Archives de catégorie : Q08 – abab abab

A vingt ans, quand on a devant soi l’avenir, — 1876 (13)

coll. Le Parnasse Contemporain, III

Louisa Siefert
Tout corps traîne son ombre & tout esprit son doute
Victor Hugo

A vingt ans, quand on a devant soi l’avenir,
Parfois le front pâlit, on va, mais on est triste;
Un sourd pressentiment qu’on ne peut définir
Accable, un trouble vague à tout effort résiste.

Les yeux, brillants hier, demain vont se ternir;
Les sourires perdront leur clartés. On existe
Encor, mais on languit; on dit qu’il faut bénir,
On le veut, mais le doute au fond du coeur subsiste.

On se plaint, & partout on se heurte. Navré,
On a la lèvre en feu, le regard enfiévré.
Tout blesse, & pour souffrir, on se fait plus sensible.

Chimère ou souvenir, temps futur, temps passé,
C’est comme un idéal qu’on n’a pas embrassé,
Et c’est la grande soif: celle de l’Impossible!

Q8 – T15

L’Académie en deux parts se divise: — 1876 (4)

Emile NégrinLes trente-six sonnets du poète aveugle

L’Académie française
a.x.b+y.x.z= A

L’Académie en deux parts se divise:
L’une où du monde est connu chaque nom,
Et qui, malgré sa gloire, n’est admise
Dans le grand corps qu’après réflexion.

L’autre où se voient des princes de l’Eglise,
Entremêlés de princes de salon,
Fort peu connus, et sans réfléchir mise
Au premier rang grâces à son blason.

Or le public justicier, pour ces princes,
Dont les travaux passagers sont si minces,
Fait du fauteuil un simple tabouret;

Tandis qu’ailleurs, pour ces hommes de lettres
Que leurs travaux immortels rendent maîtres,
Il en fait un trône doré.

Q8 – T15 – 2m (octo: v.14) – (18 sonnets sont en provençal-nissard)  » En principe les quatorze vers du sonnet comptent le même nombre de syllabes. Un vers plus court à la fin du deuxième tercet constitue une licence, mais elle est permise parce qu’elle produit une cadence agréable à l’oreille.
Depuis quelque temps, les sonnets sont revenus à la mode; seulement beaucoup de personnes semblent en avoir oublié les règles fondamentales.
Le sonnet doit être la peinture concise, complète, élégante d’une idée unique ou d’un fait ‘isolé’, et se terminer par une ‘chute’, comme on disait à l’époque de Des Barreaux. Voilà pour le fond.
Les deux séries de rimes semblables des deux quatrains doivent être régulièrement accouplées, deux à deux, ou régulièrement alternées deux à deux. Les trois couples de rimes des deux tercets doivent être arrangés de manière que le troisième vers soit en parallèle avec le sixième.
Voilà pour la forme.Hors de ces règles de sens et de structure, pas de sonnet.
J’ajouterai comme corollaires les trois observations suivantes: On ne peut alterner les rimes du premier tercet, parce que cette disposition au-dessous du quatrain entraîne quatre rimes différentes à la file l’une de l’autre, ce qui est contraire à la prosodie.
Terminer le deuxième tercet par deux rimes accouplées est également irrégulier, parce que cet arrangement pèche contre l’harmonie, en supprimant, pour ainsi dire, la note finale du chant.
Quelques auteurs délaient un récit en deux ou trois sonnets consécutifs, cela répugne à la logique. Autant vaudrait couper en morceaux un tableautin de Meissonnier.  » Il admet donc seulement  les combinaisons Q8-T15 et Q15-T15. La critique des dispositions qui ne font pas rimer les vers 9 et 10 procède d’une ancestrale tendance de la prosodie en langue française : retarder le moins possible l’écho d’une rime. Enfin, il n’admet que les sonnets qui constituent à eux seuls un poème. »

Un soir, en visitant la vieille cathédrale — 1876 (3)

Catulle Mendès Les Poésies

Frédérique

Un soir, en visitant la vieille cathédrale
Gothique dont j’aimais les clochetons sans pairs,
Au bas de l’escalier qui se tord en spirale,
Je te vis, ô ma pâle allemande aux yeux pers!

