Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Avec ce siècle infâme il est temps que l’on rompe; — 1830 (3)

Théophile GautierPoésies

Sonnet VII

Avec ce siècle infâme il est temps que l’on rompe;
Car à son front damné le doigt fatal a mis
Comme aux portes d’enfer: Plus d’espérance!  – Amis,
Ennemis, peuples, rois, tout nous joue et nous trompe.

Un budget éléphant boit notre or par sa trompe;
Dans leurs trônes d’hier encor mal affermis,
De leurs aînés déchus ils gardent tout, hormis
La main prompte à s’ouvrir et la royale pompe.

Cependant en juillet, sous le ciel indigo,
Sur les pavés mouvants, ils ont fait des promesses
Autant que Charles X avait ouï de messes!

Seule la poésie incarnée en Hugo
Ne nous a pas déçus, et de palmes divines,
Vers l’avenir tournée, ombrage nos ruines.

Q15 – T30

Théophile Gautier vient aussi au sonnet très tôt, mais après Musset, et se singularise par de la rime: – ompe, qui introduit chez lui le thème de l’éléphant qui se voit aussi, beaucoup plus loin, dans un registre coquin (  ); et – go, ‘indigo’ introduisant Hugo. Il affectionne par la suite les sonnets à couplet final, comme ici.

Oh! Je n’espère point que vous m’aimiez, madame … — 1830 (2)

Justin Bouisson Poésies diverses

Sonnet. A Madame *** – II

Oh! Je n’espère point que vous m’aimiez, madame …
Oh non! Que cet espoir ait traversé mon ame …
Peut-être … comme un rêve, un éclair … non, mes voeux
Sont timides, sont purs, madame, je ne veux

En vous aimant toujours, et pour prix de ma flamme,
Qu’un accueil, un regard, un sourire de femme;
Oui, vous voir doucement me sourire des yeux,
Ou, quelquefois, causer tout bas et … tous les deux.

Voilà mes voeux; voilà le bonheur que j’espère,
Le seul. Pourquoi me fuir, madame? Ma prière
N’a rien qui vous offense ou vous doive alarmer;

De moi, de votre force osez mieux présumer.
Aux bras de votre époux, épouse heureuse et fière,
Vous ne m’aimerez point … mais laissez-vous aimer.

Q1 – T10

Les deux sonnets de Bouisson, ancien ‘officier de la vieille armée’, (comme il se nomme dans le titre même de son oeuvre) présentent des quatrains entièrement plats (aabb aabb), disposition plus tard employée fréquemment et qui aurait fait frémir d’horreur Ronsard, et Malherbe plus encore. Le siècle en verra de nombreux, n’en déplaise à Mr Graham Robb.

Je le bénis ce jour qui t’offrit à ma vue! — 1830 (1)

Justin Bouisson Poésies diverses

Sonnet . A Madame *** – I

Je le bénis ce jour qui t’offrit à ma vue!
Je t’aimai, je sentis qu’une flamme inconnue,
Soudaine, pénétrait, embrasait tous mes sens.
Depuis ce jour je souffre … et mes maux sont cuisans.

Je me plais à nourrir le poison qui me tue.
Toi, joue et chante et ris; dans ton ame ingénue,
Sois heureuse de bals, de chapeaux, de romans,
Ou, comme d’un succès, jouis de mes tourmens.

 » Je l’aime, elle le sait, elle le voit (me dis-je);
Peut-être à sa gaîté qui m’enchante et m’afflige,
A cette indifférence où son coeur est plongé,

Succèderont (l’amour m’a souvent protégé) ,
Succèderont (l’amour me devrait ce prodige),
Des regrets, un désir … l’amour m’aura vengé. »

Q1 – T10

S’il est pour un cœur d’homme un battement sublime, — 1829 (9)

Etienne Cordellier-Delanoue in La Psychè

Sonnet
A V.H.

S’il est pour un cœur d’homme un battement sublime,
C’est celui que réveille en mon sein frémissant
Du grand poète ému le redoutable accent : –
Il a des yeux ardens dont la flamme m’anime !

Au Sacrificateur je livre sa victime,
Heureux de palpiter sous son genou puissant !
Un feu plus généreux fait bouillonner mon sang ;
Et ma tête, plus vaste, en ses rêves s’abîme.

Car l’Homme de génie a le front large et beau !
Et, magiques reflets d’un céleste flambeau,
Des éclairs caressans passent sur son visage ;

C’est ainsi que ce soir tout mon être a frémi …
Et je me sens bien fier d’avoir, à ton passage,
Ce soir, dans mes deux mains serré ta main d’ami.

Q15  T14 – banv

Que j’aime le premier frisson d’hiver! le chaume, — 1829 (7)

Alfred de Musset Contes d’Espagne et d’Italie

Sonnet

Que j’aime le premier frisson d’hiver! le chaume,
Sous le pied du chasseur, refusant de ployer!
Quand vient la pie aux champs que le foin vert embaume,
Au fond du vieux château s’éveille le foyer;

C’est le temps de la ville. – Oh! Lorsque l’an dernier,
J’y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme,
Paris et sa fumée, et tout ce beau royaume
(J’entends encore au vent les postillons crier),

Que j’aimais ce temps gris, ces passants, et la Seine
Sous ses mille falots assise en souveraine!
J’allais revoir l’hiver. – Et toi, ma vie, et toi!

