘ntender no la può chi no la prova:
e par che de la sua labbia si mova
un spirito soave pien d’amore,
cha va dicendo a l’anima: Sospira.
E50a
Ma Dame se montre si aimable
Et si modeste quand elle vous salue
Que la langue vous devient muette et tremblante,
Et les yeux n’osent la regarder.
Elle s’en va revêtue de bonté et de modestie
En entendant les louanges qu’on lui adresse.
Elle semble être une chose descendue du ciel
Sur la terre pour y faire voir un miracle.
Elle est si plaisante à qui la regarde
Que les yeux en transmettent au coeur une douceur
Que ne peut comprendre qui ne l’a pas éprouvée.
Il semble que de son visage émane
Un esprit suave et plein d’amour
Qui va disant à l’âme : soupire !
Vita Nuova XXVI
7 3
XVI
E51
DANTE A GUIDO CAVALCANTI
Guido, i’ vorrei che tu e Lapo ed io
fossimo presi per incantamento
e messi in un vasel, ch’ad ogni vento
per mare andasse al voler vostro e mio;
sì che fortuna od altro tempo rio
non ci potesse dare impedimento,
anzi, vivendo sempre in un talento,
di stare insieme crescesse ‘l disio.
E monna Vanna e monna Lagia poi
con quella ch’è sul numer de le trenta
con noi ponesse il buono incantatore:
e quivi ragionar sempre d’amore,
e ciascuna di lor fosse contenta,
sì come i’ credo che saremmo noi.
7 3 1
E51a
Guido, I wish that Lapo, you, and I
could board a vessel, by transporter beam,
that sailed by will alone wherever seemed
desirable to go, beneath all skies.
Whatever waves that tossed or gales that blew
would never be allowed to spoil the fun.
We’d share a single wish and think as one,
as our desire to stay together grew.
And Guido, we’d try beaming up the dames!
We’d take the ladies Vanna, Bess, and her
whom I discreetly call the Mistress Trenta.
Love, of course, would be the main agenda —
that would keep ’em happy I am sure,
and well I know that we would be the same.
§8 La stratégie du Dante
8 1 Bonagiunta, le Bonagiunta inventé par Dante, se confesse troisième d’une famille dont le père fondateur, le patriarche, est le maître d’école des Siciliens, il Notaro, le ‘Notaire’. Le fils spirituel du Notaro et père spirituel de Bonagiunta étant Guittone, Guittone d’Arezzo. L’autocritique de Bonagiunta, dans l’excellente tradition stalinienne héritière elle-même de certaines habitudes inquisitoriales), sert en même temps comme dénonciation de ses inspirateurs: d’une pierre trois coups.
8 2 Le raisonnement est très net: Il y a les bons et il y a ceux qui ne le sont pas, par méchanceté ou par impuissance. Qui sont-ils? – Première génération: il Notaro – deuxième génération: Guittone – troisième (et dernière avant le Purgatoire) Bonagiunta. Bonagiunta a réprimandé Guido Guinizelli (le premier des bons) – or de Guido (Guinizelli) procède par parthénogénèse poétique: ou par éclosion d’oeuf; Dante parle ailleurs d’un ‘nid’ )
8 3 un autre Guido (Cavalcanti) –
8 4 Enfin naît, ou sort de l’oeuf, héritier suprême, le Phénix des hôtes des bois du Mont Parnasse, territoire des Muses, Dante soi-même, tel qu’en lui-même l’éternité, convenablement préparée par la Divine Comédie , le change.
8 5 Il chasse tout ce beau monde du nid, les bons comme les méchants; les amis comme les ennemis. Cavalcanti, le Guido number two , est à Guinizelli, le Guido number one, ce que Bonagiunta est à Guittone – Guittone est au Notaro ce que Guido (Cavalcanti) est à Dante.
8 6 Tout cela résulte immanquablement de la Théorie vénérable des Proportions.
8 7 Car les générations poétiques s’opposent, mais dans l’ordre inverse, du point de vue de la valeur, dont les espèces sonnantes sont les vers, endécasyllabiques de préférence.
8 8 Du Notaire au Frère (Guittone) et de Guittone au Lucquain (Bonagiunta) on est sur la pente descendante. Une hiérarchie dans le lustre des villes, peut-être, s’y reflète.
