Archives de catégorie : 4+4+4+2

Tu as un visage de femme que la Nature a peint, — 1990 (6)

Jean-François Peyret (trad.) Quarante sonnets de Shakespeare traduits par .. pour servir à la scène –

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Tu as un visage de femme que la Nature a peint,
Toi, Maître et maîtresse de ma passion,
Tu as un coeur tendre de femme qui ignore
L’humeur traîtresse des trompeuses femmes.

Plus brillant, moins trompeur, ton oeil quand il se tourne
Et illumine l’objet sur lequel il se pose;
Un homme parfait, maître de toutes les perfections,
Qui séduit les yeux des hommes, et ravit les âmes des femmes.

Tu fus d’abord créé pour être femme
Mais la nature en te faisant s’éprit de toi
Et par un ajout vint me frustrer de toi,
Ajoutant quelque chose dont je n’ai pas l’usage.

Puisque te voici armé pour le plaisir des femmes,
A moi ton amour, à elles, la jouissance de ton amour.

bl – m.irr – disp: 4+4+4+2 – sh

Je suis ce riche, ainsi, que son heureuse clef — 1961 (3)

Henri Thomas Shakespearesonnets

52

Je suis ce riche, ainsi, que son heureuse clef
Mène, s’il veut, à son doux trésor bien gardé,
Lequel il n’ira pas visiter à toute heure
Car trop fréquente joie perd son exquise pointe.

Si les festins sont si rares et solennels
C’est que, lents à venir durant la longue année,
Ils y sont clairsemés comme pierres précieuses,
Ou comme sont les grands joyaux dans le collier.

Ainsi le temps est la cassette qui te garde,
Ou l’armoire qui tient caché le vêtement,
Pour enchanter plus tard l’instant privilégié

Où se redéploiera sa splendeur prisonnière.
Sois loué, toi qui tant excelles que c’est gloire,
Ta présence, et ne pas t’avoir est espérance.

bl – disp: 4+4+4+2 – tr

Gaspiller sa pensée en un dévergondage — 1943 (4)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

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Gaspiller sa pensée en un dévergondage
Est impudique: avant l’acte, la volupté
Est parjure et cruelle, âpre et sans loyauté,
Funeste, extrême, rude et menteuse et sauvage.

Plaisir des sens, maudit, dès qu’expérimenté;
Déraison poursuivie, et qui, sitôt l’usage,
Est déraison haïe: ainsi, sur son passage,
Serait l’appât rendant un chasseur hébété.

Hébété dans la chasse et dans la réussite;
Passé, Présent, Futur surexcitant l’ardeur;
Un bonheur devant soi, mais derrière, un malheur;

Avant, une âpre joie; un mauvais rêve, ensuite ….
Le Monde sait cela – mais nul n’est bien expert
A l’éviter, l’Eden qui mène à cet Enfer.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

Morceau purifié morceau purifiant — 1938 (5)

Pierre-Jean JouveKyrie

A une église de village

Morceau purifié morceau purifiant
Morceau virginisant de Dieu sur la terre
Morceau virginisé et tout le corps aimant
Morceau de l’homme au ciel et grande profondeur

Le pauvre avec tout le ciel
L’humidité l’abandon de ces ans
Les arbrisseaux poussés faisant songer
Que cette créature est nue aux abat- sons

A la nue tourelle entre pierre et jardin
Et le coq ancien consacré à l’azur,
Est-ce ainsi qu’elle a pris le péché dans la terre

Et offert à la campagne un pain de paix?
Contre un arbre gros vert de nos plateaux vieux
Je t’aime: ne repousse pas mon cœur pieux.

vL – disp: 4+4+4+2  – seul le couplet final est rimé

Je suis ce riche ayant sur lui la clef bénie — 1927 (3)

Shakespeare Sonnets trad. Emile Le Brun

LII

Je suis ce riche ayant sur lui la clef bénie
Qui l’amène à son cher trésor bien mis sous clef,
Mais n’allant pas le voir à toute heure, de crainte
D’émousser son plaisir, aigu tant qu’il est rare.

