Archives de catégorie : Q08 – abab abab

Princesse! A jalouser le destin d’une Hébé — 1899 (17)

Mallarmé Poésies

Placet futile

Princesse! A jalouser le destin d’une Hébé
Qui poind sur cette tasse au baiser de vos lèvres,
J’use mes feux mais n’ai rang discret que d’abbé
Et ne figurerai même nu sur le Sèvres.

Comme je ne suis pas ton bichon embarbé,
Ni la pastille ni du rouge, ni Jeux mièvres
Et que sur moi je sais ton regard clos tombé,
Blonde dont les coiffeurs divins sont des orfèvres!

Nommez-nous … toi de qui tant de ris framboisés
Se joignant en troupeaux d’agneaux apprivoisés
Chez tous broutant les voeux et bêlant aux délires,

Nommez-nous … pour qu’Amour ailé d’un éventail
M’y peigne flûte aux doigts endormant ce bercail,
Princesse, nommez-nous berger de vos sourires.

Q8 – T15

Elle laissa tomber près du lit sa chemise, — 1899 (10)

Jules MoulinRefuges

Quand même

Elle laissa tomber près du lit sa chemise,
Et m’apparut alors dans toute sa splendeur:
Superbe, elle m’offrait sa chair, Terre Promise;
– Je ne vis sur son front nul signe de rougeur.

Je l’avais rencontrée, au soir, dans une église.
Elle venait ainsi prier avec ardeur,
Chaque jour que Dieu fait, et c’était sans surprise,
Qu’elle avait accepté mon hommage et mon coeur.

Elle fut en tous points très bien, je dois le dire,
Et j’allais m’assoupir amplement satisfait,
Heureux d’avoir trouvé Sapho ‘Toute la Lyre »,

Quand je sentis glisser son corps qui m’étreignait:
A genoux, près du lit, je la vis très austère:
Elle avait oublié de faire sa prière!

Q8 – T23

Comme au bonhomme La Fontaine, — 1898 (21)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Pourquoi des sonnets

Comme au bonhomme La Fontaine,
Les longs ouvrages me font peur :
A mon esprit de courte haleine
Convient un facile labeur.

Pourtant je ne crains pas la peine,
Et je ne suis pas sans ardeur ;
Mais de la source d’Hippocrène
Par gouttes ne vient la liqueur.

Non plus qu’à nos anciens trouvères,
Il ne me faut pas de grands verres
Pour trinquer avec Apollon.

Du Sonnet la faible mesure
Suffit pour rendre mon allure
Titubante au sacré vallon.

(A. Boursault)

Q8 T15 octo  s sur s

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème, — 1898 (13)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

« Un sonnet sans défaut »

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème,
A dit certain gâteux du temps du roi-soleil.
Un bon sonnet, pour moi, c’est une joie extrême,
Un régal délicat, un bijou sans pareil.

J’ai pâli bien souvent, ami, sur ce problème :
Faire aussi mon sonnet ! A l’horizon vermeil
Un rêve me montrait une pensée, un thème,
Qui s’évanouissait souvent à mon réveil.

Quand, revenant à moi, je saisissais la plume,
Pour fixer ce croquis estompé dans la brume,
Hélas ! de mon esprit le vent l’avait banni.

Aussi, sans plus chercher, je me tais, j’y renonce,
Ce n’est pas un sonnet qui sera ma réponse.
Tiens ! – mais, sans y songer, mon sonnet est fini.

(Ernest Lacoste)

Q8  T15  s sur s

– Je reviens d’un voyage au cher pays des lèvres, — 1897 (19)

Albert Giraud Hors du siècle

La douce rencontre

– Je reviens d’un voyage au cher pays des lèvres,
A pays des baisers d’un siècle, de là-bas :
Crépuscule des chairs ; torche rose des fièvres,
Tout s’est fané, tout s’est éteint, et je suis las.

– De ce même pays des torches et des fièvres,
Du pays du baiser séculaire, là-bas,
Du pays de la chair, du cher pays des lèvres
Je reviens comme toi, comme toi je suis las.

– Qu’avons-nous rapporté de cet amer voyage ?
– Rien qu’un impitoyable et stérile veuvage,
Qu’un mauvais compagnon d’exil et de prison !

Aimons-nous cependant, ô ma pauvre âme lasse,
Aimons-nous doucement, lentement, à voix basse,
Sans éveiller celui qui dort dans la maison.

