Archives de catégorie : Formule de rimes

Pour mettre une couronne au front d’une chanson, — 1873 (11)

Le tombeau de Théophile Gautier.

Swinburne (Algernon Charles)

Sonnet

Pour mettre une couronne au front d’une chanson,
Il semblait qu’en passant son pied semât des roses,
Et que sa main cueillît comme des fleurs écloses
Les étoiles au fond du Ciel en floraison.

Sa parole de marbre et d’or avait le son
Des clairons de l’été chassant les jours moroses;
Comme en Thrace Apollon banni des grands cieux roses,
Il regardait du coeur l’Olympe, sa maison.

Le soleil fut pour lui le soleil du vieux monde,
Et son oeil recherchait dans les flots embrasés
Le sillon immortel d’où s’élança sur l’onde

Vénus, que la mer molle énivrait de baisers;
Enfin, Dieu ressaisi de sa splendeur première,
Il trône, et son sépulcre est bâti de lumière.

Q15 – T23 – Compétent linguistiquement, Swinburne trahit son anglitude par le couplet final, peu conforme aux traditions dominantes du sonnet de langue française (même si Gautier le favorise).

Toi, dont les yeux erraient, altérés de lumière, — 1873 (10)

Le tombeau de Théophile Gautier.

Leconte de Lisle

A Théophile Gautier

Toi, dont les yeux erraient, altérés de lumière,
De la couleur divine au contour immortel,
Et de la chair vivante à la splendeur du ciel,
Dors en paix dans la nuit qui scelle ta paupière.

Voir, entendre et sentir? Vent, fumée et poussière.
Aimer? La coupe d’or ne contient que du fiel.
Comme un dieu plein d’ennui qui déserte l’autel,
Rentre et disperse-toi dans l’immense matière.

Sur ton muet sépulcre et tes os consumés
Qu’un autre verse ou non les pleurs accoutumés;
Que ton siècle banal t’oublie ou te renomme;

Moi, je t’envie, au fond du tombeau calme et noir,
D’être affranchi de vivre, et de ne plus savoir
La honte de penser et l’horreur d’être un homme.

Q15 – T15

Orner le monde avec son corps, avec son âme, — 1873 (9)

Charles Cros Le tombeau de Théophile Gautier

Morale

Orner le monde avec son corps, avec son âme,
Etre aussi beau qu’on peut dans nos sombres milieux,
Dire haut ce qu’on rêve et qu’on aime le mieux,
C’est le devoir, pour tout homme et pour toute femme.

Seuls les déshérités du ciel, qui n’ont ni flamme
Sous le front, ni rayons attirants dans les yeux,
S’effarant de tes bonds, lion insoucieux,
T’en voulaient, mais le vent moqueur a pris leur blâme.

La splendeur de ta vie et tes vers scintillants
Te défendent, ainsi que les treize volants
Gardent rose, dans leurs froufrous, ta Moribonde.

Elle et toi, jeunes, beaux, pour ceux qui t’auront lu
Vous vivrez. C’est le prix de quiconque a voulu
Avec son corps, avec son âme orner le monde.

Q15 – T15

Devant toi l’Eléphant, dressant en l’air sa trompe, — 1873 (8)

Théophile GautierPoésies libertines

A la Présidente

Devant toi l’Eléphant, dressant en l’air sa trompe,
De son phallus géant décalotte la peau;
Le régiment qui passe agite son drapeau,
Et le foutre jaillit comme par une pompe.

Tu n’as qu’à faire voir, pour qu’un saint se corrompe,
Ta gorge étincelante où tremble un oripeau;
Des cardinaux romains sous son rouge chapeau
Le vit pontifical se raidit tant qu’il rompe.

Les nymphes de Rubens, remuant le jambon,
Livrent des reins moins blancs au flôt qui les emperle
Que toi lorsque ton bain sur ton beau corps déferle.

Ton regard dans les coeurs tombe comme un charbon.
Près de toi je vivrais au fond d’une masure:
Il n’est pas de taudis que ton amour n’azure.

Q15 – T30 – Gautier, jusqu’au bout, est resté fidèle à l’éléphant et à la rime ‘ompe’.

Tout s’en va, mes amis: la foi, l’antique foi, — 1873 (6)

Joseph Autran Sonnets capricieux

La vieille orthographe

Tout s’en va, mes amis: la foi, l’antique foi,
L’honnêteté première et la vieille droiture,
L’amour et le respect que l’on vouait au roi,
Le menuet, la valse et même l’écriture.

L’orthographe, jadis, valait une peinture:
Représenter aux yeux, telle en était la Loi.
Une lettre peignant l’objet d’après nature,
L’objet, ami lecteur, se dressait devant toi.

L’y dans le mot lys en doublait le prestige;
C’est la fleur elle-même et le bout de sa tige.
L’h dans le mot thrône était un vrai fauteuil.

Depuis qu’on écrit lis la fleur semble fanée;
Et le trône vacant ne dit plus rien à l’oeil,
Depuis que l’h est condamnée!

Q11 – T14 – 2m (v.14: octo ) Joseph Autran contribue à la ‘querelle de l’orthographe’, qui ne date pas d’hier.