Si nos fêtes sont chose unique et solennelle,
C’est d’apparaître au cours de longs mois, peu fréquentes,
Diamants d’un grand prix, sertis de loin en loin,
Joyaux en chef parmi les perles du collier.

Qu’est donc pour moi le temps qui vous détient? L’armoire
Recelant le manteau de gala qui doit faire
Qu’un non-pareil moment soit fêtes non-pareilles

Lorsqu’il redéploiera sa splendeur prisonnière.
Béni soit de haut prix qu’est le vôtre: on vous a,
Quel triomphe! Et lorsque vous manquez, quel espoir!

bl – disp: 4+4+4+2 – Alexandrins blancs (non rimés) et disposition hybride sur la page: strophes séparées (à la française) mais décrochement vers la droite du couplet final (comme dans l’édition originale, le ‘quarto’)

Pasteur, nous n’irons plus aux pâtis de l’aurore, — 1917 (2)

Jean Royère Par la lumière peints

Pasteur
A Gustave Geffroy

Pasteur, nous n’irons plus aux pâtis de l’aurore,
Tous mes agneaux sont morts d’avoir brouté l’azur;
Je veux, scellant sur eux l’ombre du clair-obscur,
Fermer notre bercail au soir qui vient d’éclore.

Un tendre clair de lune endormi sur un mur
Sera l’écho pensif de mon été sonore,
La seule volupté par quoi je puisse encore
Feindre au couchant du rêve un lendemain plus sûr.

Mais par les trous du toit dans la crèche où je couche
Mon âme a frissonné divine moins que lui
De sentir s’allumer aux astres qui m’ont lui
Le baiser de mes vers descendu sur ma bouche,

Fantôme dont la nuit s’éclaire d’un flambeau
Pendant que l’autre azur succède à son tombeau.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2

Tant d’esprits doux parmi la lassitude nés — 1908 (3)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

La Paresse

Pour une eau-forte en couleur de H. Detouche

Tant d’esprits doux parmi la lassitude nés
Pour des yeux demi-clos s’écoulent comme un fleuve;
L’immobile et la multiple volupté neuve
Se disperse en miroitements inopinés.

Accorde à du songe ton beau front pur. Eprise
De mieux qu’elle, que veut la Vie et tout son bruit
Ravir à ton extase sereine où ne luit
Qu’un clair soleil jailli du regard qu’il irise?

Si la spirale couve un sommeil morne et lent,
Ta pensée a tissé, comme un fil l’araignée,
Le manteau d’oubli lourd dont tu sais, résignée,
Tristement dorloter l’effroi d’un hiver blanc

Jusqu’au printemps nouveau dont la verdeur redresse
Même la tige de tes rêves, ô Paresse!

Q63  T30 disp du précédent shmall*

En l’église, où ne s’allume — 1908 (2)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

Pour Stéphane Mallarmé

HOMMAGE

En l’église, où ne s’allume
Qu’une étoile taciturne,
Le myrrhe fade de l’urne
Et, sous l’angoissante brume,

Surgit du sol qu’elle évite:
Tel, secret et pur, s’élève
Vers le Ciel perdu le rêve
D’un sacrilège lévite.

Joie et désir de mon songe
Epris d’air lointain et d’astres
Mon orgueil fuit maints désastres
Pour des nuits où se prolonge

Le rayon d’extase vers
Le bel azur de vos vers!

Q63  T30 – 7s – disp du précédent : shmall*

De toi seul fils et l’aïeul — 1908 (1)

André Fontainas Le jardin des îles claires – La nef désemparée

A O.G.D.

De toi seul fils et l’aïeul
Naît aux portiques du rêve
Le guerrier de qui le glaive
Soit le simple et clair glaïeul.

En ses doigts tige qu’isole
D’un geste las son dédain
Il t’a prise à quel jardin
De Spolète ou de Fiesole,

Pour, ce héros puéril
Surgi d’un lointain de l’âme,
Abdiquer la fleur de flamme
Aux futurs pourpris d’avril

Où des roses seront fières
D’être des roses-trémières.

Q63  T30 – 7s – shmall* : Disposition semblable à celle de Mallarmé (‘schmall’), mais en quatrains à rimes embrassées