Archives de catégorie : Formule de rimes

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine — 1940 (2)

Olivier LarrondeL’ivraie en ordre (ed. 2002)


Juvenilia

On ne peut plus douter de mon cœur, capitaine
J’ai des mains plein ma poche et je les distribue.
Ta mèche de fer m’égratigne, j’aurais peine
A rhabiller de soie la mamelle où j’ai bu.

Il faudrait tout vous dire, oublier qui vous mène
Et si des mains coupées vous ont les bras tenus.
Un pirate déguise une peau de panthère
Ce pelage d’infante un autre dissimule.

Tes pieds gelés déforment  mon image, bouge,
Enlève ton sourire: il me coupe la bouche.
La bouteille vidée tend sa lèvre à la mer.

Une étoile vous brûle et vous perdez la tête
L’étoile qui vous brûle est une cigarette
(Vous devez regarder mon sonnet de travers).

Q8 – T15 – disp: 8+3+3

Hilversum Kalundborg Brno l’univers crache — 1940 (1)

Aragon Le Crève-Coeur


Petite suite sans fil

Hilversum Kalundborg Brno l’univers crache
Des parasites dans Mozart du lundi au
Dimanche l’idiot speaker me dédie ô
Silence l’insultant pot pourri qu’il rabâche

Mais Jupiter tonnant amoureux d’une vache
Princesse avait laissé pourtant en rade Io
Qui tous les soirs écoutera la radio
Pleine des poux bruyants de l’époux qui se cache

Comme elle – c’est la guerre – écoutant cette voix
Les hommes restent là stupides et caressent
Toulouse PTT Daventry Bucarest

Et leur espoir le bon vieil espoir d’autrefois
Interroge l’éther qui lui donne pour reste
Les petites pilules Carter pour le foie

Q15 – T28

Quand vous serez bien vieux, avec encor des dents — 1939 (1)

Raoul Ponchon in  Marcel Coulon: toute la poésie de Ponchon

Sonnet à Chevreul

Quand vous serez bien vieux, avec encor des dents
Plein la bouche, et déjà dorloté par l’Histoire,
Direz, si ces vers-ci meublent votre mémoire
Un tel me célébrait lorsque j’avais cent ans.

Lors, vous n’aurez aucun de vos petits-enfants
Qui n’ait soif à ce nom et ne demande à boire,
Répétant à l’envi votre immortelle gloire
Et le nombre fameux de vos jours triomphants.

Pour moi, je serai mort depuis belle lurette
Mais je refleurirai dans quelque pâquerette
Vous, vous aurez toujours la même horreur du vin.

Ah ! si vous m’en croyez, ô vieillard sobre et digne,
Ainsi que tout le monde éteignez-vous demain
Mais cueillez aujourd’hui les roses de la Vigne.

(1886)

Q15 – T14 – banv

L’assesseur ne doit pas rédiger son courrier, — 1938 (7)

Pierre Malicet Les sonnets du juge

L’assesseur

L’assesseur ne doit pas rédiger son courrier,
Faire le manucure au cours de l’audience,
Ni bavarder trop fort, mais sauver l’apparence,
Et d’un sommeil bruyant n’être pas coutumier.

Cet auditeur passif n’est qu’un pur chancelier
Disent les ignorants avec quelque impudence.
Ils ne veulent pas voir que la jurisprudence
Est l’oeuvre de ces gens au bon vouloir entier

Qui subissent sans fin, pénitence invisible,
Les assauts des bavards dont ils forment la cible,
Et sans pouvoir bouger de leur vaste fauteuil,

Supportent un bon vieux qui préside à sa mode,
Trop lentement parfois, c’est là le grand écueil,
Alors qu’ils ont, eux seuls, la meilleure méthode.

Q15  T14 – banv

J’ai rêvé posséder les oeuvres de Malherbe. — 1938 (6)

Raoul Ponchon La muse au cabaret

L’exemplaire du Roy

J’ai rêvé posséder les oeuvres de Malherbe.
Un exemplaire unique, admirable, un trésor!
Tout habillé de pourpre, et les fleurs de lys d’or
En étoilant les plats, nombreuses comme l’herbe.

Le vélin en est pur, l’impression superbe,
Messieurs les éditeurs, à cette époque encor,
Se montraient soucieux de soigner le décor
Qui faisait ressortir et resplendir le verbe.

Mais ce rare bouquin ne serait rien ma foi,
S’il n’était pas le propre exemplaire du Roy.
Il l’est. Et dans un coin de marge, on y remarque,

Alors que le poète arrive au baragouin
De l’éloge, ces mots, de la main du monarque:
 » Mon vieux Malherbe, ici, tu vas un peu trop loin! »

Q15 – T14 – banv

Un nasillement doux. C’est elle et c’est assez. — 1938 (4)

Francis Jammes – Poèmes inédits et isolés in Oeuvres

Les quatre demoiselles Ducos

Un nasillement doux. C’est elle et c’est assez.
Ni poitrine, ni bras, ni jambes, ni cervelle.
Dieu bon mit un corset à son corps de javelle
Et pour la douce enfant créa les cétacés.