(a.ch) Le sonnet La Vieille Orthographe pour l’exemple du lis évoque le long poème du même titre, de Méry :
« …Tandis que d’une tige et d’une fleur formé,
Le lys était pour nous un y embaumé. »

(C’est un avatar du cratylisme.)

Que t’a fait le sonnet, réponds-moi, cher moqueur, — 1873 (5)

Joseph AutranSonnets capricieux

A un dédaigneux

Que t’a fait le sonnet, réponds-moi, cher moqueur,
Pour que ta plume ainsi l’agace et le lutine?
En vain je fais valoir sa forme florentine,
Je ne désarme pas pour si peu ta rigueur.

« Le sonnet ne vient pas d’une source latine,
C’est étroit pour l’esprit, c’est chétif pour le coeur.
Hugo n’en fit jamais, pas plus que Lamartine.
L’océan ne tient pas dans un verre à liqueur ».

Je l’avoue en effet, ces colosses de gloire
Vous donnent quelque fois toute la mer à boire.
La bois-tu jusqu’au fond, critique mon ami?

Je ne sais; mais pour moi, sans être trop sévère,
Quand le verre est si grand je n’y bois qu’à demi,
Et, quand il est petit, j’avale tout le verre.

Q17 – T14 – s sur s

J’ai fait des vers en ail, on m’en demande en oc, — 1873 (4)

Ulysse Landeau Sonnets et Sornettes

La Tâche

J’ai fait des vers en ail, on m’en demande en oc,
Ma foi cette idée est on ne peut plus baroque.
A ma porte l’on croît qu’il suffit d’un toc-toc,
Que je fais un sonnet comme un oeuf à la coque.

Il faut vraiment avoir le coeur dur comme un roc,
Un esprit malveillant, et battre la breloque,
Pour choisir cette rime, et lui-même Saint Roch,
Pour éviter la tache, eût donné sa défroque.

A rimailler ainsi mon esprit tombe en loque,
Vous me regardez? Or un regard m’interloque;
Aussi c’est entendu, je vous refuse en bloc.

Attendez cependant et, bien que par raccroc,
Vous êtes obéi. Je souffle comme un phoque,
Mais je tiens mon sonnet. Ouf! qu’on me serve un bock.

Q8 – T10 – y=x (c=b & d=a) – Rimes: oc/oque (b=a*). s’inscrit dans une tradition venue des Rhétoriqueurs (parfois on va jusqu’à ‘ic, ‘ec’, ‘uc …).

Madame, l’autre soir, j’ai pris votre éventail. — 1873 (3)

Ulysse LandeauSonnets et Sornettes

L’éventail

Madame, l’autre soir, j’ai pris votre éventail.
J’eusse aimé mieux sans doute enlacer votre taille
J’aurais scandalisé des jaloux le bétail,
A tous il m’eut fallu livrer alors bataille.

Du reste, dans mes mains, moi qui suis sans sérail
Que fait un éventail? Il fait que l’on me raille.
Il est fait pour voiler vos lèvres de corail
Et de vos yeux brillants la fulgurante entaille.

Enfin, je vous dirai qu’étant l’épouvantail
Des maris, et de peur qu’en pièces l’on me taille,
Je viens réintégrer votre objet au bercail.

Aussi vous me jurez que de votre éventail
Vous viendrez m’éventer, sans pour cela qu’il faille
Contractuellement, lire et signer un bail.

Q8 – T17- y=x (c=a & d=b – Rimes: ail/aille (b=a*))

Pauvre, obscur, dédaigné, traîner partout la vie, — 1873 (1)

Athanase Forest Sonnets, chansons, boutades

La Loterie sociale

Pauvre, obscur, dédaigné, traîner partout la vie,
Vrai carcan à son cou jour et nuit appendu;
Riche, illustre, être en butte aux crachats de l’envie,
Et parfois fusillé, brûlé vif, ou pendu;

Dès que l’on prétend mordre, être à l’instant mordu;
Avoir toujours un pied qui tôt ou tard dévie
Du chemin qu’à tenir le seigneur Dieu convie
(Vieille histoire ayant nom le Paradis perdu );

N’avoir jamais de faim pleinement assouvie,
Qu’il s’agisse d’un fruit permis ou défendu;
Se bâtir en Espagne, à … mettons …. Ségovie,
Un château, comme un nid d’aigle, au roc suspendu;

Se voir une espérance à chaque instant ravie.
De tel roi, de tel grand flagorneur assidu,
Recevoir, l’oeil humide et le jarret tendu,
Mainte promesse, hélas, d’effet jamais suivie;

En rêves hériter de table bien servie
Et de beaux vases d’or artistement fondu,
Bref, organiser tout pour le cas de survie,
Puis, …., être le premier, là, sous terre étendu;

Ici gain louche, ailleurs très-clair désavantage,
Tels sont les lots divers, échus au grand partage,
Entre les fils d’Adam fait de force ou de gré!

Néammoins, il en est que refuse tout homme,
Qui s’est dit qu’en dehors du divin , du sacré ,
Tout n’est qu’un sot gâchis de vanités, en somme!

abab baab abab abba abab – T14 – Sonnet, avec cinq quatrains, plutôt long!