Archives de catégorie : Formule de rimes

– ‘Et la vie, et l’amour, de mes voûtes profondes, — 1874 (6)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

Une page

– ‘Et la vie, et l’amour, de mes voûtes profondes,
En d’innombrables feux s’épanchent sur les mondes:
Le soir, au front penseur, au poète enfiévré,
La lune doucement verse ses clartés blondes:

L’étoile aime, et sourit au coeur énamouré.
Roi du jour, le soleil, des sphères adoré,
Prodigue des baisers qui les rendent fécondes.
Tout germe, croît, fleurit sous son regard doré! … » –

C’est ainsi qu’aux lueurs d’une nuit étoilée,
L’Idéal traduisait à mon âme affolée
Les trésors que contient ta page, ô Firmament!

Et je dis: l’égoiste est des êtres le pire.
Pourquoi regarde-t-il si bas qu’il ne peut lire
Le ciel, où la Nature écrivit: dévoûment? …

A.Marc

aaba bbab – T15

Ce qui dégoûterait de se mettre en voyage, — 1874 (5)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

En voyage

Ce qui dégoûterait de se mettre  en voyage,
D’offrir à ses amis l’étreinte des adieux,
Le sourire à la bouche et les larmes aux yeux;
Ce n’est pas le souci de traîner son bagage;

Ni l’épaisse vapeur s’allongeant en nuage,
Ni la noire fumée obscurcissant les cieux,
Ni d’un commis bavard, d’un marchand soucieux,
D’un poupon au maillot le triste voisinage;

Ni le malheur d’entendre et de voir les Anglais,
Ni les sombres tunnels, ni les stridents sifflets,
Ni les grains de charbon entrant sous la paupière;

Ni les rayons brûlants d’un soleil de juillet,
Ni les vents ou la pluie, ou les flots de poussière;
Ce qui dégoûterait, c’est le wagon complet.

A.Marc

Q15 – T14 – banv

Au diable le sonnet, bien que dans la Sicile, — 1874 (4)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

Sonnet contre Sonnet

Au diable le sonnet, bien que dans la Sicile,
Il ait longtemps fleuri dans les vallons d’Enna!
N’est pas toujours très beau ce qu’on croit difficile,
Et Boileau, sur ce point, sottement raisonna.

Quant à moi, je préfère un seul vers de Virgile,
A ce vain jeu d’esprit qui nous vint de l’Etna.
Il peut plaire à la cour et sourire à la ville,
Le bon sens indigné pourtant le condamna.

Le plus beau ne vaut pas le moins brillant poème,
Car loin d’être enrichi d’une beauté suprème,
Auprès d’un diamant, c’est un caillou du Rhin.

Le verre imite mal le cristal de Bohème.
Ce sonnet, c’est le verre, et la vierge que j’aime
Rejetterai le strass de son splendide écrin.

Th. Richard-Baudin

Q8 – T6 – s sur s

Dans cette époque ardente où la vapeur est reine, — 1874 (2)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874. Sonnets inédits publiés avec le concours de 150 sonnettistes – Aix –

Dans cette époque ardente où la vapeur est reine,
Où les jours, plus pressés, pour tous semblent courir,
L’idéal, exilé de sa sphère sereine,
De rêves longs et doux ne peut plus se nourrir.

Le fait parle en despote, et sa voix souveraine
Nous dit: il faut marcher et ne plus discourir,
Car la vie, aujourd’hui, n’est qu’une grande arène,
Où l’on entre à son tour pour lutter et mourir.

Dans cette course folle, où s’agiter c’est vivre,
Eh, qui donc a le temps de composer un livre,
Comme pour le présent écrit pour l’avenir?

Le sonnet, par sa forme exacte et condensée,
Répond à notre hâte, en servant la pensée,
Et par un dernier trait l’impose au souvenir.

Auguste de Vaucelle

Q8 – T15 – s sur s

Quoi! vous languissez à mourir! — 1874 (1)

Achille ServièresNouvelles givordines , sonnets –


Inutiles conseils. Double sonnet. A mes nouvelles givordines.

Quoi! vous languissez à mourir!
Il vous tarde donc, mes cadettes,
Loin de Givors d’aller courir?

Que je vous plains, Givordinettes!
Vous savez pourtant que vos soeurs
Sont sous le fouet de nos censeurs.

Penseriez-vous, petites folles,
Pouvoir, loin de mon cabinet,
Vous garantir du cabinet
Des Zoïles des deux écoles?

