Archives de catégorie : Q08 – abab abab

Il est de par le monde une vierge immortelle, — 1839 (13)

Charles Woinez Hier et demain


La poésie

Il est de par le monde une vierge immortelle,
Qui va semant partout le baume de ses vers ;
Pouvant prendre sans cesse une forme nouvelle :
Tantôt fleur des forêts, tantôt oiseau des airs.

Suspendus, en naissant, à sa pure mammelle,
Les peuples ont dormi, bercés par ses concerts :
Vainement on nierait sa puissance éternelle,
Son empire a grandi dans les siècles divers.

Qu’importe que les rois et leurs valets infâmes
S’efforcent d’arracher la poésie aux âmes ?
Plus forte qu’eux, son front domine leur fierté !

Elle ensevelira leurs fausses espérances,
Car, brisant à jamais d’ignobles résistances,
La poésie un jour sera la liberté.

Q8  T15

Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme — 1839 (12)

Auguste Desplaces Une voix de plus

Sonnet A M. Hippolyte Fauche*

Du sonnet Sainte-Beuve a rajeuni le charme
Si vanté de Boileau qui redoutait ses lois ;
Poème italien, dont la facture alarme
Plus d’un rimeur qui n’ose y hasarder sa voix.

Mais contre sa rigueur sa grâce me désarme ;
Et sans dure fatigue, à mon aise, à mon choix,
Je répands, selon l’heure, en ce vase une larme,
Ou d’un rayon d’amour j’en dore les parois.

Oui, cette forme étrange a pour moi peu d’entrave,
Et dans ce champ borné, libre, jamais esclave,
J’ai bien encor, tu vois, le loisir et le lieu

De dire tes élans, ta verve de poète,
Ta prose chatoyante et taillée à facette,
De te donner la main et le salut d’adieu.

Q8  T15  s sur s

* traducteur du sanscrit

Humble, pauvre, oublié sur un sol inconnu, — 1839 (11)

Adelphe NouvillePremier amour, poème en sonnets in Le Monde poétique

XVIII  L’appui

Humble, pauvre, oublié sur un sol inconnu,
Lorsque, seul avec Dieu, l’ermite pleure et prie,
Il voit souvent un ange, à son aide venu,
Lever un doigt brillant vers une autre patrie.

Quand, las de ses tourments, le pécheur montre à nu
Ses dégoûts, ses terreurs, sa poitrine meurtrie,
Par l’espérance encore il se sent soutenu:
Car la rosée abreuve aussi la fleur flétrie.

Si la mer en courroux se perd dans un ciel noir,
Le pilote inquiet retrouve son courage
Dans les rayons lointains de l’étoile du soir.

Ah! contre le désert, le monde, et tout orage,
N’ai-je pas et mon ange, et mon astre, et l’espoir?
N’ai-je pas mon amour? n’ai-je pas votre image?

Q8 – T20

Vous avez, à mes yeux, la grâce de Cynthie, — 1839 (4)

A. Eude-DugaillonFiel et miel

A Léona

Vous avez, à mes yeux, la grâce de Cynthie,
Du type athénien la douce majesté,
Et Corinne pour soeur, mais votre modestie
Rougit en déclinant si docte parenté! …

Oui, quand, sur un clavier, vous parlez d’harmonie
Comme avec un ami qu’on n’a jamais quitté,
Sur votre front descend le parfum du génie,
Vous êtes belle, alors, comme l’antiquité;

Vous animez, nourrie à la sublime école,
Les chants que votre esprit pour plaire imagina
Et ceux des vieux auteurs que le temps couronna;

Heureuse à qui le ciel accorde une auréole!
Par le génie et l’art vous brillez, Léona,
Au lieu d’une c’est deux que le ciel vous donna.

Q8 – T29

Le Sonnet qui jadis, donnait dans notre France, — 1839 (2)

Emile PehantSonnets

A MM. Sainte-Beuve et Barbier

Le Sonnet qui jadis, donnait dans notre France,
Tant de fleurs et de fruits à nos bons vieux auteurs,
Sembla longtemps languir, comme un arbre en souffrance
Qui s’épuise en boutons sans parfums ni couleurs.

Mais sa sève aujourd’hui revient en abondance
Et le fait reverdir comme au temps les meilleurs;
C’est plaisir de le voir monter avec puissance
Et balancer aux vents son front chargé de fleurs.

Vous, de toutes ces fleurs, vous cueillez les plus belles,
Sainte-Beuve et Barbier, car vous avez des ailes
Pour atteindre au sommet de cet arbre si haut.

Mais moi, dans ma corbeille, hélas, je ne recueille
Que celles qu’au gazon parfois la brise effeuille,
Et mon maigre bouquet se fanera bientôt.

