Archives de catégorie : Formule de rimes

Les poètes, un jour, reviendront sur la terre. — 1944 (1)

Jean Cassou (Jean Noir) – 33 sonnets composés au secret

 » Dès la première nuit j’ai commencé mes sonnets. Couché sur ma paillasse, avec mon pardessus, mon cache-nez, mes gants, mes souliers, je me suis senti comme un bloc passif, la momie, l’Osiris qu’on envoie dans la nuit. (…) Je dormais très peu à cause du froid : je m’occupais donc à mes exercices poétiques, me récitant par cœur les sonnets déjà composés, les corrigeant, les complétant. J’ai ainsi écrit sur la page blanche intérieure à peu près un demi-sonnet par nuit.  »

V

Les poètes, un jour, reviendront sur la terre.
Ils reverront le lac et la grotte enchantée,
les jeux d’enfant dans les bocages de Cythère,
le vallon des aveux, la maison des péchés

et toutes les années perdues dans la pensée,
les sœurs plaintives et les femmes étrangères,
le bonheur féerique et la douce fierté
qui posait des baisers à leur front solitaire.

Et ils reconnaîtront, sous des masques de folles,
à travers Carnaval, dansant la farandole,
leurs plus beaux vers enfin délivrés du sanglot

qui les fit naître. Alors, satisfaits, dans le soir,
ils s’en retourneront en bénissant la gloire,
l’amour perpétuel, le vent, le sang, les flots.

Q11 – T15

Le jour est à sa place et coule à fond de temps, — 1943 (7)

Robert DesnosEtat de veille

Saisons

Le jour est à sa place et coule à fond de temps,
A moins que l’être monte à travers des espaces
Superposés dans la mémoire et délestant
La cervelle et le cœur de souvenirs tenaces.

Etés, puissants étés, votre nom même passe,
Etre et avoir été, passe-temps et printemps,
Il passe, il est passé comme une eau jamais lasse,
Sans cicatrices, sans témoins et sans étangs.

Saisons, vous chérissez du moins le grain de blé
Qui doit germer aux jours de dégels et la clé
Pour ouvrir au départ les portes charretières.

Les astres dans le ciel par vous sont rassemblés,
L’an va bientôt finir et des pas accablés
Traînent sur les chemins ramenant aux frontières.

Q11 – T15

Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit — 1943 (6)

Robert DesnosEtat de veille

Fantôme

Arrête-toi! Je suis ici, mais tant de nuit
Nous sépare qu’en vain tu fatigues ta vue:
Tu te tais, car l’espace, où se dissout la rue,
Nous-même nous dissout et nous saoule de bruit.

C’est l’heure où panaché de fumée et de suie,
Le toit comme une plage offre au fantôme nu
Son ardoise où mirer le visage inconnu
De son double vivant dans un miroir de pluie.

Fantôme, laisse-nous rire de ta sottise,
Tu habites les bois, les châteaux, les églises
Mais tu es le valet de tout homme vivant.

Aussi n’as-tu jamais fait de mal à ces êtres,
Tant, s’ils ouvraient un soir la porte et les fenêtres,
Tu dissoudrais la nuit dans le bruit et le vent.

Q63 (a’=a*; b’=*) – T15   Les rimes du premier quatrain sont masculines; féminines celles du second.

Si tu veux, ouvrons la porte — 1943 (5)

Vincent Muselli Plusieurs sonnets

Si tu veux

Si tu veux, ouvrons la porte
Qui mène au jardin secret:
Laisse-toi prendre à ce ret,
O Toi, si frêle et si forte!

Amie, et faisons de sorte,
Par un amoureux apprêt,
Que je tienne, indiscret,
En cet émoi d’être morte

Elyséen, mais si bref!
Ah, n’en demeure grief
En ta chair jeune et fleurie,

Mais qu’un désir ingénu,
Charmante, y persiste et rie
A tel beau dieu reconnu!

Q15  –  T14 – 7s

Gaspiller sa pensée en un dévergondage — 1943 (4)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

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Gaspiller sa pensée en un dévergondage
Est impudique: avant l’acte, la volupté
Est parjure et cruelle, âpre et sans loyauté,
Funeste, extrême, rude et menteuse et sauvage.

Plaisir des sens, maudit, dès qu’expérimenté;
Déraison poursuivie, et qui, sitôt l’usage,
Est déraison haïe: ainsi, sur son passage,
Serait l’appât rendant un chasseur hébété.