8 9 De l’un à l’autre Guido (de Bologne à Florence) on est sur le remonte-pente de la gloire, la gloire de la langue, et la gloire des villes (c’est pareil; la bataille de la langue est d’abord une bataille municipale).
8 10 Enfin on arrive au sommet, sur lequel se tient Dante, et duquel, regardant vers le dessous, sur l’autre pente de la cîme éthérée du Paradiso (of course) on peut contempler quarante siècles au bas mot de poésie future. Cela se passe à Florence; car une fois que la poésie est parvenue à Florence, elle ne peut plus en bouger, sous peine de déchoir.
§9 Le but de Dante
9 1 La stratégie dantesque, que je viens de décrire, est au service d’un but : faire de Dante le premier de tous les poètes italiens et donc de tous les poètes. Pour cela, il faut éliminer la concurrence.
9 2 Les Troubadours d’abord : leur langue est inférieure au ‘vulgaire illustre’, le patois de Dante. Ensuite les Siciliens et leurs continuateurs. On l’a vu.
9 3 Le plus difficile à éliminer fut Cavalcanti. Cavalcanti avait été son ami, son aîné, son mentor. Un temps Dante en avait été éperdument reconnaissant E51. Mais Cavalcanti avait été témoin des turpitudes du jeune Dante, et s’était permis de le réprimander,comme en témoigne le sonnet qui suit,
9 4
E52
GUIDO CAVALCANTI A DANTE
I’ vegno il giorno a te infinite volte
e trovoti pensar troppo vilmente:
molto mi dol de la gentil tua mente
e d’assai tue vertù che ti son tolte. 4
Solevanti spiacer persone molte,
tuttor fuggivi l’annoiosa gente;
di me parlavi sì coralmente,
che tutte le tue rime avie ricolte. 8
Or non ardisco per la vil tua vita
far mostramento che tuo dir mi piaccia,
né in guisa vegno a te che tu mi veggi. 11
Se ‘l presente sonetto spesso leggi,
lo spirito noioso che t’incaccia
si partirà da l’anima invilita.
E52a
I DAILY come to thee uncounting times
And find thee ever thinking over vilely;
Much doth it grieve me that thy noble mind
And virtue’s plenitude are stripped from thee;
Thou wast so careless in thy fine offending,
Who from the rabble alway held apart,
And spoke of me so straightly from the heart
That I gave welcome to thine every rime.
And now I care not, sith thy life is baseness
To give the sign that thy speech pleaseth me,
Nor come I to thee in guise visible,
Yet if thou’It read this Sonnet many a time,
That malign spirit which so hunteth thee
Will sound forloyn[1] and spare thy affrighted soul.
Trad Ezra Pound
9 5 C’était impardonnable, on s’en doute. Dante a d’abord tenté de dépasser son maître comme poète, par la Vita Nova, comme théoricien (Il Convito, le De Vulgari Eloquentia). Il s’est peu à peu rendu compte qu’il n’y parviendrait pas. Comme poète, il est estimable mais inférieur. Comme théoricien il n’arrive pas à la hauteur de la canzone ‘Dona me prega’ E20.
9 6 La solution est venue, après la mort de Cavalcanti, disons en 1300, par le roman.
9 7 La Commedia, dite par les français Divine Comédie, est un roman. Un roman autobiographique. Une sorte de ‘Mémoires d’Outre Tombe ». Dante, Chateaubriand médiéval, n’y parle que de lui-même.
9 8 Dans le ‘A la manière de’ de Reboul et Muller, le pastiche de Châteaubriand le représente racontant son voyage aux Etats-Unis. Reçu par les chefs indiens, il prend la parole. Et que dit-il ? « Je leur parlais de moi, et encore de moi »
9 8 Dans ses ‘mémoires’ Dante règle tous ses comptes. Ainsi, Bonagiunta fait son autocritique. C’est bien ; c’est élégant. Mais pour Cavalcanti il atteint le comble du raffinement. Visitant l’Enfer avec Virgile, il croise le père de Cavalcanti qui ne peut bien sûr, qu’être damné. Et celui-ci, le voyant accompagné d’un romain, s’étonne : pourquoi n’est-il pas là avec son fils ? qu’est-il devenu ? il supplie. Et Dante ne répond rien. Beau raffinement sadique.
