Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

J’ai rêvé posséder les oeuvres de Malherbe. — 1938 (6)

Raoul Ponchon La muse au cabaret

L’exemplaire du Roy

J’ai rêvé posséder les oeuvres de Malherbe.
Un exemplaire unique, admirable, un trésor!
Tout habillé de pourpre, et les fleurs de lys d’or
En étoilant les plats, nombreuses comme l’herbe.

Le vélin en est pur, l’impression superbe,
Messieurs les éditeurs, à cette époque encor,
Se montraient soucieux de soigner le décor
Qui faisait ressortir et resplendir le verbe.

Mais ce rare bouquin ne serait rien ma foi,
S’il n’était pas le propre exemplaire du Roy.
Il l’est. Et dans un coin de marge, on y remarque,

Alors que le poète arrive au baragouin
De l’éloge, ces mots, de la main du monarque:
 » Mon vieux Malherbe, ici, tu vas un peu trop loin! »

Q15 – T14 – banv

Un nasillement doux. C’est elle et c’est assez. — 1938 (4)

Francis Jammes – Poèmes inédits et isolés in Oeuvres

Les quatre demoiselles Ducos

Un nasillement doux. C’est elle et c’est assez.
Ni poitrine, ni bras, ni jambes, ni cervelle.
Dieu bon mit un corset à son corps de javelle
Et pour la douce enfant créa les cétacés.

La seconde a des yeux de chinoise sensés.
Et ces yeux-là feraient au Japon des fidèles
Car ils ont la couleur des soupes d’hirondelle.
On dit que c’est très bon, ma cousine. Excusez.

La troisième des soeurs ressemble aux Philis douces
Qui, près des vieux châteaux, s’étendant sur les mousses
Semblaient être les fleurs vivantes du gazon;

Et la petite Ady que tout le monde vante
A l’air, lorsque son corps s’ajoute à sa raison,
D’un petit papillon plus gros qu’une éléphante.

1891?

Q15 – T14 – banv

Il rêvait tout enfant d’une boite de fil — 1938 (3)

Francis Jammes – Poèmes inédits et isolés in Oeuvres

Dandysme

Il rêvait tout enfant d’une boite de fil
Qu’il avait entrevue un jour chez la comtesse:
Un indien avec un soleil sur la fesse
Gauche et que regardait un serpent de profil.

Superbement campé, un tout nu sans coutil,
Ce sauvage tirait de l’arc avec adresse
Si bien qu’il envoyait – tout juste à son adresse –
La flèche dans l’œil droit du grand python subtil.

Et cet enfant rêveur qui se curait les ongles,
Dandy futur, était scandalisé de voir
L’anthropophage nu montrant son cul aux jungles:

Mon père, pensait-il, se mêt en habit noir.
Quand il fut plus âgé, ce Dandy sur l’échine
De cet indien mit un peu d’encre de Chine.

1891?

Q15 – T23

Ouvrier précieux qui polis et qui rodes — 1938 (2)

Francis Jammes – Poèmes inédits et isolés in Oeuvres

Ouvrier précieux

Ouvrier précieux qui polis et qui rodes
Le cristal fin des vers aux doux résonnements,
Plus inquiet que toi des clairs raisonnements,
Je ne gemmerai point mes pages d’émeraudes.

Quand tu rimes ainsi, grand artiste, tu fraudes
Et facette du strass pour de durs diamants,
Orfèvre d’Hiéron dont les faux parements
Sont faits de cuivre vil avec lequel tu brodes.

Je forge ce sonnet pur impeccablement,
Impassible, et cachant mon noir accablement,
Pour te montrer qu’aussi je dompte et je terrasse

Les rhythmes solennés en mon œuvre bannis,
Faisant voir que mon livre est de ma seule race
Et que c’est bien exprès que mes mots sont ternis.
1888

Q15 – T14 – banv

Ma maison est yssue de cet païs de llanes, — 1938 (1)

Ch. Nismes – Un poète inconnu du 16ème: Les sonnets guerriers et galants de Corbeyran de Gabarret.

« Au printemps de 1938, ayant affaire dans une métairie à quinze cent mètres de la route qui va de Monteshus à Cancon et Monflanquin, en Lot-et-Garonne, je trouvai à cette maison l’aspect d’une gentil-hommière délabrée, qui lui donnait deux vieux ormeaux, un pigeonnier croulant et les restes d’une garenne;
le propriétaire me dit qu’en achetant cette demeure, son père y avait trouvé des papiers très mal écrits et très vieux, des actes notariés, pensait-il.
Ayant demandé à les voir je tombai, à ma grande surprise sur des vers pittoresques et complètement inconnus paraissant remonter à la seconde moitié du 16ème siècle.
Tous les archivistes savent que les écritures de cette époque sont encore plus difficiles à lire que celles des siècles antérieurs. Par bonheur, l’écriture de ce fragment de manuscrit était grosse et assez peu fioriturée. Mais beaucoup de pages avaient été arrachées. Les autres étaient salies, maculées, rongées par les souris. J’ai rétabli à grand peine 22 sonnets. On voudra bien m’excuser si mes interpolations ont pu manquer parfois d’adresse, car il y a des années que le temps m’a manqué pour relire les poètes du 16ème siècle.
Je ne sais rien de Corbeyran de Gabarret, sire de Magnoac, et sans les deux premiers sonnets, j’ignorerais même son nom. Ce cadet de Gascogne, officier subalterne de ‘piquiers piétons’, parait avoir servi de longues années sans beaucoup d’avancement. ….
Il ne se gêne pas pour prendre, à l’occasion, quelques libertés avec les règles strictes de cette forme poétique, quoique d’autres sonnets soient tout à fait réguliers, et même élégants.

