Archives de catégorie : Formule de rimes

Or puisque le veau d’or a lieu — 1894 (14)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A Léon Vannier

Or puisque le veau d’or a lieu
Et qu’on ne dirait plus du veau,
Il nous fut d’abord prier Dieu
Tout bonnement prodigieux.

Pour nous ruer à des travaux
Tout bonnement prodigieux,
Prose au kilo, vers vrais ou faux,
Qu’importe? Tant pis et tant mieux!

Nouer et dénouer des noeuds
Gordiens ou non, et n’étant
Pas plus des princes que des boeufs,

Néammoins, peiner tant et tant
Que vous fassiez une fortune boeuf
Et que moi j’achetasse un courage tout neuf.

abaa babb – T23 – 2m : octo; alexandrin: v.14 – toutes les rimes sont masculines. Il y a aussi un jeu de rimes sur le singulier et le pluriel

Non. Ce n’est pas vrai. Vous êtes très bonne, — 1894 (13)

Verlaine Dédicaces (2ème ed.)

A ***

Non. Ce n’est pas vrai. Vous êtes très bonne,
Très sobre de paroles dures vraiment
Et votre verbe est un pur liniment
Tout en voyelles sans la moindre consonne.

C’est la cause pourquoi je vous pardonne
Quelque vivacité dite éventuellement
Et sûrement dans le juste moment
Où je la mérite, et parlant à ma personne.

Car vous êtes franche et ce m’est doux,
Dans ce monde vil et surtout jaloux
De ramper autour de quelqu’un pour le tromper

Et c’est très bien ça, ma si chère amie,
Et je vous en estime (et je ne mens mie)
Et je t’en aime mieux encore de ne pas me tromper.

Q15 – T15 – m.irr – même mot à la rime aux vers 11 et 14

Comme un troupeau docile au Maître Capital, — 1894 (11)

Tristan Bernard Vous m’en direz tant!

Comme un troupeau docile
Comme un vol de gerfauts…

Comme un troupeau docile au Maître Capital,
Du palais de Bourbon, proche la Madeleine,
Ceusses de la Montagne et ceusses de la Plaine
S’en venaient, attirés, vers le guichet fatal.

Ils venaient pour palper l’avantageux métal
Accru depuis longtemps au fond des bas de laine.
Puis leur rut obstiné vidait leur poche pleine
Aux nids luxurieux du monde horizontal.

Le vin, qui ruisselait des mains des courtisanes
Leur faisait entrevoir les deux mers océanes
Heurtant à des flots d’or les flots céruléens.

Mais voici qu’inclément l’Avenir se révèle;
Et bientôt, transportés aux frais des citoyens,
Ils verront resplendir tes étoiles, Nouvelle!

Q15 – T14 – banv – parodie

Le vélin crie et rit et grimace, livide. — 1894 (10)

Alfred JarryMinutes de sable mémorial
Les trois meubles du mage surannés

II
Végétal

Le vélin crie et rit et grimace, livide.
Les signes sont dansants et fous. Les uns, flambeaux,
Pétillent radieux dans une page vide.
D’autres en rangs pressés, acrobates corbeaux,

Dans la neige épandue ouvrent leur bec avide.
Le livre est un grand arbre émergeant des tombeaux.
Et ses feuilles, ainsi que d’un sac qui se vide,
Volent au vent vorace et partent en lambeaux.

Et son tronc est humain comme la mandragore;
Ses fruits vivants sont des fèves de Pythagore;
Ses feuillets verdoyants lui poussent en avant.

Et les prédictions d’or qu’il emmagazine,
Seul peut les lire sans péril le nécromant,
La nuit, à la lueur des torches de résine.

Q8 – T14

A l’horizon, par les brouillards, — 1894 (9)

Alfred JarryMinutes de sable mémorial

L’homme à la hache

A l’horizon, par les brouillards,
Les tintamarres des hasards,
Vagues, nous armons nos démons
Dans l’entre-deux sournois des monts.

Au rivage que nous fermons
Dome un géant sur les limons.
Nous rampons à ses pieds, lézards.
Lui, sur un char tel un César.

Ou sur un piédestal de marbre
Taille une barque en un tronc d’arbre
Pour debout dessus nous poursuivre

Jusqu’à la fin verte des lieux.
Du rivage ses bras de cuivre
Lèvent au ciel la hache bleue.