La seconde a des yeux de chinoise sensés.
Et ces yeux-là feraient au Japon des fidèles
Car ils ont la couleur des soupes d’hirondelle.
On dit que c’est très bon, ma cousine. Excusez.

La troisième des soeurs ressemble aux Philis douces
Qui, près des vieux châteaux, s’étendant sur les mousses
Semblaient être les fleurs vivantes du gazon;

Et la petite Ady que tout le monde vante
A l’air, lorsque son corps s’ajoute à sa raison,
D’un petit papillon plus gros qu’une éléphante.

1891?

Q15 – T14 – banv

Il rêvait tout enfant d’une boite de fil — 1938 (3)

Francis Jammes – Poèmes inédits et isolés in Oeuvres

Dandysme

Il rêvait tout enfant d’une boite de fil
Qu’il avait entrevue un jour chez la comtesse:
Un indien avec un soleil sur la fesse
Gauche et que regardait un serpent de profil.

Superbement campé, un tout nu sans coutil,
Ce sauvage tirait de l’arc avec adresse
Si bien qu’il envoyait – tout juste à son adresse –
La flèche dans l’œil droit du grand python subtil.

Et cet enfant rêveur qui se curait les ongles,
Dandy futur, était scandalisé de voir
L’anthropophage nu montrant son cul aux jungles:

Mon père, pensait-il, se mêt en habit noir.
Quand il fut plus âgé, ce Dandy sur l’échine
De cet indien mit un peu d’encre de Chine.

1891?

Q15 – T23

Ouvrier précieux qui polis et qui rodes — 1938 (2)

Francis Jammes – Poèmes inédits et isolés in Oeuvres

Ouvrier précieux

Ouvrier précieux qui polis et qui rodes
Le cristal fin des vers aux doux résonnements,
Plus inquiet que toi des clairs raisonnements,
Je ne gemmerai point mes pages d’émeraudes.

Quand tu rimes ainsi, grand artiste, tu fraudes
Et facette du strass pour de durs diamants,
Orfèvre d’Hiéron dont les faux parements
Sont faits de cuivre vil avec lequel tu brodes.

Je forge ce sonnet pur impeccablement,
Impassible, et cachant mon noir accablement,
Pour te montrer qu’aussi je dompte et je terrasse

Les rhythmes solennés en mon œuvre bannis,
Faisant voir que mon livre est de ma seule race
Et que c’est bien exprès que mes mots sont ternis.
1888

Q15 – T14 – banv

Ma maison est yssue de cet païs de llanes, — 1938 (1)

Ch. Nismes – Un poète inconnu du 16ème: Les sonnets guerriers et galants de Corbeyran de Gabarret.

« Au printemps de 1938, ayant affaire dans une métairie à quinze cent mètres de la route qui va de Monteshus à Cancon et Monflanquin, en Lot-et-Garonne, je trouvai à cette maison l’aspect d’une gentil-hommière délabrée, qui lui donnait deux vieux ormeaux, un pigeonnier croulant et les restes d’une garenne;
le propriétaire me dit qu’en achetant cette demeure, son père y avait trouvé des papiers très mal écrits et très vieux, des actes notariés, pensait-il.
Ayant demandé à les voir je tombai, à ma grande surprise sur des vers pittoresques et complètement inconnus paraissant remonter à la seconde moitié du 16ème siècle.
Tous les archivistes savent que les écritures de cette époque sont encore plus difficiles à lire que celles des siècles antérieurs. Par bonheur, l’écriture de ce fragment de manuscrit était grosse et assez peu fioriturée. Mais beaucoup de pages avaient été arrachées. Les autres étaient salies, maculées, rongées par les souris. J’ai rétabli à grand peine 22 sonnets. On voudra bien m’excuser si mes interpolations ont pu manquer parfois d’adresse, car il y a des années que le temps m’a manqué pour relire les poètes du 16ème siècle.
Je ne sais rien de Corbeyran de Gabarret, sire de Magnoac, et sans les deux premiers sonnets, j’ignorerais même son nom. Ce cadet de Gascogne, officier subalterne de ‘piquiers piétons’, parait avoir servi de longues années sans beaucoup d’avancement. ….
Il ne se gêne pas pour prendre, à l’occasion, quelques libertés avec les règles strictes de cette forme poétique, quoique d’autres sonnets soient tout à fait réguliers, et même élégants.

Origines

Ma maison est yssue de cet païs de llanes,
Ne en bled, ne en vins fertile. Lanusquets,
On nous dénomme ainsy dans le duché d’Albret,
Riche de pins, sans pain aultre que de millanes;

Ou chasteignes. Tenions castel en Gabarret.
Il advint qu’il nous fust confisqué par arrest
De Parlement. Depuys je hays toutz cets infasmes
Gens de robbes, qui vont desrobbant corps et asmes.

Et pour moy, je suys né, ce jourd’huy soixante ans
En un autre païs verdoyant de Gascoigne.
Droict vers les baronies en tyrant sus Hespaigne.

Bon terroir qui produict des chevaulx excellens,
Fruicts et grains. Populeux; nulle espouse brehaigne.
A pour nom Magnoac, aux ruysseaus murmurans.

Q18 – T28  – Rien que le traitement de la rime montre que ce sonnet n’a pas pu être composé au seizième siècle