Archives de catégorie : Variétés particulières

Bienheureux le mortel qui peut de l’existence — 1838 (7)

Désiré Cadilhac Echos du coeur

Amour et Poésie

Bienheureux le mortel qui peut de l’existence
Adoucir par l’amour la mortelle rigueur!
De joie et de parfum il enivre son coeur
Et livre sa boussole au vent de l’espérance;

Une ame dans son ame épanche le bonheur. –
Il se berce, tranquille, au sein de l’indolence:
Au travers des plaisirs comme un rêve trompeur,
Son oeil dans le lointain voit passer la souffrance;

– Bienheureux le poète! il est l’enfant du ciel;
Car son coeur fait monter aux pieds de l’Eternel
Comme un encens pieux, ses prières de flamme;

La foi devant ses yeux fait briller son flambeau,
Et lui, sans frissoner, marchant vers le tombeau,
Attend le paradis dans les bras d’une femme.

Q17 – T15 – bi : 7-8 Premiers sonnets d’une séquence que j’intitule Le bouquet inutile. Les poèmes de cette séquence ont été choisis à peu près au hasard.

Honneur à toi, poëte, à toi, cher Sainte-Beuve! — 1838 (1)

Jules LacroixPervenches

1-3 L’auteur dédie son ‘sonnet sur le sonnet’ à Sainte-Beuve: le sonnet y est dit ‘vase d’or’, ‘cloche’, ‘cage d’or et de cristal’ (toujours le cristal). Pour saluer trois poètes amis, quoi de plus naturel que le vers de 3 syllabes. Les tercets de 3 sont à deux rimes: cdd  ccd
Dans sa préface, il ne résiste pas au désir de montrer qu’il a connu le sonnet bien avant sa vogue naissante (il en met une bonne centaine dans son livre):  » 16 mai 1838 –  Parmi dix ou douze mille vers que je ne publierai sans doute jamais, en voici quelque-uns que j’ai tiré de la poussière; il y a une dizaine d’années qu’ils sont écrits. J’étais poëte alors, ou du moins je voulais l’être
Je me rappelle avec épouvante qu’il n’est pas un seul de ces pauvres sonnets qui ne m’ait dévoré huit bonnes heures: en vérité ce calcul est effrayant!
Je commence à comprendre que huit heures valent beaucoup mieux qu’un sonnet, qui, tout merveilleux qu’il puisse être, ne vaut pas un long poëme, à moins que ce poëme ne soit très ennuyeux.
…. il est assez probable que ces quelques sonnets, autrefois mes joyaux poétiques les plus précieux, n’eussent jamais vu la lumière, car je les avais entièrement oubliés, lorsqu’un jour, dans une de ces fâcheuses dispositions morales où l’on ne peut ni lire ni travailler, où l’on voit tout sous des couleurs sombres, je découvris par hasard, en fouillant dans mes cartons, une vingtaine de feuilles noires et chargées d’écriture, margine scripta, et in tergo...
Je relus donc plusieurs de ces pages raturées et presque indéchiffrables, et j’avoue que ce ne fut pas sans quelque émotion de plaisir; je m’écriai avec une joie d’enfant: « Mes sonnets! voilà mes sonnets! » absolument comme Jean-Jacques Rousseau qui, voyant briller une jolie fleur bleue dans un buisson, se rappela tout à coup le frais enclos des Charmettes après trente années d’amertume et de larmes, et s’écria sans une mélancolie délicieuse: « Oh! voilà des pervenches! ».

1
A mon ami Sainte-Beuve

Honneur à toi, poëte, à toi, cher Sainte-Beuve!
Ton bras vient d’arracher au cendres de l’oubli
Le vieux Ronsard, géant de marbre enseveli;
Et sa gloire au soleil reparait toute neuve!

Dans sa muse profonde à grands flots je m’abreuve.
Le sonnet, vase d’or, sculpté, riche, accompli,
Le beau sonnet vermeil, que l’artiste a rempli,
Maintenant brille et coule, abondant comme un fleuve.

J’aime l’ode, coursier aux longs crins vagabonds,
Qui va terrible et fière, et s’élance par bonds!
Mais le sonnet pompeux m’éblouit et m’enchante:

C’est une cloche où roule un écho de métal;
Une cage vibrante, et d’or et de cristal,
Où voltige un oiseau mélodieux qui chante!

Q15 – T15  – s sur s

Sonnet, gentil sonnet, poëme-colibri, — 1835 (4)

Emile PehantSonnets

A mon recueil

Sonnet, gentil sonnet, poëme-colibri,
De prendre ta volée enfin l’heure est venue;
L’air manque au nid étroit qui t’a servi d’abri,
Tandis qu’un large ciel rit à ta bienvenue.

Pars, duc, mais sois modeste, ô mon sonnet chéri;
Dieu, ne t’a pas créé pour affronter la nue;
Des efforts excessifs t’auraient bientôt flétri:
Ne monte pas qui veut à la sphère inconnue.