Lasse, tu t’accoudais à la pierre murale,
Pauvre ange endolori tombé des cieux aperts!
Et ton regard tout plein de cendres aurorales
Eclaira doucement la nuit où je me perds.

Goutte de miel échue à mon âpre calice!
J’aspirai parmi l’air qu’embaume l’encensoir
Tes cheveux odorants comme un acacia.

Tu priais, à genoux, sur une pierre lisse,
Et près de toi, dans l’ombre, étant venu m’asseoir
Je te dis ‘Liebst du mich? » tu me répondis «  »Ia« !

Q8 – T36 – La disposition des rimes des tercets est celle qui est la plus fréquente chez Pétrarque: cde cde. Elle oblige à violer la règle d’alternance (encensoir/ acacia)  – Dernier vers sublime de sublimité franco-allemande.

Aussi, la créature était par trop toujours la même, — 1874 (23)

Verlaine Parallèlement

Le sonnet de l’homme au sable

Aussi, la créature était par trop toujours la même,
Qui donnait ses baisers comme un enfant donne aux lois,
Indifférente à tout, hormis au prestige suprême
De la cire à moustache et de l’empois des faux-cols droits.

Et j’ai ri, car je tiens la solution du problème :
Ce pouf était dans l’air dès le principe, je le vois ;
Quand la chair et le sang, exaspérés d’un long carême,
Réclamèrent leur dû, – la créature était en bois.

C’est le conte d’Hoffmann avec de la bétise en marge,
Amis qui m’écoutez, faites votre entendement large,
Car c’est la vérité que ma morale ; et la voici :

Si, par malheur, – puisse d’ailleurs l’augure aller au diable
Quelqu’un de vous devait s’emberlificoter aussi,
Qu’il réclame un conseil de revision préalable.

Q8  T14  14 s.

Héléna, dans le pampre et les liserons bleux, — 1874 (22)

Gustave Mathieu in Revue du monde nouveau

Héléna changée en sonnet

Héléna, dans le pampre et les liserons bleux,
Lustrait ses cheveux roux !!! sous leurs touffes vermeilles
Plongeant ses doux rayons, le soleil, amoureux,
Des ses beaux seins mouvants titillait les merveilles.

Tout en fenêtre en face, un poëte envieux
La guettait l’œil en feu, du sang dans les oreilles !!!
Lors, des vers susurrant sous son cerveau fiévreux,
De s’élancer vainqueurs, essaimant comme abeilles …..

Les voilà s’acharnant à leur proie ; et le soir
L’astre jaloux, avant de s’abîmer, put voir
Lorgnant obliquement de la rive orangée,

Sous les baisers pourprés de quatorze grands vers,
Héléna, renversée et les yeux à l’envers,
Se tordre convulsive, en un sonnet changée.

Q8  T15  s sur s  (traitement assez étrange de ce thème)

Magnétiseur aux mains brûlantes, — 1874 (11)

Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Valéry Vernier

Le thé

Magnétiseur aux mains brûlantes,
Envoyé de l’Empire vert,
Qui rend les âmes nonchalantes
Aux raouts du Paris d’hiver,

Soutiens les forces chancelantes
De ces mondains qui, privés d’air,
Chaque nuit, victimes galantes,
S’étouffent en quelque concert.

Frère du spleen, Londres t’adore,
New York te chérit plus encore,
Moscou te sucre avec ferveur.

Mais, chez nous, malgré ta magie,
Si tu séduis un vrai buveur,
Ce n’est qu’aux lendemains d’orgie.

