Archives de catégorie : Formule de rimes

– Un comédien? Point : un type — 1884 (16)

Le Chat Noir

Jules Jouy
Sonnets de l’Entracte


VIII Lassouche

– Un comédien? Point : un type
Bouffon, sur la scène tombé.
Corps grêle, élégamment courbé…
Comme le tuyau de ma pipe.

Aspect rugueux… comme un Principe.
Pantomime au geste embourbé.
Masque figé de vieil abbé,
Où l’oeil, révolté, s’émancipe.

Lazzi pesants et gros accents
D’un gavroche de quarante ans;
Gamin vieilli. Bref, une touche

A tenter Chem ou Traviès.
Tel est le baron de La Souche,
Rejeton du geolier d’Agnès.

Q15 – T14 – banv – octo

Je ne veux pas savoir le nombre d’hématies — 1884 (15)

– coll. Le Parnasse Hippocratique

– G.Camuset

Chlorose – Sonnet médical

Je ne veux pas savoir le nombre d’hématies
Que la chlorose avare a laissé dans ton sang;
Je ne veux pas compter sur ton front languissant
Les pétales restés à tes roses transies.
Pauvre enfant! le nerf vague aux mille fantaisies
Donne seul à ton coeur son rythme bondissant;
Seul il rougit parfois ton visage innocent
De l’éclat sans chaleur des pudeurs cramoisies.
Pour la dompter, veux-tu connaître un moyen sûr?
N’épuises plus en vain les sources martiales,
Mais laisse-toi conduire aux choses nuptiales.
Au soleil de l’amour ouvre tes yeux d’azur,
Suis la loi; deviens femme, et qu’en ton sein expire
Dans les blancheurs du lait, la pâleur de la cire.

Q15 – T30 – sns

La chambre, as-tu gardé leurs spectres ridicules, — 1884 (14)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Le Poète et la Muse

La chambre, as-tu gardé leurs spectres ridicules,
O pleine de jour sale et de bruits d’araignées?
La chambre, as-tu gardé leurs formes désignées
Par ces crasses aux murs et par quelles virgules?

Ah fi! Pourtant, chambre en garni qui te recules
En ce sec jeu d’optique aux mines renfrognées
Du souvenir de trop de choses destinées
Comme ils ont donc regret aux nuits, aux nuits d’Hercules?

Qu’on l’entende comme on voudra, ce n’est pas ça:
Vous ne comprenez rien aux choses, bonnes gens.
Je vous dis que ce n’est pas ce que l’on pensa.

Seule, ô chambre qui fuis en cônes affligeants
Seule, tu sais! mais sans doute combien de nuits
De noce auront dévirginé leurs nuits depuis!

Q15 – T23 – Quatrains en rimes féminines, tercets en rimes masculines

Les choses qui chantent dans la tête — 1884 (13)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Vendanges
A Georges Rall

Les choses qui chantent dans la tête
Alors que la mémoire est absente,
Ecoutez! c’est notre sang qui chante…
O musique lointaine et discrète!

Ecoutez! c’est notre sang qui pleure
Alors que notre âme s’est enfuie
D’une voix jusqu’alors inouïe
Et qui va se taire tout à l’heure.

Frère du sang de la vigne rose,
Frère du vin de la veine noire,
O vin, ô sang, c’est l’apothéose!

Chantez, pleurez! Chassez la mémoire
Et chassez l’âme, et jusqu’aux ténèbres
Magnétisez nos pauvres vertèbres.

Q63 – T23 – 9s – Rimes toutes féminines

Despotique, pesant, incolore, l’Eté, — 1884 (11)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Allégorie

Despotique, pesant, incolore, l’Eté,
Comme un roi fainéant présidant un supplice,
S’étire par l’ardeur blanche du ciel complice
Et bâille. L’homme dort loin du travail quitté.

L’alouette au matin, lasse n’a pas chanté.
Pas un nuage, pas un souffle, rien qui plisse
Ou ride cet azur implacablement lisse
Où le silence bout dans l’immobilité.

L’âpre engourdissement a gagné les cigales
Et sur le lit étroit de pierres inégales
Les ruisseaux a moitié taris ne sautent plus.

Une rotation incessante de moires
Lumineuses étend ses flux et ses reflux…
Des guêpes, ça et là, volent, jaunes et noires.

Q15 – T14 – banv

Ah! vraiment c’est triste, ah! vraiment ça finit trop mal. — 1884 (10)

Paul VerlaineJadis et Naguère

Sonnet boiteux
A Ernest Delahaye

Ah! vraiment c’est triste, ah! vraiment ça finit trop mal.
Il n’est pas permis d’être à ce point infortuné.
Ah! vraiment c’est trop la mort du naïf animal
Qui voit tout son sang couler sous son regard fané.

