Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

En ces heures souvent que le plaisir abrège, — 1830 (14)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

En ces heures souvent que le plaisir abrège,
Causant d’un livre à lire et des romans nouveaux,
Ou me parlant déjà de mes prochains travaux,
Suspendue à mon cou, tu me dis : Comprendrai-je ?

Et, ta main se jouant à mon front qu’elle allège,
Tu vantes longuement nos sublimes cerveaux,
Et tu feins d’ignorer … Sais-tu ce que tu vaux,
Belle Ignorante, au blonds cheveux, au cou de neige ?

Qu’est toute la science auprès d’un sein pâmé,
Et d’une bouche en proie au baiser enflammé,
Et d’une voix qui pleure et chante à l’agonie ?

Ton frais regard console en un jour nébuleux ;
On lit son avenir au fond de tes yeux bleus,
Et ton sourire en sait plus long que le génie.

Q15  T15

Chacun en sa beauté vante ce qui le touche ; — 1830 (13)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

Chacun en sa beauté vante ce qui le touche ;
L’amant voit les attraits où n’en voit point l’époux ;
Mais que d’autres, narguant les sarcasmes jaloux,
Vantent un poil follet au-dessus d’une bouche ;

D’autres, sur des seins blancs un point comme une mouche ;
D’autres, des cils bien noirs à des yeux bleus bien doux,
Ou sur un cou de lait des cheveux d’un blond roux ;
Moi, j’aime en deux beaux yeux un sourire un peu louche :

C’est un rayon mouillé ; c’est un  soleil dans l’eau,
Qui nage au gré du vent dont frémit le bouleau ;
C’est un reflet de lune au rebord d’un nuage ;

C’est un pilote en mer, par un ciel obscuruci,
Qui s’égare, se trouble, et demande merci,
Et voudrait quelques Dieu, protecteur du voyage.

Q15  T15

Sur un front de quinze ans les cheveux blonds d’Aline, — 1830 (12)

Sainte-Beuve Consolations

Sonnet

Sur un front de quinze ans les cheveux blonds d’Aline,
Débordant le bandeau qui le voile à nos yeux,
Baignent des deux côtés des sourcils gracieux :
Tel un double ruisseau descend d’une colline.

Et sa main, soutenant ce beau front qui s’incline,
Aime à jouer autour, et dans les flots soyeux
A noyer un doigt blanc, et l’ongle curieux
Rase en glissant les bords où leur cour se dessine.

Mais, au sommet du front, où le flot séparé
Découle en deux ruisseaux et montre un lit nacré,
Là, je crois voir Amour voltiger sur la rive ;

Nager la Volupté sur deux vagues d’azur ;
Ou sur un vert gazon, sur un sable d’or pur,
La Rêverie assise, aux yeux bleus et pensive.

Q15  T15

Madame, il est donc vrai, vous n’avez pas voulu, — 1830 (11)

Sainte-Beuve Consolations

Madame, il est donc vrai, vous n’avez pas voulu,
Vous n’avez pas voulu comprendre mon doux rêve.
Votre voix m’a glacé d’une parole brève,
Et vos regards distraits dans mes yeux ont mal lu.

Madame, il m’est cruel de vous avoir déplu:
Tout mon espoir s’éteint et mon malheur s’achève;
Mais vous, qu’en votre coeur nul regret ne l’élève,
Ne dites pas:  » Peut-être aurait-il mieux valu … »

Croyez avoir bien fait; et, si pour quelque peine
Vous pleurez, que ce soit pour un peigne d’ébène,
Pour un bouquet perdu, pour un ruban gâté!

Ne connaissez jamais de peine plus amère;
Que votre enfant vermeil joue à votre côté,
Et pleure seulement de voir pleurer sa mère!

Q15 – T14 – banv

Adieu ! je pars, Madame, et pour toujours peut-être ! — 1830 (9)

Antoine Fontaney d’après René Jasinski : Une amitié amoureuse, Marie Nodier et Fontaney (1925)

A madame Marie Manessier

Adieu ! je pars, Madame, et pour toujours peut-être !
Il faut boire à longs traits dans le calice amer ;
Bien que le temps soit gros, il faut tenir la mer ;
L’oiseau doit s’exiler du ciel qui le vit naître.

Où sont les jours plus purs dont je me suis cru maître ?
Ces hautes amitiés dont mon cœur était fier ?
Les consolations dont je rêvais hier ?
Tout s’engloutit et meurt, et n’a fait qu’apparaître.

Insensé qui voulait enchaîner l’avenir !
Je livre à son courant ma vie aventureuse :
Vous aimez, on vous aime, et je vous laisse heureuse.

Ah ! gardez quelque temps un vague souvenir
De celui qui plongeant dans les flots de votre âme
Y vit tant de trésors. – Adieu, je pars, Madame.

