incise 1842

Lefèvre-Deumier joint au deuxième volume de ses ‘oeuvres’ une fort intéressante discussion sur le sonnet, un Mémoire à consulter: pour ou contre le sonnet.Lettre à M. Emile Deschamps)

– Au 16ème siècle on le cultiva beaucoup sans s’occuper de le définir; plus tard, quand on cessa de le cultiver, ce fut à qui s’empresserait d’en discuter les règles.
A propos des recommandations de Boileau, il écrit:  » J’avoue que j’ai beau lire ces hémistiches dans tous les sens, je ne peux pas me résoudre à les trouver admirables. J’ai entendu louer à outrance le vers ‘la rime avec deux sons frappât huit fois l’oreille’. Au premier coup d’oeil, il a l’air d’être le meilleur: en y regardant bien, c’est le moins bon. « avec deux sons » semblerait signifier qu’il faut qu’il y ait deux syllabes à la rime: ce n’en est pas plus mal, mais ce n’est pas cela qu’entend l’auteur. Remarquons aussi que la rime ne se compose pas d’un mot: elle est de sa nature bicéphale. Il en résulte que, si elle frappe huit fois l’oreille sur deux sons, il y aura seize vers dans les deux quatrains, ce qui serait, de la part d’Apollon, un tour de Jarnac à désespérer, non seulement les Français, mais tous les rimeurs du monde.  »
 » Le sonnet est une petite pièce de poésie de quatorze vers, divisés en deux quatrains sur deux rimes, plus deux tercets, dont les rimes s’entrecroisent suivant le caprice de l’auteur. Si ma définition n’est pas très élégante, elle a du moins l’avantage d’être brève.  »
 » Je me suis laissé assurer que, dans l’origine, le sonnet se composait de trois quatrains et d’un distique. Je ne m’y oppose pas; mais je ne connais d’exemple qu’en anglais. On prétend qu’il y en a plusieurs de cette espèce dans le recueil de Drummond de Hawthornden, et beaucoup de gens soutiennent que ce ne sont pas des sonnets.  »
 » Tout le monde peut, en grignotant dans les bouquins, émietter de l’érudition. J’aime mieux faire des conjectures que des recherches: c’est moins facile, mais cela va plus vite.  »
 » Le sonnet compte quatorze vers et chacun d’eux n’est peut-être qu’une note de la gamme, frappée à la basse et à l’octave … » (En dépit de sa remarque péjorative sur l’érudition, Deumier, qui vient d’en faire subrepticement étalage (qui à l’époque, en France, a lu Drummond de Hawthornden?) s’est peut-être inspiré là de la volumineuse anthologie de l’anglais Cappel Lofft (1813) qui développe assez longuement dans son essai préliminaire, une telle comparaison musicale).
 » Le nombre 7 étant esssentiellement mystique, le double ne peut manquer de l’être davantage. On ne comptait autrefois que sept planètes, qui correspondaient aux sept principaux organes du corps humain, et il ne serait pas impossible que le sonnet fût d’abord un thème astrologique, une sorte d’horoscope poétique, rappelant, par sa forme et son harmonie, la course mélodieuse des astres, qui avaient la réputation de diriger nos destinées.  »
« Boileau assure aussi qu’on n’y doit pas répéter deux fois le même mot.
«  » Le sonnet est un alexandrin de quatorze pieds, dont les syllabes sont les vers.  » (On découvre en lui un ‘plagiaire par anticipation de Jean Queval, l’oulipien inventeur de l’ALVA (Alexandrin de Longueur Variable)
Vous n’enfermerez certes pas, dans deux quatrains munis de deux tercets, le système entier de l’univers. Mais vous n’aurez pas une vue sur l’univers, que vous ne puissiez réduire aux bornes du sonnet.
Lisez quelques épigrammes de suite: leurs moments, leurs soubresauts vous fatiguent. L’esprit se lasse, à bondir avec elles de finesse en finesse. Le sonnet au contraire est comme un coursier qui va l’amble, et vous emporte en vous berçant; comme un hamac, qui vous balance: comme un bateau, qui vous entraine. Il ne vous endort pas: il vous fait rêver. Je suis trop impartial, pour ne pas avouer qu’il vous fait quelquefois rêver, jusqu’au sommeil inclusivement.
Quelque beau qu’il puisse être, il est difficile d’avaler d’un trait un volume entier de sonnets. Chaque sonnet est en lui-même un tout, un petit poème complet, qui marche invariablement du même pas.
Je vous envoie, pour expiation, le plus beau choix de sonnets qui existent. De deux ou trois milliers et plus, que j’ai eu la conscience de lire pour me faire une opinion, j’en extrais cent cinquante environ (de 50 auteurs) qui sont bien la plus belle apologie qu’on puisse faire de cette espèce de poésie.
Les sonnets sont des reliquaires qui chantent. Quand on en lit quelques uns à la campagne, on éprouve la même émotion qu’en écoutant bourdonner, dans le lointain, la cloche de vêpre ou du salut. C’est peut-être de cette impression que vient le nom de sonnet. Ce poëme est comme une cloche qui tinte la pensée, qui sonne l’angélus en mémoire de nos pères.  »

Dans sa médiocre étude sur le sonnet chez Baudelaire, mr Robb cherche à écarter le témoignage de cet auteur qui a le malheur d’infirmer son hypothèse chérie (Baudelaire inventeur du ‘sonnet libertin’) sous le prétexte que ses poèmes ne sont pas bons!!!

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