Seriez-vous plus belles, plus drôles,
Comme ma muse, en ce sonnet,
En l’air jetant votre bonnet,
Feriez-vous mille cabrioles;

Des envieux et des jaloux
Serpents, à l’harmonie affreuse,
Dont la morsure est venimeuse,
Vous n’éviterez pas les coups.

Vous pourrez bien trouver chez nous,
Au fond de ma vallée ombreuse,
Quelque âme bonne et généreuse
Qui vous rendra vos jours plus doux.

Mais, hélas!, qu’est-ce qu’un sourire,
Près du sarcasme qui déchire
Comme la ronce du chemin! ….

Et, trépignant d’impatience,
Vous venez me serrer la main …
Allez, enfants, et bonne chance.

s.rev: ede dcc baab baab + Q 15 – T14 –  banv – octo – Ce ‘double sonnet ‘ est fait de deux sonnets tête-bêche, commençant par le ‘sonnet renversé’

J’avais un serviteur antique, — 1873 (38)

Joseph Autran

Les éclaireurs de Guillaume

J’avais un serviteur antique,
Brave Caleb sur son déclin ;
J’avais un jeune domestique
Qui se donnait pour orphelin.

Etrangers à la politique,
Aucun d’eux n’avait l’air malin,
De même origine exotique,
Tous deux me venaient de Berlin .

Ces gens, naïfs comme des pitres,
Avaient pourtant l’étrange goût
De fureter dans mes pupitres,

De lire toutes mes épitres,
Enfin, de ne laver les vitres,
Que pour mieux regarder partout.

Q8  T16  octo

Je t’invoque, Sonnet ! Fi du poème énorme — 1873 (37)

– – Joseph AutranSonnets capricieux

Je t’invoque, Sonnet ! Fi du poème énorme
Qui, de ses douze chants, assomme l’auditeur !
Sur le ton solennel que tout autre s’endorme,
Toi, tu n’as pas le temps d’assoupir un lecteur.

J’aime ton pas léger, j’aime ta mince forme ;
Ayant si peu de corps, tu n’as pas de lenteur,
On fait un lourd fagot avec le bois de l’orme,
Avec un brin de rose on fait une senteur !

Va donc, cours et reviens, demande à l’hirondelle
Cet essor qui franchit tout le ciel d’un coup d’aile ;
Au fier cheval de Job emprunte son galop

Sois l’éclair, le rayon, le regard, le sourire.
Oh ! et fais en un mot que l’on ne puisse dire :
« Quatorze vers, c’est encor trop ! »

Q8  T15  2m  s sur s

Le dimanche, je reste au logis, accoudé — 1873 (36)

Robert Caze Les poèmes de la chair

Plaisirs du dimanche, sonnet bourgeois

Le dimanche, je reste au logis, accoudé
Sur un livre de vers ou bien sur une estampe ;
Et, pour chasser l’ennui qui parfois bat ma tempe,
Je fume lentement ma pipe, comme un dey

Nonchalant et rêveur sous son turban brodé.
Subtile, la fumée au plafond glisse, rampe,
Et meurt. Puis tout à coup j’entends frémir la rampe
De l’escalier; car un ami dévergondé

M’emmène dans les bois de Chaville ou d’Asnières,
Boire du petit bleu, manger du poisson frit.
L’on se grise et l’on fait la cour aux canotières.

Aussi, le lendemain, trouve-t-on dans son lit
Une femme couchée à côté de soi-même,
Qui vous dit doucement à l’oreille : « je t’aime ! »

Q15  T23

Quand tu ne seras plus, ô ma belle maîtresse, — 1873 (35)

Antoine Monnier

Requiem

Quand tu ne seras plus, ô ma belle maîtresse,
Quand sous le marbre blanc reposera ton corps ;
Quand de tes noirs cheveux l’interminable tresse
Ne s’embaumera plus que du parfum des morts ;

Lorsque que le ver aura sur ta gorge polie
Visqueusement laissé son baiser glacial ;
Lorsque l’arc amoureux de ta lèvre pâlie
A nu laissera voir ton rire sépulcral ;

J’étalerai tes os sur un coussin de moire,
Pour liens je prendrai ton collier ciselé,
Alors je dresserai ton squelette d’ivoire :

Dans mon lit s’étendra ton torse articulé ;
Et pour que notre amour aux temps soit révélé ,
Sur ton crâne luisant j’en graverai l’histoire.

Q59 T21