Q6 – T14 – octo

Le bûcher est dressé, le triomphal bûcher, — 1894 (8)

Marie KryzinskaJoies errantes

Jeanne d’Arc
A Paul Hugonnet
Sonnet en prose

Le bûcher est dressé, le triomphal bûcher,
Où Jeanne montera, ainsi que l’on s’exhausse
Sur un trône d’immortalité.
Court-voyants soudards qui appelez
Supplice – l’apothéose de sa gloire!
Plus cléments, vous eussiez volé
Sa belle part
Au patrimoine de l’Histoire.

La voici, tel un joyeux Archange planant haut
Au milieu des flammes vermeilles,
Qui chantent sa beauté de vierge sans pareille.

Et sa cendre sera
La semence précieuse qui fera
Lever une moisson de héros.

abaaa’b’xa’ – T15 – disp: 8+3+3 –  m.irr – L’auteur nomme ‘sonnet en prose’ un poème où les rimes sont non classiques, un vers est sans rime et la métrique est très irrégulière.

De la quête ingénue, aussi émouvante — 1894 (7)

Marie KryzinskaJoies errantes

à Luce Colas

De la quête ingénue, aussi émouvante
que la grâce des paysages normands,
où, parmi les doux feuillages bruissants
l’eau coquette miroite, court, enchante.

Le cher souci d’Art a mis dans ses yeux gris,
rieurs de malice, un rien de graves songers,
mais sa bouche demain le fruit frais des vergers
aimés de Watteau et tout parfumés d’esprit.

Le siècle des fossettes et des bergeries,
des amours, des rubans et des coeurs aux abois,
semble l’avoir ornée pour le plaisir des yeux;

et c’est aussi le charme exquis des causeries
tendres et raisonneuses des Dames d’autrefois
qui ressuscite en elle par le vouloir des Dieux.

Q63 – T36 – métrique irrégulière, plutôt 11s

La chasuble des Apostoles, — 1894 (6)

Laurent TailhadeAu pays du Mufle – (ed.1920)

II
Virgo Fellatrix (d’après Laurent Tailhade)

La chasuble des Apostoles,
Dans le cristal incendié
Flamboie – Un coeur supplicié
Attend, vierge, que tu l’extolles.

D’or fin, la Lune, sous ton pié:
Aux accents des luths, des citoles,
L’Ange ‘Saint des saintes étoles »
Chante l’amour. O filiae!

Canonique! mystique! unique!
Hors du triptyque, ta tunique
Verse l’âme des Paradis.

Toi, la Pudibonde, sans nulle
Macule, j’ouvre la lunule
Des ostensoirs où tu splendis.

Q15 – T15 – octo

L’insénescence de l’humide argent accule — 1894 (5)

Laurent TailhadeAu pays du Mufle – (ed.1920)
(Deux sonnets pour être dits en expectant claudication)

I
Le limaçon (d’après feu Rimbaud)

L’insénescence de l’humide argent accule
La glauque vision des possibilités
Où s’insurgent, par telles prases abrités,
Les désirs verts de la benoîte renoncule.

Morsure extasiant l’injurieux calcul,
Voici l’or impollu des corolles athées
Choir sans trève! Néant des Sphinges Galathées
Et vers les nirvânas, ô Lyre, ton recul!

La mort est un vainqueur Loyal et redoutable
Aux vénéneux festins où Claudius s’attable
Un bolet nage en la saumure des bassins.

Mais, tandis que l’abject amphictyon expire
Eclôt, nouvel orgueil de votre pourpre, ô Saints,
Le lis ophilial orchestré par Shakespeare.

Q15 – T14 – banv

Le vieux monsieur, pour prendre une douche ascendante, — 1894 (4)

Laurent TailhadeAu pays du Mufle – (ed.1920)

Hydrothérapie

Le vieux monsieur, pour prendre une douche ascendante,
A couronné son chef d’un casque d’hidalgo
Qui malgré sa bedaine ample et son lumbago,
Lui donne un certain air de famille avec Dante.

Ainsi ses membres gourds et sa vertèbre à point
Traversent l’appareil des tuyaux et des lances,
Tandis que des masseurs tout gonflés d’insolences,
Frottent au gant de crin son dos où l’acné point.

Oh! l’eau froide! Oh! la bonne et rare panacée
Qui, seule, raffermit la charpente lassée
Et le protoplasma des sénateurs pesants!

Voici que, dans la rue, au sortir de la douche,
Le vieux monsieur qu’on sait un magistrat farouche
Tient des propos grivois aux filles de douze ans.

Q63 – T15