Q8  T15  quatrains sur mots-rimes.

Quand parut le matin de la jeune vendange — 1897 (18)

Georges Fourest in La Province nouvelle

Quand parut le matin de la jeune vendange
Dans la coupe d’airain, je ne sais quelle Hébé,
Perfide, sut mêler du fiel et de la fange
Au vin pur qu’épanchait le rouge Kélébé.

Mais pour moi la jeunesse eut l’amertume étrange
D’un sinistre poison; et de pourpre nimbé,
Ainsi qu’un fier démon qu’un Dieu force d’être ange
Je rêve, triste éphèbe, à cet age courbé

Où les cieux éteignant leurs lampes sidérales,
Contemnant les sanglots, les désirs et les râles
Nous cesserons enfin, fantômes clandestins,

De nous trainer, sanglants sur le marbre des dalles
Et de suivre à travers ses ignobles dédales
Le fil mystérieux des fugaces destins.

Q8  T6

Voulant encourager ses aurores charmées, — 1897 (7)

LevetLe drame de l’allée

III

Voulant encourager ses aurores charmées,
Le soleil, qui vous remarquait et vous baisa,
Laissa sur votre peau ses teintes plus aimées,
Pour poser ses rayons qu’aux reines il lança!

De larges papillons aux ailes imprimées,
Laquais trop effrontés qu’un vent jaloux chassa,
Sans répondre à l’élan des roses alarmées,
S’envolèrent désorbités de ci, de là ….

Respirai-je la fleur par le soleil élue,
Rayonnante aux jardins enfiévrés de chaleur,
Déplorant le conseil d’une sainte mévue,

Car le soleil jaloux du poète voleur,
A lâchement placé, sentinelle imprévue,
Qui veillait, le serpent-minute dans la fleur.

Q8 – T20

Eros, roi de la mer, des cieux et de la terre, — 1897 (6)

Stuart Merrill Poèmes

La Vision d’Eros
pour un tableau d’Armand Point

Eros, roi de la mer, des cieux et de la terre,
Apparaît, le carquois lourd de ses dards de feu,
Contre les flots d’azur d’où surgit, solitaire,
Aux premiers jours du monde, Aphrodite à l’oeil bleu.

Son âme est un secret, son sexe est un mystère,
Et tel qu’il se révèle, homme et femme, le Dieu
Eveille tour à tour, lascivement austère,
En le coeur de la femme et de l’homme le voeu

Impur qui fit pleurer Achille sur Patrocle,
Et retentir Lesbos des plaintes de Sapho,
Et saigner don Juan d’Elvire à la Margot.

Et voici qu’il entend Troie immense qui brûle,
Et le cri de Leucade, et dans le crépuscule
Les pas du Commandeur descendu de son socle.

Q8 – T35

Le sonnet, parfois on l’imprime, — 1896 (7)

Henry Jean-Marie Levet (Le courrier français 1895-6)

Sonnet d’Album
A Mlle Marguerite B.

Le sonnet, parfois on l’imprime,
Mais très rarement on le lit;
Arvers sut le rendre sublime,
Quand Trissotin l’eût avili.

Mais, dans les albums où l’on rime,
Que de pages blanches salit
Le gâcheur de sonnets qui trime
Comme devant un établi!

Vers de terre à terre factice,
Qu’engendrera quelque novice,
Monté sur Pégase poney.

Plat, ainsi qu’un roman d’Ohnet,
Au ras du sol il rampe et glisse,
C’est l’oeuf d’un serpent à sonnets.

Q8 – T10 – octo – s sur s

Que ce sonnet ressemble aux galères royales, — 1896 (3)

Auguste AngellierA l’amie perdue

Que ce sonnet ressemble aux galères royales,
Qui traînent sur les flots des velours frangés d’or,
Et, sous un dais de soie aux splendeurs liliales,
Portent le lit d’ivoire où la reine s’endort;

Que des mots éclatants, bannières triomphales,
Il flotte pavoisé comme un mouvant décor;
Qu’un bruit charmant et doux de luths et de cymbales,
De violes d’amour, retentisse à son bord;

Qu’il soit resplendissant; que les salves de rimes
Eclatent hautement par le sabord des vers;
Qu’il vogue enveloppé par des souffles sublimes,

Arborant à son mat des lauriers toujours verts;
Car il porte ton nom souverain à travers
Les espaces du Temps et ses profonds abîmes.

Q8 – T21 – s sur s