Archives de catégorie : Formule de rimes

Hâtes-toi de parler, ô ma lyre d’ivoire ! — 1835 (10)

J-B Claray de Crest-Volland Sonnet à son Altesse Royale Monseigneur le Duc de Bordeaux

Hâtes-toi de parler, ô ma lyre d’ivoire !
Entonne un chant sublime au pur sang de Berri ;
Nations, mes accords, précurseurs de l’histoire,
Révèlent à vos yeux les destins de Henri.
Jeune, il saura des arts éterniser la gloire,
Formé dans la vertu par un autre Henri.
Et, si l’honneur le guide aux champs de la victoire,
Rappeler les héros de Bouvine et d’Ivri.
De la religion dont le zèle l’enflamme,
Il fera près des lis arborer l’oriflamme.
Nemours, Colbert, Rousseau* renaîtront sous ses lois.
Au temple de mémoire, en traits ineffaçables,
Neuf soeurs, vous graverez ces mots impérissables :
DIEU-DONNÉ FUT L’AMOUR DE L’EMPIRE GAULOIS.

* Jean-Baptiste

Q8 T15  acr.  sns  disp droite

Crest-Volland prend bien soin de signaler en note que son ‘Rousseau’ n’est pas l’horrible ‘Jean-Jacques’ !

Quel est ce vêtement plaintif ? Est-ce une voix ? … — 1835 (9)

Jules Lacroix in Revue poétique du dix-neuvième siècle

Le vieillard

Quel est ce vêtement plaintif ? Est-ce une voix ? …
Que fais-tu donc, vieillard, dans cette noire alcôve ?
Que dévores-tu là, comme une bête fauve ?
Sur qui laisses-tu donc la marque de tes doigts ?

C’est la vierge criant pour la dernière fois,
Qui pleure, se débat sous ton front sec et chauve,
Que son ange gardien la protège et la sauve,
Qu’il rende encor ton souffle et tes baisers plus froids ?

Tu ne songes donc pas que ton nez de squelette
Fane en la respirant la jeune violette !
O mort ! n’étouffe point la vierge en ton linceul !

Mais tu veux, libertin, qui n’a pas de famille,
Pour échauffer ton lit un corps de jeune fille!
Pense au drap de la bière où tu coucheras seul !

Q15  T15

Quand vous aurez prouvé, messieurs du journalisme : — 1835 (8)

Alfred de Musset in Oeuvres poétiques (ed. Pléiade)

Aux critiques du Chatterton d’Alfred de Vigny, II

Quand vous aurez prouvé, messieurs du journalisme :
Que Chatterton eut tort de mourir ignoré,
Qu’au Théâtre-Français on l’a défiguré,
Quand vous aurez crié sept fois à l’athéisme,

Sept fois au contresens et sept fois au sophisme,
Vous n’aurez pas prouvé que je n’ai pas pleuré.
Et si mes pleurs ont tort devant le pédantisme,
Savez-vous, moucherons, ce que je vous dirai ?

Je vous dirai : « Sachez que les larmes humaines
Ressemblent en grandeur aux flots de l’Océan ;
On n’en fait rien de bon en les analysant ;

Quand vous en puiseriez deux tonnes toutes pleines,
En les faisant sécher, vous n’en aurez demain
Qu’un méchant grain de sel dans le creux de la main ».

Q14  T30

O critique du jour, chère mouche bovine, — 1835 (7)

Alfred de Musset in Oeuvres poétiques (ed. Pléiade)

Aux critiques du Chatterton d’Alfred de Vigny

O critique du jour, chère mouche bovine,
Que te voilà pédante au troisième degré!
Quel plaisir ce doit être, à ce que j’imagine,
D’aiguiser sur un livre un museau de fouine

Et de ronger dans l’ombre un squelette ignoré!
J’aime à te voir surtout, en style de cuisine,
Te comparer sans honte au poète inspiré
Et gonfler ta grenouille aux pieds du boeuf sacré!

De quel robuste orgueil l’autre jour je t’ai vue
Te faire un beau pavois au fond d’une revue!
Oh! que je t’aime ainsi, dépeçant tout d’abord

Quiconque autour de toi donne un signe de vie,
Et puis, d’un laurier-rose, amer comme l’envie,
Couronnant un chacal sur le ventre d’un mort!

oc.sym: abaa  babb T15

Le sonnet de Musset est particulièrement remarquable par ses quatrains, de disposition abaa  babb, où la rime ‘b‘ doit attendre la seconde strophe pour recevoir son écho. Les quatrains de ce sonnet n’ont pas d’existence indépendante (en ce qui concerne les rimes). Pourtant, la règle de la ‘quadruple rime’ est satisfaite, certes d’une manière peu orthodoxe. Dans une telle situation, il vaut mieux parler d’octave que de quatrains.

