Archives de catégorie : Formule de rimes

A toute vapeur ! Les futaies, — 1869 (17)

Louis Veuillot Les couleuvres

Grande vitesse

A toute vapeur ! Les futaies,
Les blés, les herbes, les maisons
Prennent le vol ; les horizons
S’effilent en changeantes raies.

Vertes, frétillantes et gaies,
Et balançant leurs frondaisons,
Comme un serpent dans les gazons
Se perdent en zigzag les haies.

Vergers, châteaux, aridités,
Fleuves, collines et cités
S’en vont de pareille furie.

Mirage prompt à t’effacer,
Tu nous vois plus vite passer,
Plus vaines ombres de la vie !

Q15 – T15 – octo

Entre ceux que j’aspire à ne pas voir souvent, — 1869 (16)

Louis Veuillot Les couleuvres

Les sages

Entre ceux que j’aspire à ne pas voir souvent,
Je compte des premiers ces amples personnages,
Ces doctes et ces forts qui, pleins de verbiages,
Vont la tête en arrière et le ventre en avant.

Je les trouve partout gonflés du même vent :
Ils savent qu’ils sont gros, ils savent qu’ils sont sages,
Et fiers de tant peser, épanchant les adages,
Ils tiennent pour manqué tout autre être vivant.

Enfermés dans le lard de la fortune faite,
Pour le juste et le vrai leur froideur est complète :
Ils sont placés, rentés, et rien plus ne leur chaut.

Par ma foi, je m’en veux ! mais j’ai des allégresses,
Lorsque je pense au jour, dût-il être un peu chaud,
Qui viendra fondre enfin ces glaces et ces graisses !

Q15 – T14 – banv

Donc, cher lecteur, on te propose, — 1869 (15)

Louis Veuillot Les couleuvres

Donc,  cher lecteur, on te propose,
Cette trousse de petits vers.
Tu peux le prendre de travers ;
Il faut oser un peu. L’on ose.

Tout ne va pas à toute chose :
Divers gibiers, engins divers.
A la chasse au rien par les airs,
Pourquoi du bronze, ou de la prose ?

Un quatrain d’où sort le sifflet,
L’angle affilé d’un triolet
Opèrent mieux que gros chapitres.

Ils entrent mieux dans les cerveaux :
Prends, va ! Ce sont petits couteaux,
Bon pour desserrer les huîtres.

Q15 – T15 -octo

L’homme qui sait dormir en wagon, je l’honore. — 1869 (14)

Louis Veuillot Les couleuvres

Préface

L’homme qui sait dormir en wagon, je l’honore.
Il est doué ! Dormir, échapper aux benêts,
Le profit est plus franc, et je le reconnais,
Que d’un œil engourdi voir frissonner l’aurore .

– Ce n’est pas cet air là qu’autrefois je sonnais ;
Mais du point où je suis, l’horizon se dédore ! –
Bref, que faire éveillé ? Qui bâille, qui pérore,
Qui rêve vingt pour cent; moi, je fais des sonnets.

Repassant mes chemins, revoyant mille choses,
Je fais sonnets de tout, de l’épine et des roses.
Or, j’en ai mis à part un bon tas, Dieu merci.

Ils sont divers ; l’un rit, l’autre siffle ou soupire.
Je trouve à la plupart quelque tort ; mais le pire,
Tous ne sont pas rimés dru comme celui-ci.

Q16 – T15

La Seine se laissait aller, verte et lascive, — 1869 (13)

Fernand Desnoyers Le vin …


Impassibilité de la nature

La Seine se laissait aller, verte et lascive,
Le long des saules qui, sur le bord de la rive,
Se miraient en elle et, mélancoliquement,
La regardaient dormir et passer en dormant.

On entendait parfois une note plaintive;
Lasse un peu vers le soir d’une chaleur trop vive,
La campagne faisait la sieste… – Par moment,
Du foin coupé sortait un soupir embaumant …

Deux enfants se baignaient, – quinze ou seize ans à peine;
Tout à coup un des deux regagne, hors d’haleine,
La berge, en s’écriant: Au secours! Au secours!

Une tête flottait, sombrait pour reparaître,
Puis on ne vit plus rien que quelques ronds, peut-être …
L’eau ridée un instant continuait son cours …

Q1 – T15 ce sont presque les seuls sonnets de cet auteur, qu’on ne connaît guère que parce qu’il aurait été l’inspirateur de la série des ‘vins’ de Baudelaire. Je regrette fort qu’il n’en ait pas écrit plus.