Reste près des gazons, effleure les ruisseaux,
Mêle ta voix légère à la voix des oiseaux,
Baigne ton aile au fleurs dont avril se parsème.

Pour être humble, ton sort n’en sera pas moins doux:
Le roitelet n’est guère admiré, mais on l’aime …
Heureux roitelet! l’aigle en est parfois jaloux.

Q8 – T14 – s sur s

mr Pehant a l’audace d’intituler son livre ‘sonnets’. Il est le premier, semble-t-il, au 19ème siècle, à en offrir plus d’une centaine (108). Il introduit l’hexasyllabe dans le champ (n°5) et ne manque pas de composer un ‘sonnet sur le sonnet’.

Le sonnet, qui jadis donnait dans notre France — 1834 (7)

Emile Péhant in Revue de Paris

Le sonnet, qui jadis donnait dans notre France
Tant de fleurs et de fruits à nos bons vieux auteurs,
Sembla long-temps sécher comme un arbre en souffrance,
Et ne produisit plus que des fleurs sans odeurs.

Mais sa sève aujourd’hui revient en abondance,
Et le fait reverdir comme aux temps les meilleurs ;
C’est plaisir de le voir monter avec puissance,
Et balancer au vent son front chargé de fleurs.

Vous de toutes ces fleurs vous cueillez les plus belles,
Sainte-Beuve et Barbier, car vous avez des ailes
Pour voler au sommet de cet arbre si haut.

Mais moi, pour mon bouquet, hélas ! je ne recueille
Que celles qu’au gazon le vent parfois effeuille ;
Aussi, pauvre bouquet, il sèchera bientôt.

Q8  T15  s sur s

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère: — 1833 (1)

Félix ArversMes heures perdues

Sonnet imité de l’italien

Mon âme a son secret, ma vie a son mystère:
Un amour éternel en un moment conçu.
Le mal est sans espoir, aussi j’ai dû le taire,
Et celle qui l’a fait n’en a jamais rien su.

Hélas! j’aurai passé près d’elle inaperçu,
Toujours à ses côtés, & pourtant solitaire,
Et j’aurai jusqu’au bout fait mon temps sur la terre,
N’osant rien demander et n’ayant rien reçu.

Pour elle, quoique Dieu l’ait faite douce et tendre,
Elle ira son chemin, distraite, sans entendre
Ce murmure d’amour élevé sur ses pas;

A l’austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle:
« Quelle est donc cette femme? » et ne comprendra pas.

Q10 – T15 – arv

Le fameux ‘sonnet d’Arvers’ commence ici sa carrière. Il a bien failli passer inaperçu, le pauvre. Personne ne le remarque à l’époque. Une bonne vingtaine d’années ont été nécessaires pour qu’il s’impose comme un des sonnets (et même poèmes) les plus souvent cités du dix-neuvième siècle (du vingtième finissant même: une recherche sur le net débusque d’innombrables références en un grand nombre de langues; la plupart n’étant dues, à vrai dire, qu’au fait de sa mise en chanson par Serge Gainsbourg).

Louis AigoinNotice sur Félix Arvers et variations sur les rimes de son sonnet, (1897), cite Banville (1878): ‘ce petit poème exquis, achevé, que citent toutes les Anthologies, qui est dans toutes les mémoires, qui pour vivre n’avait pas besoin de l’imprimerie, et qui a été appelé excellement, par un usage qui a prévalu: le Sonnet d’Arvers. « . Il évoque ensuite la question posée à l’époque de la redécouverte du sonnet. « On s’est demandé s’il était vraiment ‘imité de l’italien’ « . On n’a pas trouvé le modèle italien prétendu. Alors?  » Arvers a voulu, dans le milieu où était né le sonnet, dissimuler sa passion, écarter les soupçons, et éviter de compromettre une jeune femme récemment mariée. C’était mettre le comble à une délicatesse de sentiment dont le sonnet lui-même est la preuve irrécusable.  » Une seconde question se pose:  » .. le point de savoir si le sonnet d’Arvers est l’expression d’un amour réellement ressenti. Mais le doute est-il possible? En le lisant n’entend-on pas s’exhaler la plainte de l’amant méconnu? N’entend-on pas un cri de douleur sortir de son coeur déchiré? Et c’est à ces accents si vrais qu’est dû tout le succès du petit poème ».

Il ne reste plus qu’à découvrir la femme.  » Les chercheurs ont prononcé deux noms: madame Victor Hugo, et Mademoiselle Marie Nodier; devenue madame Mennessier (auteur du sonnet 4 ci-dessous)… On est allé jusqu’à prétendre que le sonnet, signé d’Arvers, était sorti de la plume de Sainte-Beuve, le grand critique follement épris de la femme du grand poète. Nous pouvons affirmer qu’il s’agit de l’autre  » . (Monsieur Aigoin aurait eu des témoins).

