Archives de catégorie : Quatrain

Décrit la formule de rime des quatrains.

Comme un vaisseau plein d’or s’en revient lentement — 1913 (14)

Charles d’Olonne Nouvelles heures chantantes

L’alexandrin du sonnet

Comme un vaisseau plein d’or s’en revient lentement
Du Pérou, du Far-West ou du sud de l’Afrique,
Le lourd alexandrin, d’un rythme magnifique,
Apporte des lointains un royal chargement.

Ce trésor, ce n’est pas les six pieds seulement,
La césure correcte et la rime classique;
C’est que chaque syllabe ait un bruit de musique,
Le mot une couleur, la phrase un mouvement.

Quand la fin d’un sonnet régulier est bien faite,
L’alexandrin vibrant ralentit, puis s’arrête.
Ainsi suspend ses feux, pavoise et rentre au port

Le navire vainqueur, tandis que sur le bord
Du môle qui s’allonge en un grand promontaire
La foule acclame en lui la puissance et la gloire.

Q15 – T13 – s sur s

Le pré est vénéneux mais joli en automne — 1913 (13)

Guillaume Apollinaire Alcools

Les Colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne

Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l’automne

Q10  – T13 -y=x: e=a  – 15v – disp: 7+5+3m.irr.On peut à la rigueur considérer qu’il s’agit d’un sonnet, si on admet qu’il a été ‘dénaturé’ par le découpage en deux vers de l’alexandrin ‘Les vaches y paissant ..’ (qui a eu lieu sur épreuves) et le déplacement des frontières strophiques.

A vous seule qui ne fûtes l’étrange poupée — 1913 (12)

André Breton in ed. Pléiade

A vous seule

A vous seule qui ne fûtes l’étrange poupée
Sœur ai-je dit je pressens que sous vos mains petites,
En précieux chignon ne fuserait la poupée
Tout ce qu’orne l’audace verte des clématites.

Un seau de femme où gèle en bleuissant l’eau pompée
Porte à voir au milieu de salores des stalactites
Un bout de corne pointe ustensile d’épopée
Au front des pauvres moutards de banlieue à otites.

On rapporte la fumée aux losanges de natte
Ainsi le rêve du forain mou je l’enviai
Que ce fut mordre à belles dents la baie incarnate

Ange vous selon mes paradoxes de janvier
Retintes ce long talus qui bée au vent moqueur
Et me pardonnâtes l’équipée à contre-coeur.

Q8 – T23 – 13s

– Lettre à Paul Valéry du 9 janvier 1916:  » Et voici même un  sonnet trop irrégulier. Que ne puis-je me retenir de vous faire part , avec la puérilité que vous condamnez, d’essais toujours malheureux ».
Réponse de P.V.:  » Nous avons lu ces derniers vers que vous m’avez envoyés. Ils font penser que vous êtes dans un état que les physiciens nommeraient critique. Leur brisement, leur art situé entre les types définis, le hasard introduit, voulu, rétracté à chaque instant, assurent que vous touchez un certain point intellectuel de fusion ou d’ébullition, bien connu de moi, quand le Rimbaud, le Mallarmé, inconciliables, se tâtent dans un poète. Début capital, perceptible si clairement dans ce sonnet où le solitaire, le volontaire, le seul soi, mais la rime exacte, la forme fixe, la recherche des contrastes coexistent ».

Il se sera perdu le navire archaïque — 1913 (11)

Antonin Artaud in Oeuvres complètes, I

Le navire mystique

Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus;
Et ses immenses mats se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de bible et de cantique.

Un air jouera, mais non d’antique bucolique,
Mystérieusement parmi les arbres nus;
Et le navire saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

Il ne sait pas les feux des heures de la terre.
Il ne connaît que Dieu et sans fin solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’infini.

Le bout de son beaupré plonge dans le mystère.
Aux points de ses mâts tremble toutes les nuits
L’argent mystique et pur de l’étoile polaire.

Q15 – T14 – banv –  paru dans La criée n°15, 1922 – transcrit de mémoire en 1944

Tel qu’en l’obscur discours de Locke — 1913 (10)

Charles Derennes, Charles Perrot, Pierre Benoit, ed. La grande anthologie

Stéphane Mallarmé

Tel qu’en l’obscur discours de Locke
Agonisait sa sombre ardeur
Où sourdre avec tant de candeur
La gigantesque et molle cloque

Si pendillait la pendeloque
Cette languide et noire odeur
Qui hors du cœur du maraudeur
S’exalte et tend et flotte loque

Mais chez qui par amour se pend
Lourdement pend un grand serpent
En la courbure hypothétique

Tel qu’en l’unanime foison
Selon nul autre amer poison
L’aigre malade ne se pique

Q15 – T15 – octo

Maître dans le creuset où rougeoyait la fonte, — 1913 (9)

Charles Derennes, Charles Perrot, Pierre Benoit, ed. La grande anthologie

Henri-Mathurin de Regnier
Maestro sacrum

Maître dans le creuset où rougeoyait la fonte,
N’ayant point de métal qui m’appartînt à moi,
J’ai jeté, plein d’orgueil et d’extase et d’émoi,
Bayesid, Bragadin, Cysique et Métaponte.

Dès mes plus jeunes ans ayant aimé ta ponte,
Aigle qui ne pondait que tous les trente mois,
Des vers pareils aux tiens je fis dix à la fois;
Je l’énonce à regret et l’avoue à ma honte.