Du fond de l’horizon le soleil faisait feu — 1869 (12)

Fernand Desnoyers Le vin …


Vue prise au Bois de Boulogne

Du fond de l’horizon le soleil faisait feu
Comme une batterie, et balayait la route;
Des souffles embrasés tombaient du ciel tout bleu.
Je sentais mon front fondre et couler goutte à goutte.

J’entrai dans un massif pour me remettre un peu.
La fraicheur descendant des feuillages en voûte,
Le silence, ou plutôt le mystère du lieu
Enveloppa mon âme et la captiva toute.

Les tableaux du passé, les bonheurs d’autrefois,
Pleins de beau temps, d’amour, de senteurs et de voix,
S’envolaient en chantant de ma pensée ouverte.

Comme je relevais la tête par hasard,
J’aperçus me couvant d’un étrange regard,
Un pendu souriant, dont la face était verte.

Q8 – T15

Quand je fus enterré, mort, je sentis la vie — 1869 (11)

Fernand Desnoyers

11
III

Quand je fus enterré, mort, je sentis la vie
Sourdre et bruir en moi comme un lointain essaim …
La chair se putréfie, et l’esprit reste sain;
Ma pensée était vive et cependant suivie.

Quelle stupidité nous fut un jour servie?
On disait qu’un poète est forcément un saint
Et ne peut même pas devenir assassin!
Ceux qui pensent cela n’ont jamais eu d’envie.

Ils ne connaissent pas non plus la passion
Qui rendrait courtisane une soeur de Sion.
J’observais le travail de la mort dans ma bière.

Je me sentis grouiller sur mon corps même en vers,
Heureux de me manger, de n’être plus matière,
Et c’est dans le cercueil que je vivais ces vers.

Q15 – T14

Un moment difficile à passer est celui — 1869 (10)

Fernand Desnoyers

Impressions d’un guillotiné

II
Un moment difficile à passer est celui
Où l’on est réveillé, le matin, par un prêtre
Auquel le condamné dit: « C’est pour aujourd’hui? … »
Et qui répond:  » Mon fils, vous allez comparaître … »

Et coetera – La main moite cherche un appui;
On se lève – Le vent de la mort vous pénètre
Comme un air glacial qui vient d’une fenêtre.
L’espoir se sèche en vous; on regrette la nuit …

La messe, les apprêts de la sombre toilette,
Le froid des grands ciseaux passant par les cheveux,
Causent des soubresauts et des hoquets nerveux.

L’échafaud apparaît. L’obliquité si nette,
Le luisant et surtout le calme du couteau,
Donnent à réfléchir … Le reste est fait bientôt.

Q9 – T30

Il me souvient d’avoir été guillotiné, — 1869 (9)

Fernand Desnoyers Le vin
Impressions d’un guillotiné
Poème en trois sonnets

I
Il me souvient d’avoir été guillotiné,
Accident dont j’ai fait l’analyse complète
La séparation du tronc et de la tête
Fait mal, quoiqu’on en dise, au pauvre condamné.

Le chef tombé resta pensif comme un poète.
Un battement nerveux dans un côté du né
Fixa l’oeil du bourreau fort impressionné
Qui m’avait fait l’effet d’un commerçant honnête.

Je fus vraiment flatté d’occuper son regard.
Mon spectre s’incrusta dans son esprit hagard …
La souffrance a cessé quand la tête est coupée.

La cause de ma mort fut que j’avais haché
Comme chair à pâté, sans même être fâché,
Ma femme, après l’avoir indignement trompée.

Q15 – T15

Sa Seigneurie est sur le continent. – Les hêtres — 1869 (8)

coll. Le Parnasse Contemporain – deuxième série –

Ernest d’Hervilly

The Park

Sa Seigneurie est sur le continent. – Les hêtres
Sous lesquels Robin-Hood jadis tendit son arc
Mugissent, défeuillés, au fond du noble Park,
Blackwood -Castle est désert; closes sont les fenêtres.

Rivière de high-life, à travers un gazon
Ratissé sans relâche, eau flegmatique et noire,
Coule à présent la source où s’arrêtait pour boire
Le brave Outlaw chargé de fraîche venaison.

Le domaine est ouvert au public. – Véritable
Faveur, Mylords! – Pourtant, bien qu’il soit confortable,
Elégant et correct – de la fleur au caillou, –

Les promeneurs jamais n’y troublent les corneilles:
Nul Bottom de village, aux joyeuses oreilles,
N’y vient se faire dire: O my dear, I love you!

Q63 – T15