Q8 – T14  octo

La mort et la beauté sont deux choses profondes — 1874 (8)

Etrennes du Parnasse pour l’année 1874

Victor Hugo

Ave, Dea: Moriturus te salutat

La mort et la beauté  sont deux choses profondes
Qui contiennent tant d’ombre et d’azur qu’on dirait
Deux soeurs également terribles et fécondes
Ayant la même énigme et le même secret;

O femmes, voix, regards, cheveux noirs, tresses blondes,
Brillez, je meurs! Ayez l’éclat, l’amour, l’attrait,
O perles que la mer mêle à ses grandes ondes,
O lumineux oiseaux de la sombre forêt!

Judith, nos deux destins sont plus près l’un de l’autre
Qu’on ne croirait, à voir mon visage et le vôtre;
Tout le divin abîme apparaît dans vos yeux,

Et moi, je sens le gouffre étoilé dans mon âme;
Nous sommes tous les deux voisins du ciel, madame,
Puisque vous êtes belle et puisque je suis vieux.

Q8 – T15 – Envoyé à Judith Gautier, fille de Théophile. Première(?) Publication d’un sonnet composé par Victor Hugo.  – republié dans L’Artiste en 1876 avec cette note : « Le seul que Victor Hugo ait jamais écrit, ne devait-il pas avoir sa place ici ? »

Au diable le sonnet, bien que dans la Sicile, — 1874 (4)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874

Sonnet contre Sonnet

Au diable le sonnet, bien que dans la Sicile,
Il ait longtemps fleuri dans les vallons d’Enna!
N’est pas toujours très beau ce qu’on croit difficile,
Et Boileau, sur ce point, sottement raisonna.

Quant à moi, je préfère un seul vers de Virgile,
A ce vain jeu d’esprit qui nous vint de l’Etna.
Il peut plaire à la cour et sourire à la ville,
Le bon sens indigné pourtant le condamna.

Le plus beau ne vaut pas le moins brillant poème,
Car loin d’être enrichi d’une beauté suprème,
Auprès d’un diamant, c’est un caillou du Rhin.

Le verre imite mal le cristal de Bohème.
Ce sonnet, c’est le verre, et la vierge que j’aime
Rejetterai le strass de son splendide écrin.

Th. Richard-Baudin

Q8 – T6 – s sur s

Dans cette époque ardente où la vapeur est reine, — 1874 (2)

A. de Gagnaud (ed.) – Almanach du sonnet pour 1874. Sonnets inédits publiés avec le concours de 150 sonnettistes – Aix –

Dans cette époque ardente où la vapeur est reine,
Où les jours, plus pressés, pour tous semblent courir,
L’idéal, exilé de sa sphère sereine,
De rêves longs et doux ne peut plus se nourrir.

Le fait parle en despote, et sa voix souveraine
Nous dit: il faut marcher et ne plus discourir,
Car la vie, aujourd’hui, n’est qu’une grande arène,
Où l’on entre à son tour pour lutter et mourir.

Dans cette course folle, où s’agiter c’est vivre,
Eh, qui donc a le temps de composer un livre,
Comme pour le présent écrit pour l’avenir?

Le sonnet, par sa forme exacte et condensée,
Répond à notre hâte, en servant la pensée,
Et par un dernier trait l’impose au souvenir.

Auguste de Vaucelle

Q8 – T15 – s sur s

J’avais un serviteur antique, — 1873 (38)

Joseph Autran

Les éclaireurs de Guillaume

J’avais un serviteur antique,
Brave Caleb sur son déclin ;
J’avais un jeune domestique
Qui se donnait pour orphelin.

Etrangers à la politique,
Aucun d’eux n’avait l’air malin,
De même origine exotique,
Tous deux me venaient de Berlin .

Ces gens, naïfs comme des pitres,
Avaient pourtant l’étrange goût
De fureter dans mes pupitres,

De lire toutes mes épitres,
Enfin, de ne laver les vitres,
Que pour mieux regarder partout.

Q8  T16  octo