Origines

Ma maison est yssue de cet païs de llanes,
Ne en bled, ne en vins fertile. Lanusquets,
On nous dénomme ainsy dans le duché d’Albret,
Riche de pins, sans pain aultre que de millanes;

Ou chasteignes. Tenions castel en Gabarret.
Il advint qu’il nous fust confisqué par arrest
De Parlement. Depuys je hays toutz cets infasmes
Gens de robbes, qui vont desrobbant corps et asmes.

Et pour moy, je suys né, ce jourd’huy soixante ans
En un autre païs verdoyant de Gascoigne.
Droict vers les baronies en tyrant sus Hespaigne.

Bon terroir qui produict des chevaulx excellens,
Fruicts et grains. Populeux; nulle espouse brehaigne.
A pour nom Magnoac, aux ruysseaus murmurans.

Q18 – T28  – Rien que le traitement de la rime montre que ce sonnet n’a pas pu être composé au seizième siècle

A vous, Madame, qui voulûtes — 1937 (5)

Albert Mockel dans une  lettre

Sonnet
à Madame Boissière née Thérèse Roumanille

A vous, Madame, qui voulûtes
Ce matin ivre de soleil,
Ouïr sur mes fragiles flûtes
Un écho du chant non pareil,

J’apporte une légère page
Qui tremble encor au vent amer,
Flocon d’écume sur la plage
Déserte des voix de la mer.

Le songe est l’éternel empire
Où par le verbe qu’il expire
Règne Stéphane Mallarmé

Mais à vous les roses de Mai,
A vous dont le si jeune rire
Surprit le poète charmé .

Q59 – T10 – octo

Soit une multiplicité vectorielle, — 1937 (4)

André Weil

Sonnet de Chançay

Soit une multiplicité vectorielle,
Un corps opère seul, abstrait, commutatif.
Le dual reste loin, solitaire et plaintif,
Cherchant l’isomorphie et la trouvant rebelle.

Soudain bilinéaire a jailli l’étincelle
D’où naît l’opérateur deux fois distributif.
Dans les rets du produit tous les vecteurs captifs
Vont célébrer sans fin la structure plus belle.

Mais la base a troublé cet hymne aérien :
Les vecteurs éperdus ont des coordonnées.
Cartan ne sait que faire et n’y comprend plus rien.

Et c’est la fin. Opérateurs, vecteurs, foutus.
Une matrice immonde expire. Le corps nu
Fuit en lui-même au sein des lois qu’il s’est données.

Q15 – T25 – Admirable effort du pape de Bourbaki

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice, — 1937 (3)

Raymond Queneau in Oeuvres poétiques

Le lycé’ du Havre est un charmant édifice,
on en fit en ‘quatorze un très bel hôpital;
ma première maitress’ – d’école – avait un fils
qu’elle fouettait bien fort: il pleurait, l’animal!
J’étais terrorisé à la vu’ de ces fesses
rougissant sous les coups savamment appliqués.
(Je joins à ce souv’nir, ceci de même espèce:
je surveillais ma mère allant aux cabinets.)
Et voici pourquoi, grand, j’eus quelque préférences:
il fallut convenir que c’était maladie,
je dus avoir recours aux progrès de la science
pour me débarrasser de certaines manies
(je n’dirai pas ici l’horreur de mes complexes;
j’réserve pour plus tard cette question complexe).

ababcdcdefefgg – = Q59  T23 – sns – disposition de rimes ‘shakespearienne’

Capter dans l’univers des invisibles ondes — 1936 (5)

Igor Astrov Sonnets

L’artiste

Capter dans l’univers des invisibles ondes
Pouvant faire frémir notre être tout entier,
Lancer jusqu’au tréfonds de l’abîme une sonde,
Suivre jusqu’à l’abîme un abrupte sentier;

En lenteur imiter l’auteur de la Joconde,
En perfectionnant constamment son métier,
Apprendre à marier une étude féconde
Et l’intuition d’un art primesautier .

– C’est la vocation d’artiste véritable.
A l’heure où le destin sans pitié m’accable
Mon âme se raidit puissante comme un câble

Capable de lier les Deux Mondes entre eux,
Pour transmettre ici-bas des sons mystérieux:
Musique intérieure et parole ineffable.

Q8 – T4

O vous qui percevez, sous la rime qui sonne, — 1936 (4)

Jacques Langlois Les sonnets amoureux de Pétrarque

1

O vous qui percevez, sous la rime qui sonne,
L’écho de ces soupirs dont j’ai nourri mon cœur
Au temps de ma première et juvénile erreur,
Lorsque j’étais alors tout une autre personne,

Sous le style divers où sanglote et raisonne
Ma bien vaine espérance et ma vaine douleur,
Que votre expérience, en lisant mon ardeur,
M’accorde une pitié qui comprenne et pardonne.

Mais, je vois aujourd’hui combien longtemps je fus
La fable de la foule; et j’en suis tout confus
Vis-À-Vis de moi-même et rempli de vergogne.

Honte est fruit de folie; et j’apprends clairement,
Par repentir tardif de si folle besogne,
Qu’ici-bas ce qui plaît est songe d’un moment.

Q15 – T14 -banv –  tr (rvf 1)