9 9 Pour refuser à Cavalcanti son rôle primordial dans ce qui allait devenir la ‘forme italienne’ par excellence, le sonnet, détrônant, chassant du ‘nid’ la canzone adorée par Dante, renversant la hiérarchie des formes que celui-ci avait affirmée, comment faire ?
9 10 La chose est plaisante. S’emparant de l’échange polémique entre Bonagiunta et Guinizelli qui ne dit rien de tel, il invente qu’il y est question d’une manière neuve de concevoir la poésie, le ‘dolce stil novo’. Ainsi Cavalcanti n’apparaît plus que comme un suiveur de quelque chose dont il ne comprit pas l’importance. Et seul Dante….
§10 Le sonnet en marche
10 1 Une fois le sonnet désigné comme forme, muni de la formule de rimes de l’octave qui va devenir, avec Pétrarque, sinon la règle du moins le modèle dominant, la forme-sonnet se met en marche pour occuper tout le terrain qui va être, en fait, abandonné par la canzone, qui finira par crever de gigantisme dinosaurien. Le sonnet est prêt potentiellement à tous les emplois.
10 2 En sonnets, dès la fin du 13ème siècle, on polémique, on insulte, on louange, on nostalgie, on aime, on commence à se servir de tous les registres.
10 3 Il faut se limiter. Cinq exemples
10 4
E53
Folgore da san Giminiani
Di giugno
Di giugno dovvi una montagnetta
coverta di bellissimi arbuscelli,
con trenta ville e dodici castelli
che sieno intorno ad una cittadetta,
ch’abbia nel mezzo una sua fontanetta;
e faccia mille rami e fiumicelli,
ferendo per giardini e praticelli
e rifrescando la minuta erbetta.
Aranci e cedri, dattili e lumíe
e tutte l’altre frutte savorose
impergolate sieno per le vie;
e le genti vi sien tutte amorose,
e faccianvisi tante cortesie
ch’a tutto ‘l mondo sieno grazïose.
E53a (trad Rossetti)
JUNE.
- In June I give you a close-wooded fell,
- With crowns of thicket coil’d about its head,
- With thirty villas twelve times turreted,
- All girdling round a little citadel;
- And in the midst a springhead and fair well
- With thousand conduits branch’d and shining speed,
- Wounding the garden and the tender mead,
- Yet to the freshen’d grass acceptable.
- And lemons, citrons, dates, and oranges,
- 10 And all the fruits whose savour is most rare,
- Shall shine within the shadow of your trees;
- And every one shall be a lover there;
- Until your life, so fill’d with courtesies,
Throughout the world be counted debonair.
E54
Cenne da la Chitarra
Di giugno
Di giugno siate in tal[e] campagnetta,
che ve sien[o] corbi ed argironcelli;
le chiane intorno senza caravelli:
entro nel mezzo v’abbia una isoletta,
de la qual esca sì forte venetta,
che mille parte faccia e ramicelli
d’acqua di solfo, e cotai gorgoncelli,
sì ch’ella adacqui ben tal contradetta.
Sorbi e pruni acerbi siano lìe,
nespole crude e cornie savorose;
le rughe sian fangose e stret[t]e vie;
le genti vi sian nere e gavinose,
e faccianvisi tante villanie,
che a Dio ed al mondo siano noiose.
E54a
En juin soyez dans la même petite compagnie / Que vous donnent corbeaux et garcettes ( ?) ; / Alentour, des marais sans caravelles, / Et qu’il y ait une petite île en son milieu. // Qu’il en sorte une source si forte / Qu’elle répande en mille bras / Et en autant de rigoles son eau sulfureuse, / Afin de bien arroser toute la contrée. // Qu’il y ait là des sorbes et des prunelles âpres, / Des nèfles acides et des cornouilles savoureuses ; / Que les routes soient d’étroits sentiers boueux. // Que les gens soient noirs et scrofuleux, / Et qu’il se fasse là tant de saletés, / Qu’elles dégoûtent Dieu et le monde entier. ////
E55
Cecco Angioleri
S’i’ fosse foco, ardere’ il mondo;
s’i’ fosse vento, lo tempestarei;
s’i’ fosse acqua, i’ l’annegherei;
s’i’ fosse Dio, mandereil en profondo;
s’i’ fosse papa, serei allor giocondo,
ché tutti ‘ cristiani embrigarei;
s’i’ fosse ‘mperator, sa’ che farei?
a tutti mozzarei lo capo a tondo.
