Archives de catégorie : Formule de rimes

Le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse — 1968 (1)

Raymond QueneauBattre la campagne


L’instruction laïque et obligatoire

Le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse
car le soleil se tient bien haut sur l’horizon
de longues heures à sillonner les sillons
avant que cette étoile à l’ouest ne disparaisse

le semeur qui semait se trouve pris d’angoisse
il s’arrête et se dit à quoi bon à quoi bon
j’aurais bien mieux fait de me casser le citron
pourquoi donc fallut-il que point ne m’instruisisse

le semeur qui se meurt se trouve pris d’angoisse
il n’a plus de temps pour avoir de l’instruction
et savoir s’il eut raison de dire à quoi bon

le semeur qui se meurt redevient philosophe
il reprend son chemin à travers les sillons
en distribuant son grain pour une autre moisson

Q15 – T29 –  y=x : c=a , d=b

Je fais parfois le rêve étrange et pénétrant — 1967 (2)

Raymond QueneauCourir les rues


Rue Paul-Verlaine

Je fais parfois le rêve étrange et pénétrant
d’une rue en étain blanchâtre et maternelle
l’un et l’autre trottoir palpite comme une aile
tandis que sa chaussée a tout son poids d’étant

les ruisseaux de plomb pur s’écoulent dans l’étang
qu’engloutit une bouche à béance immortelle
à chaque extrémité s’inscrit une marelle
que ne traverse point le vulgaire impétrant

Sous un ciel de titane un seul toit promeneur
lentement se déplace au-dessus des bâtisses
où grouille un animal qui ressemble à ma sœur

Calme en son sicamor incertaine et factice
cette voie a le charme amarante et boudeur
de pouvoir se plier sans perdre son odeur

Q15 – T19

Merci pour la Vérole et gardez le Pourboire. — 1966 (8)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Sonnet attribué

Merci pour la Vérole et gardez le Pourboire.
Je m’en vais vers là où on va.
J’ai des soucis, comme la Loire,
J’ai des sourcils froncés très bas.

Je vais, triste et certain des fruits de ma Victoire.
Je suis Vainqueur. Je ne sais pas de Quoi.
Vous êtes de passage au plafond de ma Gloire.
Les Manèges de la Graisse ont fait de nous Trois.

Trois par un puis par quatre et l’air
Pousse dans son trombone une expression divine.
Ce qui est noir ici par là-bas d’illumine.

On dirait la clarté; on dirait cet œil clair,
Et ce Spectacle aussi que mon regard termine:
L’Ovale Vérolé du Visage d’Hermine.

Q32 – T29 – 2m : octo: v.2, v.3, v.4, v.9 ; déca:v.6

L’ère des cuisiniers n’a plus rien à m’apprendre. — 1966 (7)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé

L’ère des cuisiniers

L’ère des cuisiniers n’a plus rien à m’apprendre.
Je sais comme eux choisir la viande la moins tendre
et la laisser après molle comme un tampon.
Ce que moi je leur fais et de moi ce qu’ils font.

J’en ai la clef. La boîte et le couvercle! – Entendre
complète ce qui parle; on traverse le pont
comme le pont, sous lui, laisse un fleuve descendre;
On monte et l’escalier qui descendait répond.

L’étage, le palier, la famille, la pause,
l’effet qui met son pied dans la main de la cause,
l’enfant qui fait un ventre au couple désuni,

ce qu’il faut, c’est le bruit de ce muet qui cause;
c’est cette main de mort sur notre amour puni:
La nuit, pareille au jour et pareille à la nuit.

Q2 – T8

Je ne prends pas ce que je touche — 1966 (6)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Je ne prends pas ce que je touche

Je ne prends pas ce que je touche
Mais je suis touché par milliers.
Je parle sans manger. Ma bouche
a ses pélicans familiers.

Mon seul œil a les cils pliés.
J’ai deux soleils, mais pour qu’ils louchent:
l’un se lève, l’autre se couche:
je reste assis sur mes souliers.

Je ne sais pas ce que me veulent
père et mère, fille et filleule,
la pesanteur ni les besoins.

Je suis divisé par mes nombres
comme la nuit l’est par les ombres,
comme le dé l’est par ses points.

Q10 – T15 – octo

Demain, devant le premier pain, le premier lait, — 1966 (5)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Demain, devant le premier pain ….

