Archives de catégorie : Formule de rimes

Ma petite chérie est en tous points exquise. — 1947 (10)

Raoul Ponchon La Muse gaillarde

Sonnet de la petite chérie

Ma petite chérie est en tous points exquise.
Je n’imagine rien qui puisse en approcher.
Sa bouche, en s’y posant, ferait vivre un rocher,
Ses yeux dégèleraient la plus âpre banquise.

Elle parle, et voilà l’humanité conquise …
Mais ce n’est rien encore, il faut la voir marcher.
Elle marche, et la Grâce alors va se coucher;
Qu’elle aille se coucher, ou s’asseoir, à sa guise!

Le galbe de son corps, ai-je besoin, Messieurs,
De vous dire qu’il n’est rien d’autre, sous les cieux,
Qu’à Venus elle-même elle en pourrait revendre? …

Enfin, je ne sais pas, ô mes lecteurs dévots,
Si je me fais ici suffisamment comprendre:
Auprès d’Elle toutes les femmes sont des veaux.

Q15 – T14 – banv

Pour ne pas être seul durant l’éternité — 1947 (9)

Jules Supervielle Oublieuse mémoire


Sonnet
à Pilar

Pour ne pas être seul durant l’éternité
Je cherche au près de toi future compagnie
Pour quand, larmes aux yeux, nous jouerons à la vie
Et voudrons y loger notre fidélité.

Pour ne plus aspirer à l’hiver et l’été,
Ni mourir à nouveau de tant de nostalgie,
Il faut dès à présent labourer l’autre vie,
Y pousser nos grands bœufs enclins à s’arrêter,

Voir comment l’on pourrait remplacer les amis,
La France, le soleil, les enfants et les fruits,
Et se faire un beau jour d’une nuit coriace,

Regarder sans regard et toucher sans les doigts,
Se parler sans avoir de paroles ni voix,
Immobiles, changer un petit peu de place.

Q15 – T15

Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire, 1947 (8)

Jules Supervielle Oublieuse mémoire

Pâle soleil d’oubli, lune de la mémoire,
Que draines-tu au fond de tes sourdes contrées?
Est-ce donc là ce peu que tu donnes à boire
Ces gouttes d’eau, le vin que je te confiai?

Que vas-tu faire encor de ce beau jour d’été
Toi qui me changes tout quand tu me l’as gâté?
Soit, ne me les rends point tels que je te les donne
Cet air si précieux, ni ces chères personnes.

Que modèlent les jours ta lumière et tes mains,
Refais par-dessus moi les voies du lendemain,
Et mène-moi le cœur dans les champs de vertige

Où l’herbe n’est plus l’herbe et doute de sa tige.
Mais de quoi me plaignais-je, ô légère mémoire …
Qui avait soif. Quelqu’un ne voulait-il pas boire?

Q34 – T13 – disp: 4+4+4+2

Dans une contrée étrangère — 1947 (7)

Pierre-Jean JouveDiadème


Mandala

Dans une contrée étrangère
Entretien sur ce qui n’est pas:
Recherche du Nom sans personne
Et de la personne sans nom

Recherche des routes sans pont
Et de lacs où nulle eau ne sonne
Des temples bâtis sans lumière
Nuit où le soleil ruissela

Désir du membre sans moteur
De l’action sans corps de bête
De l’éternité sans pâleur

Et par le silence des fêtes
Faim du Souverain qui là-bas
Se dérobe dedans l’état.

abcc bcab – T23 – octo

Les objets ont l’immortelle tranquillité — 1949 (5)

Pierre-Jean JouveDiadème

Choses, I

Les objets ont l’immortelle tranquillité
Et l’immortel amour quand les relient les nombres
Entre l’antique ton la belle majesté
Du temps et le lieu pur l’espace en clair et sombre

Quand les formes sont nues ainsi la pleine chair
Consentante aux frissons, quand ressortent les songes
Des ornements secrets, quand un rayon d’éclair
Pressant chaque mémoire entre eux les fait répondre

Quand leur calme sortant pareil à l’oraison
Ils donnent au cœur d’homme avant qu’il ne les perde
Tout à coup sécurité consolation

Chacun est au plus haut dans les êtres qui sont
L’achèvement de leur mariage est leur superbe
Où Dieu pose la main sur la condition.

