Aragon sur le sonnet
(Entretien avec Dominique Arban 1968)
Dans tous mes livres…, à commencer par Feu de Joie, le premier, vous trouverez toujours, au moins, un sonnet, souvent un sonnet donné comme tel, comme par exemple le sonnet écrit pour la mort d’Apollinaire, mais aussi des poèmes où il faut regarder de près pour voir que j’y ai introduit le sonnet. Cela ne se voit pas parce que le sonnet y est coupé d’une autre façon, et ce jeu vous le retrouverez même dans Le Crève-Coeur.
– (Ecrits au Seuil, 1974)
Il me semble impossible de ne pas noter ici le caractère contradictoire d’un trait de notre conduite dans les premières années vingt: le goût gardé entre nous pour une des formes les plus décriées alors de la poésie traditionnelle, le sonnet. Je ne sais si dans le papiers d’André Breton on pourrait en trouver trace.
… (Breton Eluard et moi)… nous allions écrire des sonnets comme on écrivait des textes surréalistes, c’est à dire avec la technique de la rapidité abolissant la conscience. Nous parvenions à reproduire le sonnet régulier de cette façon. Les sonnets ainsi obtenus étaient sans doute assez différents par le contenu, la nature des images de ce que sont les sonnets, habituels, mais c’étaient des sonnets, deux quatrains, deux tercets, respectant l’ordonnance classique du sonnet par l’alternance et le croisement des rimes. Ce sont des choses dont on ne se fait pas aujourd’hui une représentation exacte. On imagine mal aujourd’hui l’extrême habileté de Breton à ce jeu. Nous nous comportions alors comme pour les exercices d’écriture automatique, allant dans un café nous asseoir à des tables différentes pour ne pas nous gêner, et pouvoir nous montrer notre texte après, établir ce que nous appelions notre tableau de chasse, parce que l’écriture fait naître en particulier, que ce soit en prose ou en sonnet, beaucoup d’animaux ou de végétaux, jusque-là inconnus.