Archives de catégorie : Formule de rimes

Le soleil a chauffé notre toit tout le jour — 1898 (11)

Jean Amade


Notre toit

Le soleil a chauffé notre toit tout le jour
faisant luire comme une rose chaque tuile,
tandis que pour bercer leur rêve et leur amour
dans les frênes chantaient les cigales divines ;

autour de lui ont bourdonné toutes les guêpes
cherchant à prendre quelque chose de sa vie ;
et maintenant, Myrta, il tombe sur la terre
du silence, de la fraîcheur et de la nuit.

Rentrons : nous serons mieux sur le lit séculaire
l’un près de l’autre dans la chambre aux rideaux clairs ;
l’abri est sûr, reposons-nous en confiance …

Demain quand sourira l’aurore, notre toit
élèvera dans l’air comme une fumée blanche
sa petite prière et sa petite joie.

Q59  T14  r.exc.

Des profondeurs du rêve en lequel tu t’exiles — 1898 (10)

Alban Roubaud in La Cité d’Art

Appareillage

Des profondeurs du rêve en lequel tu t’exiles
ô mon âme pour fuir un peu la vérité
n’entends-tu pas, ce soir, comme un appel jeté
par delà l’horizon, en de magiques îles ?

Viens ! je veux m’affranchir du souffle impur des villes
et murer à jamais mon cœur ensanglanté :
Allons nous abreuver aux sources de clarté,
loin des désirs malsains hurlant en troupes viles.

Cinglons vers d’irréels pays que tu nommas :
peut-être qu’il fleurit sous de nouveaux climats
l’oubli que nous cherchons à nos douleurs secrètes.

Et qu’enfin tu pourras en des sites d’espoirs,
accouder ta pensée au bord croulant des soirs
et ne la confier qu’à des choses muettes.

Q15  T15

Mon âme à fonds secrets pleure le ministère — 1898 (8)

Jean Goudezki Hercule ou la vertu récompensée

Sonnets des revers

Mon âme à fonds secrets pleure le ministère
Le pouvoir éternel en un moment conçu.
Le mal n’est pas bien rare et je pourrais le taire,
Car si je fus ministre on n’en avait rien su.

Ainsi j’aurai passé, ministre inaperçu
Aussi triste qu’un ver et non moins solitaire,
Et je vais retourner à mes pommes de terre,
Ayant tout demandé et n’ayant rien reçu.

L’électeur, quoique Dieu l’ait fait naïf et tendre,
Va peut-être, à présent, m’oublier, sans entendre
Les appels au scrutin placés dessous ses pas.

A l’austère devoir correctement fidèle,
Le Président va dire en lisant la nouvelle:
« Quel était ce monsieur? » et ne comprendra pas …

Q10 – T15 – arv

Je t’attends samedi, car, Alphonse Allais, car — 1898 (6)

Jean Goudezki Hercule ou la vertu récompensée

Invitation
sonnet olorime

Je t’attends samedi, car, Alphonse Allais, car
A l’ombre, à Vaux, l’on gèle. Arrive. Oh ! la campagne !
Allons – bravo ! – longer la rive au lac, en pagne ;
Jette à temps, ça me dit, carafons à l’écart.

Laisse aussi sombrer tes déboires, et dépêche !
L’attrait (puis, sens !) : une omelette au lard nous rit,
Lait, saucisse, ombre, thé des poires et des pêches,
Là, très puissant, un homme l’est tôt. L’art nourrit.

Et, le verre à la main, – t’es-tu décidé ? Roule –
Elle verra, là mainte étude s’y déroule,
Ta muse étudiera les bêtes et les gens !

Comme aux dieux devisant, Hébé (c’est ma compagne)…
Commode, yeux de vice hantés, baissés, m’accompagne…
Amusé tu diras :  » L’Hébé te soûle, hé ! Jean !  »

Q62 – T15

Il te fut révélé, ce soir, et t’a blessée, — 1898 (5)

François Dellevaux Le sachet d’amour

Le lys

Il te fut révélé, ce soir, et t’a blessée,
L’acte brutal qui préoccupe ta pensée.
Or, c’est l’instant, ô virginale fiancée!
Des souhaits écoutés et des voeux accomplis….