Q15  T30

Fontaney n’a pas oublié son Misanthrope et en place un hémistiche au début et à la fin de son sonnet (procédé qu’il emploie dans les autres sonnets de lui ici choisis. Il ne me semble pas qu’il ait eu des imitateurs)

Ami, l’art nous échappe et pour bien des années, — 1830 (8)

Antoine Fontaney in Vincent Laisné, L’Arsenal romantique

A mon ami Charles Nodier

Ami, l’art nous échappe et pour bien des années,
Comme un timide enfant, aux bruits de liberté,
Au fracas du canon il fuit épouvanté,
Sur son aile emportant nos jeunes destinées.

Nos fleurs de poésie au matin sont fanées.
Nos fruits ne viendront pas à leur maturité,
Mais que t’importe, à toi, qui jouis de l’été ?
Tes couronnes, déjà, tu les as moissonnées.

Amarre donc ta nef. Le lac est traversé.
Ton génie a rendu sa muse familière ;
Près du fouer, lutine encor la batelière.

Avec ses blonds cheveux ton laurier est tressé ;
Car à toi la science et les grâces attiques,
A toi les frais parfums dans les vases antiques.

Q15  T30

C’était comme autrefois ; – ainsi qu’un souvenir — 1830 (7)

Antoine Fontaney d’après Vincent Laisné, L’Arsenal romantique (2002)

A Madame Marie Manessier

C’était comme autrefois ; – ainsi qu’un souvenir
Vous nous apparaissiez le soir, vous étiez belle,
Madame, et nous disions encor : mademoiselle,
Des mots, qu’en souriant vous nous laissiez finir.

Et bien qu’à votre époux seul puisse appartenir,
Votre âme dont le feu luit dans vos prunelles,
Bien que l’amour tous deux vous a pris sous son aile,
Ce passé vers son cœur doit aussi revenir.

Car vous aviez encor la simple robe blanche,
Le collier noir qu’au bal vous mettiez le dimanche ;
Le piano réveillé se plaignait à vos doigts.

Vous nous chantiez vos airs dont la vive cadence
Avait fait oublier souvent jusqu’à la danse,
Et nous étions ravis ; – c’était comme autrefois .

Q15  T15

Aux flots de l’océan je viens de me livrer, — 1830 (6)

Auguste Demesney Les solitudes

Sonnet

à M. Charles Nodier

Aux flots de l’océan je viens de me livrer,
Tout craintif à l’aspect des écueils qu’il présente.
Vieux marin, je t’appelle. Ah! que ta main puissante
M’empêche, encore au port, déjà de chavirer.

Par l’appât de la gloire on se laisse égarer ;
Le ciel nous paraît pur et l’onde caressante :
On part … Hélas! Bientôt une voix menaçante
Annonce la tempête … et l’on voudrait rentrer.

Il est trop tard. Sur nous s’en vient fondre l’orage ;
La rame nous échappe, et le cœur sans courage
Prévoit déjà l’abîme où l’on va s’engloutir.

Nodier, toi qui toujours eus pour ta blanche voile,
Dans les jours de bourrasque, au ciel même une étoile,
Sans me tendre la main me verras-tu périr ? …

Q15 – T15

Où vous prosternez-vous, grandeurs qui nous trompiez? — 1830 (5)

A. Fontaney – in Keepsake français

La princesse et les pèlerins

Où vous prosternez-vous, grandeurs qui nous trompiez?
Mettions-nous un faux poids dans la balance humaine?
Le cilice a paru sous la pourpre romaine,
Et le pauvre à son tour monte sur les trépieds.

Que d’orgueils en un jour pour le monde expiés!
Voici le saint jeudi de la sainte semaine,
Pélerins fatigués, venez, qu’on vous amène,
C’est une Doria qui veut laver vos pieds.

Répandant à la fois des parfums et des larmes,
Sous leur double nuage elle voile ses charmes,
Et courbe à vos genoux son front avec ferveur.

Que son humilité cependant en soit fière;
Elle a couvert ses doigts de la même poussière
Que daigna de ses mains essuyer le Sauveur.

Q15 – T15

Keepsake « recueilli par M. J-B-A Soulié, conservateur à la bibliothèque de l’Arsenal « 

Autrefois j’admirais, dans mes veilles, le Dante, — 1830 (4)

André Van Hasselt in Almanach des Muses

Amour & Poésie – sonnet

Autrefois j’admirais, dans mes veilles, le Dante,
Comme Orphée à son luth, enchaînant les enfers.
Shakespeare agrandissant la scène indépendante,
Et Tasse l’immortel qui languit dans les fers.

Schiller que dévora son âme trop ardente,
Homère avec sa tête où se meut l’univers;
Byron livrant sa nef à la vague grondante,
Et Virgile versant l’ambroisie en ses vers.

Et j’appelle aujourd’hui, pour faire mes délices,
Deux grands yeux, fleurs d’azur, qui penchent leurs calices
D’où tombe la rosée en gouttes le matin;

Un sein blanc qui palpite, une bouche mourante
Qui, coupant de baisers quelque phrase expirante,
Brûle mon âme avec ses lèvres de satin.

Q8 – T15