S’i’ fosse morte, andarei da mio padre;
s’i’ fosse vita, fuggirei da lui:
similemente faria da mi’ madre.
S’i’ fosse Cecco com’i’ sono e fui,
torrei le donne giovani e leggiadre:
le vecchie e laide lasserei altrui.
E55a
If I were fire, I’d burn up the world;
if I were storm, I’d raise a giant swell
and drown it all; if I were God I’d hurl
this rat’s-ass circus all the way to hell.
If I were pope, how happy I would be!
I’d cheat the Christians blind and suck their blood.
To serve as emperor I might agree,
so I could chop off everybody’s head.
If I were death, I’d go to see my dad—
of course with mother I would do the same.
If I were life, I’d run from them like mad.
If I were Cecco, as I was and am,
I’d take the lovely and the lively dames
and leave for you the ugly and the sad.
E56
Rustico di Filippi
Dovunque vai conteco porti il cesso,
oi buggeressa vecchia puzzolente,
che quale unque persona ti sta presso
si tura il naso e fugge inmantenente.
Li dent’i·le gengìe tue ménar gresso,
ché li taseva l’alito putente;
le selle paion legna d’alcipresso
inver’ lo tuo fragor, tant’è repente.
Ch’e’ par che s’apran mille monimenta
quand’apri il ceffo: perché non ti spolpe
o ti rinchiude, sì ch’om non ti senta?
Però che tutto ‘l mondo ti paventa:
in corpo credo figlinti le volpe,
ta·lezzo n’esce fuor, sozza giomenta.
E56a
Où que tu sois, tu emportes tes chiottes,
Comble de puanteur, vieille bougresse,
Tant que quiconque à tes côtés se tient
Le nez bouché et fuit sans plus tarder.
Le tartre de tes dents sort des gencives,
Qu’a infecté ton haleine fétide ;
Toute latrine embaume le cyprès
Auprès de ton odeur, tant elle est forte.
Car on croirait que mille tombes s’ouvrent
Quand tu ouvres le groin : purge-toi donc
Ou cloître-toi, qu’on ne te sente plus ?
C’est pour cela que tu fais peur au monde :
En toi je crois que renarde mit bas,
Telle est ta puanteur, truie répugante.
E57
Compiuta donzella
A la stagion che ‘l mondo foglia e fiora
acresce gioia a tutti fin’amanti,
e vanno insieme a li giardini alora
che gli auscelletti fanno dolzi canti;
la franca gente tutta s’inamora,
e di servir ciascun tragges’inanti,
ed ogni damigella in gioia dimora;
e me, n’abondan marrimenti e pianti.
Ca lo mio padre m’ha messa ‘n errore,
e tenemi sovente in forte doglia:
donar mi vole a mia forza segnore,
ed io di ciò non ho disìo né voglia,
e ‘n gran tormento vivo a tutte l’ore;
però non mi ralegra fior né foglia.
E57a
In the time when the world leafs and flowers,
gentle lovers’ walks are long
and joyous through the fields, to woods and bowers
where little birds delight them with their song.
Every man does service courteously:
They fall in love, of their own free will,
and every maiden spends this time in joy.
But I have wept and I am weeping still
since father goads me till I can’t contain
my feelings of bewilderment and grief:
He wants me to accept, by force, a lord
not of my liking or of my accord.
So every hour I cry and live in pain,
and take no joy in any flower or leaf.
10 5 Remarques diuverses sur les textes précédents :
10 6 Le sonnet de Folgore da San Gimignano fait partie du sequence de 12 sonnets, chacun consacré à un mois de l’année. L’ensemble est nommé ‘corona’. C’est une première tentative de passer outre à la ‘règle’ générale d’autonomie des sonnets. 12 beaux poèmes, de construction savante et subtile, qui ont longtemps été lus avec délices par les érudits comme manifestations du caractère ‘naïf’ voire ‘enfantin’ de la poésie médiévale.