Sois à moi! Le corps seul est d’argile. Le lys,
Cette royale fleur de pureté candide,
A besoin, pour pousser son calice splendide,
Du suc vivifiant d’un noir humus sordide:

Donne-toi. Notre amour te deviendra plus cher
En s’idéalisant, car, dans l’Oeuvre de chair,
La caresse est le Spasme et l’étreinte est l’Extase.

Qu’importe la matière impure, si l’esprit
S’en exalte? O leçon! Le parfum qui fleurit
Ignore, sans dédain, le fumier de sa base!

aaab  ba’a’a’ – T15

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes, 1898 (4)

Jean Moréas Poésies 1886-1896

Choeur

Hors des cercles que de ton regard tu surplombes,
Démon Concept, tu t’ériges et tu suspends
Les males heures à ta robe, dont les pans
Errent au prime ciel comme un vol de colombes.

Toi, pourquoi sur l’autel fumant en hécatombes
Les lourds désirs plus cornus que des égipans,
Electuaire sûr aux bouches de serpents,
Et rite apotropée à la fureur des trombes;

Toi, sistre et plectre d’or, et médiation,
Et seul arbre debout dans l’aride vallée,
O Démon, prends pitié de ma condition;

Eblouis-moi de ta tiare constellée,
Et porte en mon esprit la résignation,
Et la sérénité en mon âme troublée.

Q15 – T20

Les langages humains, les mots d’une patrie, — 1898 (3)

– Marquis de Pimodan, Duc de Rarecourt  – Les sonnets

Le Golgotha

Les langages humains, les mots d’une patrie,
Les vocables du monde expirent! ….
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……………………………. Roi des Rois
Dieu Tout-Puissant! Jésus va mourir sur la Croix,
Et, tremblante, à ses pieds debout se tient Marie

Et, rétréci d’effroi, le coeur épouvanté
De la Mère, adorant l’Auguste Volonté,
Doit accepter l’horreur immense du Mystère,

Car qu’elle dise: « O Fils! mais ton sang est à moi,
Moi qui te l’ai donné! que m’importe la terre?
Que m’importent les cieux? Ce qu’il me faut: c’est Toi! »

quatrains lacunaires – T14

Son coeur avec ses doigts palpitait sur la lyre, — 1898 (2)

Maurice Deligny & Lucien Gouverneur Doubles sonnets sur singulières rimes

n° 9bis
Hommage à Sappho

Son coeur avec ses doigts palpitait sur la lyre,
Pour éveiller un chant sauvage et presque amer,
Ou sans cesse clamant, plus profond que la mer,
Son amour incompris que nul n’avait pu lire.

L’appel inentendu que lançait son délire,
Embaumé de caresse et tout fleuri de mer –
veilleux et fous baisers, n’en trouvait que de mer-
cenaires chez l’amant qu’elle brûlait d’élire ….

Elle dort maintenant, sous son linceul vermeil,
Encore inapaisée au suprème sommeil,
Et le flot inquiet qui vient battre la roche

Conserve de ses yeux l’attirante phospho-
rescence et pleure, ainsi qu’un éternel reproche,
Dans le rêve des nuits, le grand nom de Sapho.

Q15 – T14 – banv

Muse, écoute les sons envolés de la lyre — 1898 (1)

Maurice Deligny & Lucien Gouverneur Doubles sonnets sur singulières rimes

n° 9 Hommage à Sappho
Pour honorer la grande Poëtesse on a reproduit son divin caprice de couper les mots qui terminent certains vers

Muse, écoute les sons envolés de la lyre
Les accents font courir des frissons sur la mer
Houleuse éperdument. Dans les bois c’est la mer-
veille! et tout, jusqu’au flot, partage son délire.

Aphrodite la brûle; elle est venue élire
Sa demeure en ce corps que l’ouragan amer
Des voluptés mord, sèche et tord; Phaon le mer-
cenaire a saccagé cette âme sans la lire.

Grande amante fluide, ouvre tes flancs phospho-
rescents, tumultueux, à l’ardente Sapho
Qui, pour te posséder, s’élance de la roche!

Elle y croyait dormir un éternel sommeil,
Mais jusqu’en l’avenir, troublant comme un reproche,
Son désir de la chair vibre toujours vermeil.

Q15 – T14 – banv –  quelques fins de vers intra-mot, longtemps, longtemps, longtemps avant Denis Roche et Jean Ristat