En l’église, où ne s’allume — 1908 (2)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

Pour Stéphane Mallarmé

HOMMAGE

En l’église, où ne s’allume
Qu’une étoile taciturne,
Le myrrhe fade de l’urne
Et, sous l’angoissante brume,

Surgit du sol qu’elle évite:
Tel, secret et pur, s’élève
Vers le Ciel perdu le rêve
D’un sacrilège lévite.

Joie et désir de mon songe
Epris d’air lointain et d’astres
Mon orgueil fuit maints désastres
Pour des nuits où se prolonge

Le rayon d’extase vers
Le bel azur de vos vers!

Q63  T30 – 7s – disp du précédent : shmall*

De toi seul fils et l’aïeul — 1908 (1)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

A O.G.D.

De toi seul fils et l’aïeul
Naît aux portiques du rêve
Le guerrier de qui le glaive
Soit le simple et clair glaïeul.

En ses doigts tige qu’isole
D’un geste las son dédain
Il t’a prise à quel jardin
De Spolète ou de Fiesole,

Pour, ce héros puéril
Surgi d’un lointain de l’âme,
Abdiquer la fleur de flamme
Aux futurs pourpris d’avril

Où des roses seront fières
D’être des roses-trémières.

Q63  T30 – 7s – shmall* : Disposition semblable à celle de Mallarmé (‘schmall’), mais en quatrains à rimes embrassées

Tous les matins j’allais la voir à sa chaumière — 1907 (6)

Charles Guérin Premiers et derniers vers

Annaik

Tous les matins j’allais la voir à sa chaumière
Et dans l’enivrement calme des prés fleuris,
Chauds de soleils, pleins de grillons jetant leurs cris,
Nous causions sur un banc de l’étreinte première.

Revenez, revenez, souriait la fermière;
Et je suis revenu souvent, le coeur épris,
Et dans la chambre basse, au crépuscule gris,
Devant l’âtre défait nous rêvions de lumière.

Or un soir qu’elle était assise à son rouet
Elle me dit: « je veux exhaucer ton souhait. »
Et ses yeux bruns ardents étincelaient dans l’ombre.

Après avoir jeté sa Croix – je me souviens –
Elle étendit la main vers l’énorme lit sombre
Et, brusque, m’entraînant par le bras: « Allons, viens! ».

Q15 – T14 – banv

Je suis l’Esprit, je suis l’Eternelle beauté. — 1907 (3)

Georges Duhamel Des légendes et ballades

3
Le sonnet d’Une

Je suis l’Esprit, je suis l’Eternelle beauté.
Quand je viens à rêver, mon âme emplit le monde
Et la nuit de mes souvenirs est si profonde
Que mon être, il me semble, a toujours existé.

Je suis l’Oreille ouverte à l’accord enchanté
Qui, sans moi, dans le vide irait perdre son onde.
C’est encor de par moi qu’est la lumière blonde
Puisqu’en fermant les yeux je fais l’obscurité.

Et c’est moi qui, l’Eté, prête aux fleurs leur parfum,
Les fruits sont savoureux parce que j’en ai faim,
La chose est belle et bonne ainsi par moi sacrée,

Il n’est rien qui ne touche ou mon âme ou ma main,
J’ai tant pensé que je n’ai plus peur de demain,
Et Dieu, s’il est, n’est Dieu que pour m’avoir Créée.

Q15 – T6

Nous irons vers la vigne éternelle et féconde — 1907 (2)

Henri de Régnier Premiers poèmes

Epilogue

Nous irons vers la vigne éternelle et féconde
En grappes pour y vendanger le vin d’oubli;
Le soir n’a plus de pourpre et l’aurore a pâli
Et la promesse meurt aux lèvres du Vieux Monde;

Nous irons vers la rive où triomphe un décor
D’étangs muets et de sites en somnolence,
Où vers une mer morte un fleuve de silence
Bifurque son delta parmi les sables d’or;

Toi la vivante, la diseuse de paroles
Tu voulus m’enchaîner au nœud des vignes folles,
J’ai brisé le lien de fleurs du bracelet.

Hors le tien, tout amour, ô Mort, est dérisoire
Pour qui sait le pays mystique et violet
Où se dresse vers l’autre azur la Tour d’Ivoire.

Q63 – T14

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet » — 1907 (1)

Joseph CorrardCent sonnets

Au critique

« Ce n’est pas bien malin d’accoucher d’un sonnet »
Disait un freluquet; « quatorze lignes … qu’est-ce?
Tout poète en trouve un, le soir, sous son bonnet:
Pas besoin, pour ça, de battre la grosse caisse! »

– Ami, prends ton absinthe ou bien ton Dubonnet.
Lis les journaux du soir, les nouvelles, mais laisse,
Loin de ta tabagie, errer seul ce benêt,
Ce rimailleur, ce fou … qui tient la lune en laisse!

– C’est bien simple, disait un coq, de pondre un œuf;
J’en vois tous les jours pondre avec neuf poules …. neuf!
Au fond d’un poulailler, blottie et plume en boule,

On s’accoufle, on s’installe en le meilleur confort
Et l’on attend … Après un tout petit effort
L’œuf arrive – Oui, cria quelqu’un …., quand on est poule.

Q8 – T15 – s sur s

incise 1906

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Louis Cayotte – Dictionnaire de rimes – Le sonnet, régulier ou irrégulier, est formé de deux quatrains et de deux tercets. Dans le sonnet régulier, les premiers et quatrième vers des deux quatrains riment ensemble ; l’autre rime se trouve aux deuxième et troisième vers. Dans le premier tercet, le premier et le deuxième vers sont accouplés ; mais dans le dernier tercet, le premier vers rime avec le troisième ; enfin le troisième vers du premier tercet rime avec le deuxième vers du second tercet. …..
Le sonnet est irrégulier dès que l’on modifie de façon quelconque la disposition des rimes. Celui qu’on rencontre le plus souvent est celui ou dans chaque tercet le premier vers rime avec le deuxième, et les troisièmes vers entre eux. ….
Voici encore un sonnet irrégulier ; les quatrains sont formés de rimes croisées.

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Sur le lac où glissait le cygne au blanc plumage — 1906 (5)

Pierre Plessis in La Sylphide

Nuit

Sur le lac où glissait le cygne au blanc plumage
Le jour lent à mourir jetait ses dernier feux,
Et l’eau claire mirait la lumière des cieux
Entre le nénuphar et le trainant herbage.

Le soir était venu répandant ses senteurs,
Tout auréolé d’or, de calme, de splendeur,
Il avait peu à peu partout tendu ses voiles.

Un dernier chant d’oiseau vibrait sous les grands arbres.
Les arbres se teintaient de rougeurs de coraux,
Une brume montait légère sur les eaux,
Effleurant, en passant , la sculpture des marbres !

Dans le feuillage noir rôdait l’oiseau de nuit ;
Et le cygne d’argent et l’insecte qui luit
Se miraient dans le lac sous des clartés d’étoiles

Q1 (abba) + T1 (ccd) + Q2 (a’b’b’a’) + T2 (eed)

par Jacques Roubaud