Ne ris point des sonnets, ô critique moqueur! — 1829 (5)

Sainte Beuve mis dans l’exemplaire des Oeuvres de Ronsard offert à Victor Hugo à l’occasion de son mariage

Imité de Wordsworth

Ne ris point des sonnets, ô critique moqueur!
Par amour autrefois en fit le grand Shakespeare;
C’est sur ce luth heureux que Pétrarque soupire,
Et que le Tasse aux fers soulage un peu son coeur;

Camoens de son exil abrège la longueur,
Car il chante en sonnets l’amour et son empire;
Dante aime cette fleur de myrte, et la respire,
Et la mêle au cyprès qui ceint son front vainqueur;

Spencer, s’en revenant de l’île des féeries,
Exhale en longs sonnets ses tristesses chéries;
Milton, chantant les siens, ranimait son regard:

Moi, je veux rajeunir le doux sonnet en France:
Du Bellay, le premier, l’apporta de Florence,
Et l’on en sait plus d’un de notre vieux Ronsard.

Q15 – T15  – banv – s sur s

De l’antique Sonnet les grâces surannées — 1822 (1)

Comte François de Neufchateau in L’Album, Journal des arts, des modes et des théâtres

Sonnet

Sur le genre du Sonnet même

De l’antique Sonnet les grâces surannées
L’ont presque fait bannir du Parnasse français
Les ballades aussi semblent abandonnées,
Et le Rondeau, lui seul, trouve encor quelque accés.

Hélas, je vis jadis, dans mes tendres années,
Le Sonnet plus en vogue, et j’y réussissais.
Des Bouts-Rimés gênants remplir les lois données
Ne fut qu’un jeu pour moi dans mes premiers essais.

Osè-je y revenir? c’est une rude tâche!
Mais voilà deux Quatrains: allons! point de relâche;
Ajoutons deux Tercets, et ce sera fini.

Contre un peu d’amour-propre on n’a point de défense:
Voyez! pour un Sonnet, je me crois rajeuni,
Ou pour dire encor mieux, je retombe en enfance.

Q8 – T14 – s.sur.s

Le thème est indiqué dans le titre. Il commence par les plaintes habituelles sur la décadence de la forme; puis se transforme, dans les tercets, pour rejoindre la variante traditionnelle du sonnet en train de s’écrire. L’histoire de cette variété curieuse de l’espèce sonnet est encore à faire. Je n’en connais pas d’italien; le premier recensé est espagnol, du milieu du seizième siècle (Diego Hurtado de Mendoza); il est passé ensuite en France, dans l’école de Voiture. La Fontaine en a transposé le principe à la ballade. (Le sonnet sur le sonnet du protestant Pierre Poupo (1590) n’appartient pas à la même sous-espèce, étant un poème sur l’art du sonnet).

Pourquoi tant de sonnets sur points de toute espèce? — 1818 (2)

A. Poujol Galerie de cent tableaux, …

Sur mes sonnets

Pourquoi tant de sonnets sur points de toute espèce?
Sa mesure me plaît; et son cadre charmant
Me tombe sous la main, maintefois, en courant,
Quand de versifier le doux besoin me presse.

Alors qu’il se présente avec l’humble sagesse,
Je le remplis soudain, parfois dans un instant:
Je suis peut-être dur, rustique ou peu brillant;
Je manifeste peu d’ingénieuse adresse.

Le sonnet est l’écueil de tous rimeurs français,
On sait que rarement l’on en voit de parfaits,
Et qu’un seul vaut alors autant qu’un long poème.

Mais, est-ce une raison pour le mettre à l’écart?
A mieux faire avec soin l’on parvient tôt ou tard;
Eh! d’en former sur tout je me suis mis à même.

Q15 – T15 s sur s

Du Sonnet tant vanté par le fameux Boileau, — 1814 (1)

–  J. Blondeau (de Commercy) in Almanach des Muses

Sonnet à Madame P***

Du Sonnet tant vanté par le fameux Boileau,
Je voudrais, en ce jour, ressusciter la gloire.
Bientôt on reverrait, si l’on voulait m’en croire,
La Ballade briller, ainsi que le Rondeau.

Le noble Chant Royal, que l’on trouvoit si beau,
Parmi nous reviendrait célébrer la victoire,
Aux faits de nos guerriers, faits dignes de mémoire,
La pompe donnerait un lustre tout nouveau.

Du Lai, du Virelai, des simples Vilanelles,
Reparaîtraient aussi les grâces naturelles;
Le Triolet plairait pour sa naïveté.

Du Dieu de l’Hélicon s’accroîtrait la richesse;
Et désormais amis, sur les bords du Permesse,
L’ennui ne naîtrait plus de l’uniformité.

Q15 – T15 s sur s

Dans l’Almanach des Muses, cette plainte sur la décadence du sonnet, première occurrence d’une longue série de ‘sonnets sur le sonnet’