Archives de catégorie : Formule de rimes

Je rêve d’un sonnet, taillé dans le carrare, — 1885 (16)

Emile Maze Fleurs de mai

Sonnet parnassien

Je rêve d’un sonnet, taillé dans le carrare,
Qui surpasse en beauté la Vénus de Milo,
Et dont les flancs polis sous un galbe très rare
Cachent la moisson d’or qu’enferme le silo.

Je le rêve plus doux qu’un accord de cithare ;
Vibrant comme l’archer de la Milanollo ;
Rythmé comme la mer qui dort aux pieds du phare
Et chant dans la nuit son éternel solo.

Je le voudrais parfum, rayon, grâce, harmonie ;
Tel que l’art le plus pur de la belle Ionie
Ne fit rien de si grand, même en ses meilleurs jours.

Mais le marbre est trop dur où je taille la rime.
Douceur, grâce et beauté, tout s’en va sous la lime,
Et le Sonnet rêvé …. je le rêve toujours.

Q8  T15  s sur s Milanollo : cf. 1851,7

Finis les madrigaux à vos genoux, mignonne, — 1885 (15)

Edouard Dubus in Le scapin

A cœur perdu, VI

Finis les madrigaux à vos genoux, mignonne,
Dans l’océan d’oubli votre amour a sombré ;
Moi je vous veux quand même et vous possèderai
Sans qu’un éclair hautain sous vos longs cils rayonne.

Au temps où vous serez un cadavre marbré
Qu’une bataillon de vers de morsures sillonne,
Un corps décomposé qui craque et qui bouillonne
Entre les ais disjoints d’un cercueil éventré.

Des plantes germeront dans votre pourriture ;
Leurs racines viendront y puiser la pâture
Pour leurs parfums subtils et leurs fraîches couleurs.

Et quand vos chairs seront des roses au teint pâle,
Des pervenches, des lys aux doux reflets d’opale,
Vous serez tout à moi ressuscitée en fleurs !

Q16  T15

« Tu parleras, mourant, quand mon soir nuptial — 1885 (14)

René Ghil in Revue Wagnérienne

Hymen – la musique

« Tu parleras, mourant, quand mon soir nuptial
T’étonneras de Toi, ne parle pas : mon geste
N’est pas d’amour et, vois, ô Drame ! que proteste
L’assentiment de mon vouloir impartial.

Mon Grand Rêve à mi-voix montait en l’air astral
Voilé par le midi de ma déserte sieste,
Quand il vint, ce Wagner ! qui ne veut pas que reste
Au vide isolement mon souhait théâtral.

Hélas ! et ma verdeur te doit rendre, ô vieux Drame !
Ta virilité sûre un soir d’épithalame :
Lui, c’est l’homme, sois tout le Combat ! et pourtant,

Souviens-Toi que mes seins sont de vierge égoïste,
O Sacre ! et qu’en les Yeux du Mage inquiétant
Je ne sais quel vœu vague et mortuaire existe – »

Q15  T14 – banv

Une étoile du ciel me parlait; cette vierge — 1885 (12)

Victor HugoToute la LyreRoman en trois sonnets

III

Une étoile du ciel me parlait; cette vierge
Disait: « O descendant crotté des Colletets,
J’ai ri de tes sonnets d’hier où tu montais
Jusqu’à la blonde Eglé, fille de ton concierge.

 » Eglé fait – j’en pourrais jaser mais je me tais –
Des rêves de velours sous des rideaux de serge.
Tu perds ton temps. Maigris, fais des vers, brûle un cierge,
Chante-la, ce sera comme si tu chantais.

Un galant sans argent est un oiseau sans aile.
Elle est trop haut pour toi. Les poètes sont fous.
Jamais tu n’atteindras jusqu’à cette donzelle.  » –

Et je dis à l’étoile, à l’étoile aux yeux doux:
– Mais vous avez cent fois raison, mademoiselle!
Et je ferais bien mieux d’être amoureux de vous.

Q16 – T20

Je ne vous cache pas que je suis amoureux — 1885 (11)

Victor HugoToute la LyreRoman en trois sonnets

II

Je ne vous cache pas que je suis amoureux.
Je ne vous cache pas que vous êtes charmante,
Soit; mais vous comprenez que ce qui me tourmente,
C’est, ayant le coeur plein, d’avoir le gousset creux.

