Belladones et Cimarose — 1915 (9)

Paul Dermée in Sic

Jeu

Belladones et Cimarose
Miroirs lumineux des Songhas
Ma seule amie au cœur de rose
Touffes d’ivresse ô Seringa.

Cinnamones et primerose
Subtil horizon des lampas
La chair que ma tendresse arrose
Semble un lotus clos sous mes pas.

Cétoine à l’eau vive d’aurore
L’azur est là que le ciel dore
La cinéraire est mis au bois.

Vois la surprise aux yeux qu’on aime
Les soudains appels d’un hautbois
Soupirs ailés du dieu suprême.

Q8  T14  octo

France, France, la douce, entre les héroïnes — 1915 (8)

D’Annuzio in Guy Tosi : La vie et le rôle de D’Annunzio en France au début de la Grande Guerre (1961)

France, France, la douce, entre les héroïnes
Bénies, amour du monde, ardente dans la croix,
Comme aux murs d’Antioche, alors que Godefroi
Sentait sous son camail la couronne d’épines,

Debout avec ton Dieu comme au pont de Bouvines,
Dans ta gloire à genoux comme au champ de Rocroi,
Neuve immortellement comme l’herbe qui croît
Au bord de tes tombeaux, au creux de tes ruines,

Fraîche comme le jet de ton blanc peuplier,
Que demain tu sauras en guirlandes plier
Pour les chants non chantés de ta jeune pléiade,

Ressuscité en Christ, qui fais de ton linceul
Gonfanon de lumière et cotte de croisade,
« France, France, sans toi le monde serait seul »*

* Hugo – La légende des Siècles – les fléaux

Q15  T14 – banv –

Lundi huit février ma biche — 1915 (7)

Guillaume Apollinaire Poèmes à Lou


Sonnet du 8 février 1915

Lundi huit février ma biche
Ma biche part
Suis inquiet elle s’en fiche
Buvons du marc

Vrai qu’au service de l’Autriche
(Patate et lard)
Le militaire est très peu riche
Je m’en fous car

Il peut bien vivre d’Espérance
Même il en meurt
Au doux service de la France

Un Artilleur
Mon âme à ta suite s’élance
Adieu mon cœur

Q8  T20 – 2m : v.impairs octo, vers pairs 4 syll

Tes mains introduiront mon beau membre asinin — 1915 (6)

Guillaume Apollinaire Les onze mille verges

Epithalame

Tes mains introduiront mon beau membre asinin
Dans le sacré bordel ouvert entre tes cuisses
Et je veux l’avouer, en dépit d’Avinain
Que me fais ton amour pourvu que tu jouisses!

Ma bouche à tes seins blancs comme des petits suisses
Fera l’honneur abject des suçons sans venin.
De ma mentule mâle en ton con féminin
Le sperme tombera comme l’or dans les sluices.

O ma tendre putain! Tes fesses ont vaincu
De tous les fruits pulpeux le savoureux mystère!
L’humble rotondité sans sexe de la Terre,

La Lune, chaque mois si vaine de son cul
Et de tes yeux jaillit même quand tu les voiles
Cette obscure clarté qui tombe des étoiles.

Q10 – T30

Ce sont des vases peints, Étranger curieux, — 1914 (12)

Hérédia Les Trophées (ed.1914)

LE KRATÈR

Ce sont des vases peints, Étranger curieux,
Les uns hauts d’une palme et d’autres d’une orgye,
Qui sur leur galbe étroit ou leur panse élargie
Font tourner, rouge ou noir, tout l’Olympe à tes yeux.

Choisis : canthare, amphore ou rhyton?… Mais, j’ai mieux :
Le potier modelant la terre de Phrygie
Du sang viril d’Atys molle encore et rougie,
A formé ce Kratèr pour l’ivresse des Dieux.

Vois. Il est sans défaut du bord jusqu’à la base.
Certe, il sera payé par quelque Pharnabaze
Au prix d’un bassin d’or, d’électrum ou d’argent.

Euphronios a fait ce chef-d’oeuvre d’argile
Qu’il signa de sa pointe illustre, le jugeant
D’autant plus précieux qu’il le fit plus fragile.

Q15  T14 – banv

par Jacques Roubaud