Oh! dans tes longs regards j’allais tremper mon âme;
Je saluais tes murs. – Car, qui m’eût dit, madame,
Que votre coeur si tôt avait changé pour moi?

Q10 – T15

Quand l’avenir pour moi n’a pas une espérance, — 1829 (6)

Sainte Beuve

Quand l’avenir pour moi n’a pas une espérance,
Quand pour moi le passé n’a pas un souvenir,
Où puisse, dans son vol qu’elle a peine à finir,
Un instant se poser mon Ame en défaillance;

Quand un jour pur jamais n’a lui sur mon enfance,
Et qu’à vingt ans ont fui, pour ne plus revenir,
L’Amour aux ailes d’or, que je croyais tenir,
Et la Gloire emportant les hymnes de la France.

Quand la Pauvreté seule, au sortir du berceau,
M’a pour toujours marqué de son terrible sceau,
Qu’elle a brisé mes voeux, enchaîné ma jeunesse ,

Pourquoi ne pas mourir? de ce monde trompeur
Pourquoi ne pas sortir sans colère et sans peur,
Comme on laisse un ami qui tient mal sa promesse?

Q15 – T15

Ne ris point des sonnets, ô critique moqueur! — 1829 (5)

Sainte Beuve mis dans l’exemplaire des Oeuvres de Ronsard offert à Victor Hugo à l’occasion de son mariage

Imité de Wordsworth

Ne ris point des sonnets, ô critique moqueur!
Par amour autrefois en fit le grand Shakespeare;
C’est sur ce luth heureux que Pétrarque soupire,
Et que le Tasse aux fers soulage un peu son coeur;

Camoens de son exil abrège la longueur,
Car il chante en sonnets l’amour et son empire;
Dante aime cette fleur de myrte, et la respire,
Et la mêle au cyprès qui ceint son front vainqueur;

Spencer, s’en revenant de l’île des féeries,
Exhale en longs sonnets ses tristesses chéries;
Milton, chantant les siens, ranimait son regard:

Moi, je veux rajeunir le doux sonnet en France:
Du Bellay, le premier, l’apporta de Florence,
Et l’on en sait plus d’un de notre vieux Ronsard.

Q15 – T15  – banv – s sur s

A toi, Ronsard, à toi, qu’un sort injurieux — 1829 (4)

Sainte Beuve mis dans l’exemplaire des Oeuvres de Ronsard offert à Victor Hugo à l’occasion de son mariage

A Ronsard

A toi, Ronsard, à toi, qu’un sort injurieux
Depuis deux siècles livre aux mépris de l’histoire,
J’élève de mes mains l’autel expiatoire
Qui te purifiera d’un arrêt odieux.

Non que j’espère encore, au trône radieux
D’où jadis tu régnais, replacer ta mémoire;
Tu ne peux ici-bas remonter à ta gloire;
Vulcain impunément ne tomba point des Cieux.

Mais qu’un peu de pitié console enfin tes mânes;
Que, déchiré longtemps par des rires profanes,
Ton nom, d’abord fameux, recouvre un peu d’honneur!

Qu’on dise: il osa trop, mais l’audace était belle;
Il lassa, sans la vaincre, une langue rebelle,
Et de moins grands, depuis, ont eu plus de bonheur.

Q15 – T15

Sur un trône plus haut encor, viens te placer; — 1829 (3)

A. Fontaney mis dans l’exemplaire des Oeuvres de Ronsard offert à Victor Hugo à l’occasion de son mariage

Sur un trône plus haut encor, viens te placer;
Tu l’avais dit: Ton sceptre, ô Victor, c’est ta lyre.
Les insensés pourtant, quel était leur délire!
Avaient cru que son poids te dût sitôt lasser!

Quoi! sur ton char de gloire en te voyant passer,
Par cet appât vulgaire ils pensaient te séduire,
Et que, dans ton chemin, cet or qu’ils faisaient luire,
Comme un prix de tes chants tu l’irais ramasser!

Majesté du génie, à toi le diadème
Radieux, éternel; tu l’as conquis toi-même,
Et tu sais le porter, et tu ne le vends pas!

Qu’ils tremblent de fouler ces domaines de l’âme,
Tes royaumes, volcans assoupis, dont la flamme
A ta voix, en Etans, jaillirait sous leurs pas.

Q15 – T15

Dans la création, tout est harmonieux, — 1829 (2)

Ernest Fouinet mis dans l’exemplaire des Oeuvres de Ronsard offert à Victor Hugo à l’occasion de son mariage

A deux heureux

Dans la création, tout est harmonieux,
Comme l’ordre éternel d’où jaillirent les mondes.
Sur de tendres yeux bleus tombent des tresses blondes;
De vastes rayons d’or voilent l’azur des Cieux.

Les chants de la Provence, aux soleils radieux,
Sont pour les jeux, le rire et les joyeuses rondes.
Les forêts de Bretagne, obscurités profondes,
Sont pour l’isolement aux rêves soucieux.

Une femme penchée embrassant une harpe,
Déployant mollement son bras comme une écharpe,
C’est un groupe suave, une harmonie encor:

Mais la beauté, la grâce alliée au génie,
La colombe de l’aigle accompagnant l’essor,
C’est l’accord le plus beau: c’est là votre harmonie.

Q15 – T14 – banv