Demain, devant le premier pain, le premier lait,
la première lumière et le premier moi-même,
devant ce qui n’est plus, devant ce que je sème,
comme la cause reste en face de l’effet,

Tu sortiras debout dans mes bras, mon problème,
la cause de ma mort, et je te referai,
Toi, soleil de mes yeux, miroir de mon reflet,
toi qui pèses du poids de tout ce qu’en moi j’aime,

Tu sortiras, tu resteras, comme le noir
reste au bord de ce blanc par quoi le rouge arrive.
Tu resteras le mieux, le pire, et ce qui prive
l’amour d’être l’amour, le matin d’être soir.

Tu resteras, tu reviendras, tu fermeras
le matin sur le soir et la mort sur les rats.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2

Plus que pour moi, la première ironie est là — 1966 (3)

Roland Dubillard Je dirai que je suis tombé


Les peupliers

Plus que pour moi, la première ironie est là
pour le désespoir et pour une autre ironie
qui viendra la croiser et la finir, finie
comme la croix de l’os sur moi se finira:

Je finirai, fini et fermé comme un rat;
Tu te refermeras sur ma vie, et ma vie
sur toi se fermera et sur toi la Folie
abattra ses vautours et rabattra son drap.

Que serons-nous, moi-même et toi-même, étranglés?
Et que deviendrons-nous, nous la Terre, et les blés,
de ce noir, sauront-ils extraire la lumière?

Lumière! il faut pourtant soustraire à cette terre
un peu d’ombre, un peu de soleil, et par milliers
ravir la proie à l’ombre et l’ombre aux peupliers.

Q15 – T13

L’océan mesuré sur quoi je règne en maître — 1966 (1)

Olivier LarrondeL’arbre à lettres

A ma plage

L’océan mesuré sur quoi je règne en maître
Va léchant tes longs pieds en plage surhumaine.
La minuscule tête ouverte à la fenêtre,
Lui garde tout pour lui sauf des vagues amènes.

Il garde la distance, un monde à ses fenêtres,
Des madrépores morts sans tombeau que lui-même;
L’intérieure plaie des coraux se démène
Dans l’absence d’échos sous sa robe de prêtre.

S’en veut-il ignorer la douce pourriture
Qu’un coup d’air fait entrer sous de moins souples fronts,
Qu’un ciel compréhensif par ses ors les moins dures

Eût en douceur brûlé tel un baiser d’affront,
Qu’il vide ses bruits purs et garde son silence
Pour t’y garder de soi en toute vigilance.

Q9 – T23

Souvent me suis, comme un con, pris — 1965 (7)

Olivier Larronde L’ivraie en ordre (ed. 2002)

A sa queue

Souvent me suis, comme un con, pris
A rêver, un doigt sur ta nuque
De trancher le sphinx incompris
Qui, bien membré, me laisse eunuque.

Puisque tu n’appartiens qu’à toi.
Si je t’osais tailler en pipe
Gicler au visage des rois
Plutôt que visiter la tripe.

Exaspérant bête. Joie
Lors, à mâchonner impuissant
Ton pétale, qui le rougeoie.

Son menstruel frère de sang!
Va, d’autre tunique – mon chat, loir
Sans griffe et d’épine que toi -,
Cauchemarde le nonchaloir.

Q59 – cdc dec e – octo – 15v

Hors paradis terrestre, en fleur d’or animé, — 1964 (1)

Emile Roumer Rosaire (couronne de sonnets)

sonnet liminaire
Immaculée conception

Hors paradis terrestre, en fleur d’or animé,
Eve entre flore ingrat, caverne l’ours pour asile,
Flancs déchirés par enfantement main inhabile
A repousser la mort et serpent endiamé*

Lors Isaïe té dit, parole enflammé
Le Christ oun vierge t’a fe l’, cé fond même l’Evangile
De Pi à Jean XXIII – Min san t’a pi facile
Soti lan jardin clos ou lun tombeau fermé ?

La Genèse pas t’ manqué prédi gloire deuxième Eve
Et toute chrétiene connin la Vierge, à la relève
T’a crasé tête serpent pour trahison passé.

Lan salut genre humain Bon Dieu prend, bien suprême
Choisit ac dilection rameau tige a Jessé
Pour que fleur donnin fruit et rété fleur quand même !

Q15  T14  – banv – métrique irr.