La rue assourdissante autour de moi hurlait. — 1861 (1)

Charles Baudelaire Les Fleurs du mal (2ème ed.)

A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse,
Soulevant, balançant le feston et l’ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair … puis la nuit! – Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement  renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?

Ailleurs, bien loin d’ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
O toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais!

Q63 – T23

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