Hébété dans la chasse et dans la réussite;
Passé, Présent, Futur surexcitant l’ardeur;
Un bonheur devant soi, mais derrière, un malheur;

Avant, une âpre joie; un mauvais rêve, ensuite ….
Le Monde sait cela – mais nul n’est bien expert
A l’éviter, l’Eden qui mène à cet Enfer.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

Je suis comme le riche, à qui sa clef suffit — 1943 (3)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

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Je suis comme le riche, à qui sa clef suffit
Pour jouir des trésors d’un cher coffre d’avare:
Il ne veut pas les voir à tout coup, jour et nuit,
De peur que ne s’émousse une volupté rare.

Les fêtes sont aussi des raretés qu’on mit
De place en place dans un Almanach bizarre
Comme pierres de choix en montures de prix,
Ou joyaux isolés dont un collier se pare.

Le Temps est le coffret qui vous tient enfermé,
L’armoire où sagement se peut céler la robe,
Pour qu’au moment voulu l’éclat qui se dérobe
Puisse avoir l’imprévu de l’inaccoutumé.

Béni soyez, Valeur qui m’offrez double chance,
Etre vôtre – un triomphe; attendre – l’espérance!

Q8 – T30 – disp: 4+4+4+2 -tr

Des êtres les plus beaux nous souhaitons lignée, — 1943 (2)

Fernand Baldensperger, trad. Les sonnets de Shakespeare, traduits en vers français ..

… « ma traduction laisse subsister (la) disposition anglaise, mais elle maintient les groupes de rimes, qui dans l’autre système, donnent leur caractère aux deux premiers quatrains »

I

Des êtres les plus beaux nous souhaitons lignée,
Que Rose de Beauté ne disparaîtra pas,
Et, si la plus ouverte est vouée au trépas,
Qu’un tendre rejeton soit sa suite assignée.

Toi qui, dans tes yeux vifs concentrant tant d’appâts,
Nourris de ta substance une lumière ignée,
Tu réduis à la gêne une abondance innée –
Ennemi de toi-même et de ton propre cas!

Si bien que désormais, frais ornement du Monde,
Toi l’unique Héraut d’un Printemps généreux,
Tu renfermes ton être en un bourgeon frileux,
Et répands, tendre ami, ta lésine à la ronde.

Pitié pour l’Univers! ou bien, gloutonnement,
Absorbe l’Univers et toi, rien qu’en mourant.

Q16 – T30 – disp: 4+4+4+2 – tr

Je goûte, à ton fil de lait, — 1943 (1)

Audiberti Toujours

Ruth

Je goûte, à ton fil de lait,
tes creuses raisons, drôlesse
Laissant ce qui ne me laisse,
Je te choisis. Le fallait.

Mon soleil vit sous les feuilles
Des penseurs que je perdis.
Va-t-il se dissoudre, dis,
dans le golfe où tu m’accueilles?

Si c’est toi, beauté, ce soir
la porte du péché noir
qu’elle s’ouvre, et que je passe …

-Non! non! je ne veux, je ne
veux pas maintenant, limace!
toucher la face de Dieu.

Q63 – T14 – 7s

Onze nombre impair. La rétention du temps — 1942 (4)

Raymond Queneau – in Si tu t’imagines – les Ziaux IV – daté 1942

Bout de l’an

Onze nombre impair. La rétention du temps
Décembre devant nous achève un cortège
Assez loin de mille et un peu plus de cent
La boue et la pluie et pas encor la neige

De l’achèvement toujours à la limite
L’arbre attend son fruit et la lave son roc
La faux se détourne du nid de termites
L’étoile court après le chant niais du coq

Tous vont arriver. L’aube belle charogne
Epluche l’univers rejette la nuit
La sotte volaille s’égosille et luit

La graine éclate et se met à la besogne
L’année accouche de son alexandrin

Le sonnet s’arrête au numéro quatorze

Q59 – cddcxy 11s

Blum avait soutenu les rouges de l’Espagne, — 1941 (1)

Emile Bussière A la gloire du Maréchal : les grands noms de l’épopée française. Sonnets sur Roland, Jeanne d’Arc, Napoléon, Pétain

Le maréchal Pétain
L’ambassadeur

Blum avait soutenu les rouges de l’Espagne,
Et livré, conscient d’un criminel effort,
Nos armes, nos canons, pour les œuvres de mort,
D’effroyables bandits relâchés par le bagne.

Dans une foudroyante et savante campagne,
Le général Franco s’affirmant le plus fort,
Réduisit, sans pitié pour leur malheureux sort,
Les assassins traqués jusque dans leurs montagnes.

Depuis, le Maréchal dût, comme ambassadeur,
Pour réparer nos torts, plaider avec ardeur,
D’Irun à Malaga, de l’Ebre jusqu’au Tage

Partout on lui tendit une loyale main,
Mais il ne devait pas achever son voyage,
Car Dieu l’avait marqué pour un plus haut destin.

Q15  T14 – banv