Q59 – T17

Un petit livre ouvert dont je cherche l’abord — 1949 (4)

Pierre-Jean JouveDiadème

Rêve du livre

Un petit livre ouvert dont je cherche l’abord
Est-il à le manger un abîme discord
Un livre avec du feu dans les plis et les lettres
Humides de sang rouge et comme veine ouverte

Où réconciliés sont amour et son manque
Et Dieu! et les baisers du pli et l’épuisante
Ascèse qui mélancolique bat la grève
De mourir et les cheveux langoureux et les lèvres

Le livre (est-ce le pli dévoré) s’ouvrira
Sur le massacre des amants par le poème
Et j’aurai toujours lu sa lettre avec fracas

Le livre de la chair et de Dieu abolis
En leur amour orgasme et seul esprit béni
L’unité d’un seul don dans les cuisses de femme.

Q57 – T25  (le vers 8 a 13 syllabes)

Folle douce, dans ses augures — 1949 (3)

Pierre-Jean JouveDiadème

Ophélie

Folle douce, dans ses augures
Celui qui t’adore n’a pas
Tant de mémoriales figures
Qu’il puisse pêcher vers le bas

Ta figure au fil des roseaux
Enfoncée dans le verdi charme
Des choses qui brouillent les eaux
Ont fait ta chute sans alarme;

Mais il gémit de ta nature
Sous les grands arbres du départ
Les vaches du palais où dure

La terreur profonde du dard
Amoureux, les remous d’oiseaux,
Et les bouches jusqu’aux tombeaux.

Q59 – T23 – octo

O arbre de Jessé! — 1949 (2)

Pierre-Jean JouveDiadème

O arbre de Jessé!
Je sais que je t’accorde plus que ton lignage
Ne mérite et que le foudroyant été
Descend à mon insu des grâces sur ta face

Vapeur imaginaire du Liban
Pour le pauvre cœur las de l’homme: mais me laisse
Errer dans ma splendeur sous de vastes yeux blancs
Et noire! au maître fou ne montre rien qui baisse.

Mais toi démon sans bords
Salut! jambes fermées sur la pensée
Et la poitrine double et jeune et épuisée

Des yeux de mer à la face brunie aux pieds forts
De l’âme séraphique au postérieur mouvant
Des grossesses d’esprit au vierge éprouvement.

Q59 – T30 – m.irr

C’est un sonnet. Pensant à vous, très belle, — 1949 (1)

Tristan Klingsor Cinquante sonnets du dormeur éveillé

Le sonnet

C’est un sonnet. Pensant à vous, très belle,
A cet iris bordé de cils de nuit
Où la moquerie fait luire une perle,
Je le compose pour tromper l’ennui

Sorcier des mots, hélas! ce soir ne suis;
En habits d’or la syllabe rebelle
Paraît, danse, tournique et puis s’enfuit
Dès que ce niais de Sologne l’appelle

Et si l’amour recommençait sa fête,
Si la folle du logis revenait,
Ah! seriez-vous à cette heure où vous êtes?

Tant pis, je veux en avoir le cœur net;
Encore un vers, voici la chose faite:
N’en doutez pas, belle, c’est un sonnet.

Q11 – T20 – déca (peu réguliers) – s sur s

L’autre jour – et vous m’en croirez si vous voulez, — 1948 (3)

– Jules Lemaître in  Dr O’Followell: Le sonnets d’Arvers et ses pastiches

A la manière de François Coppée

L’autre jour – et vous m’en croirez si vous voulez,
Car un événement simple est parfois bizarre –
Ayant sous le bras deux paquets bien ficelés,
Je me dirigeais du côté de Saint Lazare.

Après avoir pris mon billet sans démêlés,
J’entre dans un wagon et j’allume un cigare,
D’un sou – le train, nous en étions fort désolés
Etant omnibus s’arrêtait à chaque gare.

Soudain il siffle et fait halte. Au même moment
Un monsieur, pénétrant dans mon compartiment,
Prend les billets, ainsi qu’on ferait une quête;

– Et moi, content de voir enfin ma station,
Je remets mon billet sans contestation
A l’employé portant un O sur sa casquette.

Q8 – T15