Londres fume et crie. O quelle ville de la Bible!
Le gaz flambe et nage et les enseignes sont vermeilles.
Et les maisons dans leur ratatinement terrible
Epouvantent comme un sénat de petites vieilles.

Tout l’affreux passé saute, piaule, miaule et glapit
Dans le brouillard rose et jaune et sale des sohos
Avec des indeeds et des all rights et des haôs.

Non vraiment c’est trop un martyre sans espérance,
Non vraiment cela finit trop mal, vraiment c’est triste:
O le feu du ciel sur cette ville de la Bible!

Q59 – cdd efa’– 13s – Ça boite sévérement en effet. Mais quel talent ! Le mot-rime du vers 14 est le même que celui du vers 5. Les tercets ne sont que partiellement rimés. Le premier quatrain est à rimes masculines, le second à rimes féminines. Sans oublier le mètre ‘boiteux’: 13 syllabes.

Chose italienne où Shakespeare a passé — 1884 (9)

Paul VerlaineJadis et Naguère

A la louange de Laure et de Pétrarque

Chose italienne où Shakespeare a passé
Mais que Ronsard fit superbement française,
Fine basilique au large diocèse,
Saint-Pierre-des-Vers, immense et condensé,

Elle, ta marraine, et Lui qui t’a pensé,
Dogme entier toujours debout sous l’exégèse
Même edmondshéresque ou francisquesarceyse,
Sonnet, force aquise et trésor amassé,

Ceux-là sont très bons et toujours vénérables,
Ayant procuré leur luxe aux misérables
Et l’or fou qui sied aux pauvres glorieux,

Aux poètes fiers comme les gueux d’Espagne,
Aux vierges qu’exalte un rythme exact, aux yeux
Epris d’ordre, aux coeurs qu’un voeu chaste accompagne.

Q15 – T14 – banv –  – 11s – s sur s

L’Alameida bruit, le Zacatin flamboie, — 1884 (8)

Alfred Busquet Poésies, I

Grenade

L’Alameida bruit, le Zacatin flamboie,
Les marchands accroupis étalent leurs bijoux,
Le ciel est plein d’ivresse et la ville est en joie,
On boît de la musique avec des limons doux.

Comme des papillons de nuit, sans qu’on les voie,
Les rouges éventails agitent les froufrous,
Les yeux suivent les yeux, et les robes de soie
Vous frôlent doucement, en dépit des bijoux.

Dans les rougeurs du soir, la Nevada s’accuse,
Blancheur étourdissante, immaculé sommet
Où la neige d’hiver s’amoncelle et s’infuse,

Et la lune émergeant des ravins ténébreux,
Au front de l’Alhambra comme une aigrette, met
Le croissant, souvenir d’un âge plus heureux!

Q8 – T24 – Formule ‘italienne’ cdc ede dans les tercets, autrefois utilisée abondamment par Baïf

Que ne ferait-on pas, Madame, pour vous plaire? — 1884 (7)

Joseph RoyDents de lait

Quatrain demandé

Que ne ferait-on pas, Madame, pour vous plaire?
Puisque vous l’exigez, au jour de l’an prochain,
J’enfourcherai pour vous Pégase, c’est certain.
Que je le dompte alors ou qu’il me jette à terre,

N’importe, j’essaierai de rimer un Quatrain,
Pour tenir ma promesse et pour vous satisfaire.
Accoupler quatre vers, mon Dieu! la chose est claire
Et ne demande pas un effort surhumain.

Phoebus est de mauvaise humeur, à cette époque,
Où pour ses grands-parents chaque moutard l’invoque.
Ne l’importunons pas: soyons concis et net.

Voyons un peu, comptons nos vers: un, deux, trois quatre,
Cinq, six, sept, huit, neuf, dix. Ah! je devrais me battre:
Je pars pour le Quatrain, et j’arrive au Sonnet.

Q10 – T15 – s sur s

Vous en qui les soupirs de mes vers langoureux — 1884 (6)

L. Jehan-Madelaine Sonnets de Pétrarque – Traduction libre –

I

Vous en qui les soupirs de mes vers langoureux
Rappellent les écarts de ma folle jeunesse,
Alors que, me croyant à jamais amoureux,
J’exaltais dans mes chants quelque belle maîtresse;

Si vous avez aussi brûlé des mêmes feux,
Eprouvé les tourments de l’amour, son ivresse,
Vous plaindrez mon malheur, mes accents douloureux
Et vous pardonnerez mon extrême faiblesse.

Je comprends maintenant qu’on traite d’insensé
Cet ancien sentiment: mon coupable passé,
Que je déplore, hélas!, dont je rougis moi-même.

Ma folie a produit ce fruit: le repentir.
Tout ce qui plaît au monde est mensonge ou blasphème:
Epris de l’amour vrai, je maudis le plaisir.

Q8 – T14 – tr (Pétrarque, rvf 1)