Mais j’ai, chez l’antiquaire, et chez le brocanteur,
Racheté le turban, le Centaure, le Teur,
Hercule, Rome, Naple, et la Draghme et le Cygne,

Et dans mes vers hâtifs songe qu’il est réel
Que, pour signifier ma modestie insigne,
Je fais les singuliers rimer aux pluriels.

Q15 – T14

Orgueil du grand sitôt en extase cabré, 1913 (8)

Paul Reboux et Charles Müller A la manière de
Sonnets

II

Orgueil du grand sitôt en extase cabré,
D’ombre et torse forêt en qui la même absconse
Fut. Etoile vitreuse où le nombre s’annonce,
Ascension clamée au trouble de l’entré,

Accord du geste avec le destin conjuré,
Vertical attestée en sa double réponse,
Pourpre en immensité banale et, si je fonce,
Pars, cri silencieux, et règne, soupiré!

Alors quand révolu triple s’itérative
L’astre, flux que soudain cueille une main craintive
Où l’infini du peu déploie un vol impur.

Et l’arc ainsi bandé par la détresse aiguë
Fera, foudre d’acier, incendie et ciguë,
Luire des larmes d’or aux blancheurs du futur.
Stéphane Mallarmé

Q15 – T15  on remarquera que la dispositions des rimes n’est pas mallarméenne
Glose
Un groupe d’érudits prépare une traduction française des oeuvres de Stéphane Mallarmé. Cette entreprise, en raison des recherches qu’elle nécessite, n’aboutira pas, sans doute, avant de longues années. Nous ne pouvons aujourd’hui donner au lecteur que la traduction du premier de ces deux sonnets:

Quand le vaticinant I Quand  le poète prophète

erratique I    qui ne sait où il va

Au larynx dédaléen, I et dont la parole s’égare,

divague, I divague

en sa manie I           en sa folie

tant dédiée I        si coutumière

et avant tout I   et qui, avant d’exister,
radiée de I se retranche même de ce
l’absent I       qui n’existe pas,

pour animer I     lorsqu’il va souffler

le syrinx de l’insaisissable, I   dans une flûte sans son,

O n’être que I     il rêve de n’être que
du sphinx I un sphinx
le mystère I          dont l’énigme
aboli I       n’ait pas de sens

par qui l’âme est congédiée I et de supprimer de l’âme
I     tout ce qui n’est pas

du clair-obscur I      complètement obscur,

O chevaucher I     il rêve, chevauchant

le lynx, aveugle I          un lynx aveugle

et de ses yeux exorbités I       aux yeux arrachés,
vers la victoire I      d’aller vers la gloire
irradiée I rayonnante!
Enigme I       Etant une énigme

telle la Pythie I     semblable à la Pythie
hypogéenne I      qui vit sous la terre,
Ambage I Etant plein de détours
non pas un I multiples

d’où dévie l’inconnu, I     d’où ne sort rien,

j’ai approfondi l’azur I j’ai reculé les limites

de l’impénétrable. I       du galimatias.

Et, cygne ténébral I Et, poète ténébreux

Sitôt hiéroglyphique I       dès que j’écris,
qu’ombre I        que rend nul

en son vide I   au sein de la nullité

un déléatur I un signe de suppression
obstructif, I paralysant,
J’offusque, I Je réponds
triomphal, I        triomphalement

le néant qui m’assigne. I      au défi du néant.

Les cryptographes ne se sont pas jusqu’ici mis d’accord sur le sens du deuxième sonnet. Certains proposent une version, mais nous respectons trop nos lecteurs pour la leur mettre sous les yeux.

Quand le vaticinant erratique, au larynx — 1913 (7)

Paul Reboux et Charles Müller A la manière de
Sonnets

I

Quand le vaticinant erratique, au larynx
Dédaléen, divague en sa tant dédiée
Et de l’Absent manie avant tout radiée
Pour de l’insaisissable animer la syrinx,

O n’être qu’aboli le mystère du sphinx
Pour qui du clair-obscur l’âme est congédiée!
O chevaucher, vers la victoire irradiée,
Aveugle, et de ses yeux exorbité, le lynx!

Hypogéenne telle énigme la Pythie,
Ambage non pas d’un d’où l’inconnu dévie,
J’ai de l’impénétrable approfondi l’azur,

Et, ténébral sitôt hiéroglyphique cygne
Qu’obstructif en son vide ombre un déléatur,
J’offusque, triomphal, le néant qui m’assigne.

Stéphane Mallarmé

Q15 – T14 – banv

La mer joue à son miroir — 1913 (6)

Léon Deubel in Oeuvres

La fleur terminale

La mer joue à son miroir
Que les innombrables plumes
Des eiders de l’aube embrument
Effrayante et belle à voir.

Oh! glissez, vous que j’exhume
Formes d’un vain désespoir ,
Dans la tombe au linceul noir
Que la mer ouvre et parfume.

Mais, de grille, sans merci
N’entraînez pas le souci
Qui me point et me consume

Quand je tente de gravir
L’Alpe du flot, pour cueillir
L’edelweiss de son écume.

Q16 – T15 – y=x :d=b – 7s –

Gai, gai, marions les heures — 1913 (5)

Léon Deubel in Oeuvres

Gai, gai, marions les heures
Aux souvenirs tour à tour,
Un instant frivole court
Sur son talon de couleur.

Que la mariée est belle
Sous ses fleurs en ses atours!
Chantons ses chastes amours!
Le futur est poivre et sel.

Il porte beau et ses bagues
Dardent mille éclats de dagues
Qui font assaut d’épidermes.

Ah! ces cloches envolées;
Gai! Vive la mariée;
L’instant luit comme un dieu terme.

Q15 – T15 – 7s