J’aime à suivre en l’espace — 1835 (5)

Emile PehantSonnets

Impromptu

J’aime à suivre en l’espace
Le nuage empourpré,
Qui par un beau soir passe
Comme un ange égaré ;

Et qui bientôt s’efface,
Pâle et décoloré,
Sans laisser nulle trace
Dans le ciel azuré.

Ma muse est ce nuage;
Aujourd’hui son passage
Attire quelques yeux;

Mais dès demain peut-être
Qui pourra reconnaître
Sa place dans les cieux?

Q8 – T15 – 6s

Sonnet, gentil sonnet, poëme-colibri, — 1835 (4)

Emile PehantSonnets

A mon recueil

Sonnet, gentil sonnet, poëme-colibri,
De prendre ta volée enfin l’heure est venue;
L’air manque au nid étroit qui t’a servi d’abri,
Tandis qu’un large ciel rit à ta bienvenue.

Pars, duc, mais sois modeste, ô mon sonnet chéri;
Dieu, ne t’a pas créé pour affronter la nue;
Des efforts excessifs t’auraient bientôt flétri:
Ne monte pas qui veut à la sphère inconnue.

Reste près des gazons, effleure les ruisseaux,
Mêle ta voix légère à la voix des oiseaux,
Baigne ton aile au fleurs dont avril se parsème.

Pour être humble, ton sort n’en sera pas moins doux:
Le roitelet n’est guère admiré, mais on l’aime …
Heureux roitelet! l’aigle en est parfois jaloux.

Q8 – T14 – s sur s

mr Pehant a l’audace d’intituler son livre ‘sonnets’. Il est le premier, semble-t-il, au 19ème siècle, à en offrir plus d’une centaine (108). Il introduit l’hexasyllabe dans le champ (n°5) et ne manque pas de composer un ‘sonnet sur le sonnet’.

En ce temps-là, dit la vieille chronique, — 1835 (3)

Julien TraversSonnets sur le Mont st Michel in Mémoires de la Société Royale Académique de Cherbourg

XIV

En ce temps-là, dit la vieille chronique,
Dont les récits, féconds en merveilleux,
Charment encor ma muse sympathique,
Comme ils charmaient nos crédules aïeux;

En ce temps-là, bien loin de l’Amérique,
La mer vomit un serpent monstrueux,
Dont la fureur, sur la plage hibernique,
Infestait l’air et de soufre et de feux.

De son oeil noir la prunelle sanglante
Dardait l’éclair, et nulle âme vivante
N’eût affronté ce rapide fléau,

Des glaives nus hérissaient ses écailles;
Chaque matin, ses profondes entrailles
De cent chrétiens devenaient le tombeau.

Q8 – T15 – déca

Mais sur le rocher énorme — 1835 (2)

Julien TraversSonnets sur le Mont st Michel in Mémoires de la Société Royale Académique de Cherbourg

X

Mais sur le rocher énorme
Se dresse un second rocher!
Du sommet qu’il rend difforme
Hâtons-nous de l’arracher.

Pour unir la plate-forme
Qu’embellira mon clocher,
Un pied sur la masse informe
Suffit pour le détacher;

Non le sentier des chansons,
Non la sandale des mères,
Non l’éperon triomphant,

Ni la soque de l’Ibère,
Ni la mule du Saint Père;
Mais le pied nu d’un enfant.

Q8 – xcd ccd – 7s

J’ai passé de Sicy le bois mystérieux. — 1835 (1)

Julien TraversSonnets sur le Mont st Michel in Mémoires de la Société Royale Académique de Cherbourg

I

J’ai passé de Sicy le bois mystérieux.
Sous le couteau sacré le sang d’une victime
Inondait le granit pour consulter les cieux:
Ainsi l’on préludait au jugement d’un crime.

Pendant que le druide est l’organe des dieux,
Je gravis en tremblant ta montagne sublime,
Bélinus. Car je viens pour acquitter des voeux,
Qui naguère ont sauvé mon vaisseau de l’abîme.

Ami de la nature, ô soleil, dieu du jour,
Je me dois tout entier à tes saintes prêtresses.
Leur javelots puissants m’ont valu mon retour.

Qu’un rayon de tes feux circule en mes caresses,
Et sur ce roc, enfin, tes belles druidesses
Recevront un mortel digne de leur amour.

Q8 – T21

Belinus : roi des Bretons, d’après Geoffroy de Monmouth