On fuit le pauvre ainsi qu’on fuyait le lépreux;
Pour Tircis sans un sou Philis est peu clémente,
Et l’amant dédoré n’éblouit point l’amante;
Il sied d’être Rothschild avant d’être Saint-Preux.

N’importe, je m’obstine; et j’ai l’audace étrange
D’être pauvre et d’aimer, et je vous veux, bel ange;
Car l’ange n’est complet que lorsqu’il est déchu;

Et je vous offre, Eglé, giletière étonnée,
Tout ce qu’une âme, hélas, vers l’infini tournée,
Mêle de rêverie aux rondeurs d’un fichu.

Q15 – T15

Fille de mon portier! l’Erymanthe sonore, — 1885 (10)

Victor HugoToute la Lyre
Roman en trois sonnets

I

Fille de mon portier! l’Erymanthe sonore,
Devant vous, sentirait tressaillir ses pins verts;
L’Horeb, dont le sommet étonne l’univers,
Inclinerait son cèdre altier qu’un peuple adore;

Les docteurs juifs, quittant les talmuds entr’ouverts,
Songeraient; et les grecs, dans le temple d’Aglaure
Le long duquel Platon marche en disant des vers,
Diraient en vous voyant: Salut! déesse Aurore!

Ainsi palpiteraient les grecs et les hébreux,
Quand vous passez, les yeux baissés sous votre mante:
Ainsi frissonneraient sur l’Horeb ténébreux

Les cèdres, et les pins sur l’auguste Erymanthe;
Je ne vous cache pas que vous êtes charmante,
Je ne vous cache pas que je suis amoureux.

Q17 – T21

En tout temps, comme en tout séjour, — 1885 (9)

Emile Blémont La belle aventure

Sonnet galant

En tout temps, comme en tout séjour,
Ils remporteront la victoire
Vos yeux pleins de lumière noire,
Vos yeux bruns imprégnés d’amour.

A quoi bon porter tour à tour
L’or, l’argent, le satin, la moire?
Dévoilez plutôt votre gloire,
Beauté plus belle que le jour!

Aimons-nous sans menteuses luttes!
Un baiser de quelques minutes
Vaut toute une heure à babiller.

Faire toilette vous amuse:
Parez-vous, ma petite muse,
Puis laissez-vous déshabiller.

Q15 – T15 – octo

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables, — 1885 (8)

Rodolphe DarzensLa nuit

L’incomparable

Tes splendeurs seules, sont, Maîtresse, incomparables,
Et pour dire en mes vers dociles ta Beauté
J’ai vainement cherché des mots, de tout côté,
Qui pussent exprimer tes formes adorables.

Car  » le vermeil éclat de la fleur des érables »
N’est pas ta lèvre, où rit ta rouge cruauté;
Et,  » neige, marbre, lis  » candides, Royauté
Triple de la blancheur, paraissent misérables

Auprès du flamboiement mystique de tes seins!
Qu’est-ce ‘la nuit « , auprès de tes cheveux malsains
Où, dans les replis lourds, rôde un arôme louche?

Tes cheveux sont obscurs plus que le firmament:
Ta bouche est rouge comme est seulement ta bouche,
Et tes seins sont pareils à tes seins seulement.

Q15 – T14 – banv

C’est en jaspe sanguin, de vieil or incrusté, — 1885 (7)

Stanislas de Guaita Rosa mystica

A Charles Baudelaire
« O mort, vieux capitaine…  »

C’est en jaspe sanguin, de vieil or incrusté,
Maître, que le poëte au coeur chaud t’édifie
Un sépulcre: le jaspe fraternel défie,
– Comme tes vers – l’affront de l’âpre vétusté.

Or l’envie est muette; et le siècle, dompté
Par ton rythme en chantant, Maître, te déifie,
De Paris à Moscou – jusqu’à Philadelphie,
Et ton nom, clair de gloire, aux astres est monté.

L’Ame mystique vit son rêve d’outre-tombe!
Montre-toi donc, poëte, et que le rideau tombe,
Qui voile l’Elysée où sont les demi-dieux!

Ouvre un oeil agrandi d’extase coutumière
Sur le choeur prosterné de tes enfants pieux
Qui font vibrer vers toi leur hymne de lumière!

Q15 – T14 – banv