10 7 Folgore a également produit une autre ‘couronne’, pour les jours de la semaine.
10 8 Dans sa propre couronne, Cenne de la Chitarrà offre un ‘contraire’ : tous les ‘ennuis’ possibles opposés aux ‘joies’ de Folgore.
10 9 Le sonnet de Cecco Angioleri est justement célèbre. Il est un des rares exemples supportables de la vaste masse des textes dit ‘réalistes’ ou ‘giocosi’ qui gonflent les manuscrits et les éditions de textes des treizième et quatorzième siècle. Ils sont surtout remarquables comme expression des charmantes qualités de l’Italie médiévale catholique, dont le sonnet de Rustico est un bon représentant ; la misogynie est leur moindre défaut. Un autre caractère de bon nombre de ces textes est qu’ils sont souvent quasiment incompréhensibles, sans notes et conjectures sur leur sens et leur intention. L’hermétisme d’une telle poésie est la conséquence directe de ce qu’on célèbre comme sa qualité essentielle : le recours à un vocabulaire, ) des images et allusions à la vie réelle, le registre ‘concret’ opposé, avec faveur critique, aux abstractions de la poésie savante. Il n’y a rien qui vieillit plus absolument et plus vite que cela.
10 10 Compiuta donzella est un auteur quasitment anonyme ; sauf qu’elle est femme. Et, bien sûr, on a souvent voulu, vieille stratégie misogyne, nier qu’une femme ait pu les composer. Stratégie sans cesse récurrente des critiques, dont le dernier exemple, que j’aurai peut-être le temps de discuter, est l’offensive contre Louise Labbé, dans un livre récent
10 10 1 dont l’auteur, paradoxalement en apparence, est une spécialiste éminente de Rabelais, Mireille Huchon.
Appendice : d’autres ‘théories’ sur la naissance du sonnet
1
Wilhelm Potters, critico moderno, scrive “nascita del sonetto_metrica e matematica al tempo di Federico II”. La sua teoria è di tipo matematico. Federico II era molto interessato alla scienza e tra l’altro alla sua corte c’era Leonardo Fibonacci. Potters ha cercato contatti con questo Fibonacci. Si basa su alcuni numeri chiave del sonetto: 11 (endecasillabo), 14 (versi del sonetto, sempre fisso), 154 (numero totale delle sillabe del sonetto). Questi erano particolarmente importanti nel medioevo e per Fibonacci per risolvere il rapporto tra cerchio e i suoi quadrati. Questa questione pare che servisse in modo particolare per progettare le architetture e soprattutto negli scritti di questo matematico Fibonacci ci sono temi che riportano questi numeri chiave. L’ipotesi ingegnosa di Potters è che il sonetto nasca da un calcolo matematico.
2
Un po’ hai margini di questa teoria si può mettere un’altra proposta un po’ azzardata che viene da Giovannella Desideri che in “critica del testo” ha pubblicato un articolo dove insiste sulla politica giuridica di Federico II e ha osservato che il numero 8 significa l’armonia e la giustizia. Il confronto più interessante è quello che fa con il castello pugliese ottogonale di Federico II. Nella struttura delle piante del castello le stanze o sono ottogonali o esagonali. Secondo la Desideri l’8 quindi è un numero perfetto per Federico II. Castel del Monte quindi interpretato come castello della giustizia. Nel sonetto il rapporto tra 8 e 6 è fondamentale: 8 versi delle quartine e il 6 delle terzine. Nel sonetto quindi ci potrebbe essere lo stesso rapporto del castello della giustizia. Quindi nel sonetto ci sarebbe la giustizia dell’imperatore.
subitisation
– La mémoire de poésie saisit un poème d’un seul coup, sans sortir du présent, par une subitisation.
– L’analogue de cette faculté que nous avons, dès que nous possédons le nombre, dès que nous avons été ‘ alphabétisés ‘ en arithmétique, quand on nous présente une collection faite d’un petit nombre d’objets distincts (pas plus de six, en général) de connaître leur nombre sans les compter, sans les énumérer un à un?