Q8 – T15 – s sur s

Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure, — 1838 (15)

Edouard-L. de Blossac Heures de poésie

Sonnet

Au jour de l’infortune, au jour où votre œil pleure,
Où défaillent vos vœux ;
Allez, et repassez le seuil de la demeure,
Où vous fûtes heureux.

Je ne sais quoi d’amer s’en exhale à toute heure !
Tout est sombre en ces lieux !
L’écho souffre et se plaint ; un vent froid vous effleure,
La foudre gronde aux cieux ! ….

Là, pourtant, du bonheur vous connûtes l’ivresse ;
Là, peut-être, le joug dont l’amour vous oppresse,
Longtemps s’est prolongé ….

C’est le même ciel bleu, sur le lac sans orage,
Ce sont les mêmes fleurs encor, le même ombrage :
L’homme seul est changé !

Q8  T15  – 2m (octo : v2,4,6,8,11,14)

Déjà vous publiez, ô Muse téméraire, — 1838 (14)

Charles de Chancel Juvenilia

A ma muse

Déjà vous publiez, ô Muse téméraire,
Vos chants, dont nul encor n’avait ouï les chœurs,
Et vous vous envolez de mon toit solitaire,
Avide de trouver un écho dans les cœurs !

Hélas ! tout n’est pas rose au monde littéraire !
Si quelques écrivains, y traînent en vainqueurs,
Le plus grand nombre y rampe et la critique austère,
A fustigé leurs noms de leurs rires moqueurs.

Mais, grâce à vos doux yeux, Muse, à votre jeune âge,
Peut-être qu’elle aura pour vous un doux langage,
Et que pour vous guider elle tendra la main ……

Partez, que Dieu vous garde, ô belle voyageuse,
Et que des vents amis vous ramènent joyeuse,
Sans déchirer votre aile aux ronces du chemin.

Q8  T15

J’aime, en jetant aux airs des senteurs de jasmin, — 1838 (4)

Théodore CarlierPsukhê; Etudes

Vous encore!

J’aime, en jetant aux airs des senteurs de jasmin,
De tes beaux cheveux bruns mêler la longue tresse!
J’aime, pour m’enivrer d’un bonheur surhumain,
Attirer tes regards, doux comme une caresse!

J’aime te voir pleurer lorsque, sur ton chemin,
Quelque mère indigente à ta pitié s’adresse!
J’aime te voir sourire, et me presser la main,
Lorsqu’un couple béni se parle avec tendresse!

J’aime ta voix, tes pas légers comme l’oiseau,
Ta taille mollement souple comme un roseau,
Et ton coeur pour moi sans mystère!

Mais j’ai peur, quand ton pied se pose à peine au sol,
Que tu ne sois un ange, – et que, prenant ton vol,
Tu ne me laisses sur la terre!

Q8 – T15 – 2m (octo:v.11, v.14)

Les vagues à vos pieds, comme aux pieds de leur reine, — 1837 (5)

Raymond Du Doré Poésies d’un proscrit


Sonnet

Les vagues à vos pieds, comme aux pieds de leur reine,
Venaient, ô Julia ! se briser tour à tour :
L’azur tendre et profond de la voûte sereine
Se peignait à vos yeux plus brillans que le jour.

Sur votre front charmant, dans vos boucles d’ébène,
Des zéphirs arrivans jouaient avec amour,
Et l’effort indiscret de leur suave haleine,
Quelquefois trahissait un ravissant contour.

Le doux frémissement des arbres de la rive,
Les chants du matelot, l’oiseau, l’oiseau, l’onde plaintive,
Tout semblait rendre hommage à vos divins attraits,

Mais vous, sans regarder ni les flots ni la terre,
Pensive, vous teniez la main de votre mère,
Ah ! que vous étiez belle et combien je souffrais.

Q8  T15

Hier, la rue aux Ours me vit, après neuf heures, — 1836 (10)

Adolphe Rolland Feuilles mortes

XLV

Hier, la rue aux Ours me vit, après neuf heures,
Gravir avec lenteur son paisible sentier,
Et sur le seuil ami des antiques demeures,
Un ange souriant semblait me convier.

Et j’entendais sa voix me dire : « Ingrat, tu pleures,
Et caches ta paupière à qui veut l’essuyer.
Des lointaines clartés dédaigne les vains leurres,
Assois ta vie errante à son premier foyer »

Et cheminant toujours je vis la porte ouverte
De mon ancien logis, et sa pelouse verte,
Le peuplier, la vigne et les pots de jasmin.

Le passé me reprit à son charme ineffable,
Et mon regard rêveur rencontra sur le sable
Un rameau de vanille échappé de vos mains.

Q8  T15