Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Le miracle apparaît, et le hideux litige — 1912 (14)

Albert Saint-Paul

Hommage à Mallarmé

Le miracle apparaît, et le hideux litige
Apaise son blasphème aux portes du jubé.
La foule, dont le front reste à jamais courbé,
A sur elle senti respendir le prodige.

Qui ne frémit, tel qu’une sibylle, au prestige
Du Verbe où la rumeur banale a succombé,
Ne ceindra pas le diadème dérobé
A quelque océanique et sonore vertige.

Héroïque destin d’une âme si le sort
Doit ne la proclamer qu’aux fastes de la mort
Devant la multitude à la vie interdite !

Le Poète renferme en un cloître d’orgueil,
Solitude, dédain, exil de qui médite,
Le songe somptueux dont luira son cercueil.

Q15 – T14 – banv

Vos seins, morbleu ! Madame, à les voir insoumis, — 1912 (11)

Charles Perrès in Les Soirées de Paris

En relisant Montaigne

Vos seins, morbleu ! Madame, à les voir insoumis,
Fiers, arrogants, nerveux, rieurs sous la dentelle,
J’évoquais leur printemps hors de la citadelle,
Et rêvais que mes doigts s’en feraient deux amis !

Hélas ! on ne tient pas quand on a trop promis :
Au revoir … Puisse un jour mon âme plus fidèle,
Madame, retrouver par les champs d’asphodèle,
Ses désirs, votre ardeur … et le reste affermis !

Des pleurs ! …Non … comprenez ! mettez-vous à ma place :
Dieu, plus que nous, pensant au destin de la race,
Il faut bien l’un de l’autre en Amour s’approcher.

Point ne veux qu’alors seul mon regard se délecte :
Point ne souffre – aimez-vus les plaisirs du toucher ?
Un trop mol oreiller pour ma teste bien faicte.

Q15  T14 – banv

Petit nid sous un petit toit, — 1912 (9)

Fernand Fleuret Le Carquois du Sieur Louvigné du Dezert

Sonnet pour un petit connin

Petit nid sous un petit toit,
D’une oiselle fine industrie,
Nid qui n’a rien d’un nid de pie,
Mais où la pie hier estoit;

Petit annelet trop estroit
Dont je tente l’escroquerie;
Chef-d’oeuvre de serrurerie
Qu’un vit en crochet n’ouvriroit;

Fissure où vrille une lambrusque,
Bosquet où le Plaisir s’embusque:
Tel est le connin d’Alison,

Luy qui régale ma braguette
Du sphincter d’un jeune garçon
Sous la motte d’une fillette.

Q15 – T14 – 8- 9 qui pourrait croire un instant qu’il s’agit de textes du 16ème siècle? occasion sans doute, de cultiver l’éros-bonbon’

Comme la vieille aïeule au plus fort de son âge 1912 (6)

Charles PéguyLa Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc
Quatrième jour
Pour le lundi 6 janvier 1913
Jour des Rois
Cinq cent unième anniversaire
De la naissance de Jeanne d’Arc

IV

Comme la vieille aïeule au plus fort de son âge
Se réjouit de voir le tendre nourrisson,
L’enfant à la mamelle et le dernier besson
Recommencer la vie ainsi qu’un héritage;

Elle en fait par avance un très grand personnage,
Le plus hardi faucheur au temps de la moisson,
Le plus hardi chanteur au temps de la chanson
Qu’on aura jamais vu dans cet humble village:

Telle la vieille sainte éternellement sage
Connut ce que serait l’honneur de sa maison
Quand elle vit venir habillée en garçon,

Bien prise en sa cuirasse et droite sur l’arçon,
Priant sur le pommeau de son estramaçon,
Après neuf cent vingt ans la fille au dur corsage;

Et qu’elle vit monter de dessus l’horizon,
Souple sur le cheval et le caparaçon,
La plus grande beauté de tout son parentage.

Q15 – T33 + ddc – y=x (c=a & d=b) – 17 vers (trois tercets), sur deux rimes

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre, — 1912 (5)

Charles PéguyLa Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc

II

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre,
Et qu’on était content de son exactitude,
On mit sous sa houlette et son inquiétude
Le plus mouvant troupeau, mais le plus volontaire.

Et comme elle veillait devant le presbytère,
Dans les soirs et les soirs d’une longue habitude,
Elle veille aujourd’hui sur cette ingratitude
Sur cette auberge énorme et sur ce phalanstère.

Et quand le soir viendra de toute plénitude,
C’est elle la savante et l’antique bergère,
Qui ramassant Paris dans sa sollicitude

Conduira d’un pas ferme et d’une main légère
Dans la cour de justice et de béatitude
Le troupeau le plus sage à la droite du père.

Q15 – T20 – y=x : c=b & d=a

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre, — 1912 (4)

Charles PéguyLa Tapisserie de Sainte Geneviève et de Jeanne d’Arc
Premier jour
Pour le vendredi 3 janvier 1913
Fête de Sainte Geneviève
Quatorze cent unième anniversaire de sa mort

I

Comme elle avait gardé les moutons à Nanterre,
On la mit à garder un bien autre troupeau,
La plus énorme horde où le loup et l’agneau
Aient jamais confondu leur commune misère.

Et comme elle veillait tous les soirs solitaire
Dans la cour de la ferme ou sur le bord de l’eau,
Du pied du même saule et du même bouleau
Elle veille aujourd’hui sur ce monstre de pierre.

Et quand le soir viendra qui fermera le jour,
C’est elle la caduque et l’antique bergère,
Qui ramassant Paris et tout son alentour

Conduira d’un pas ferme et d’une main légère
Pour la dernière fois dans la dernière cour
Le troupeau le plus vaste à la droite du père.

Q15 – T20 – y=x : d=a

Un regret plus mouvant que la vague marine — 1912 (3)

Charles PéguyLes sonnets

L’épave

Un regret plus mouvant que la vague marine
A roulé sur ce cœur envahi jusqu’au bord.
Un jour plus solennel que le jour de la mort
S’est levé sur le foc et sur la brigantine.

Un espoir plus étroit que la voile latine
Portera-t-il jamais jusqu’au recreux du port,
Fera-t-il pénétrer jusqu’au secret du sort
La nef aux bois courbés coupés sur la colline.

Quand le juste pilote a déserté le nord,
Hommes laisserons-nous cette main enfantine
Saisir le gouvernail et redresser le tort.

Quand le vieux capitaine est tombé de son fort,
Laisserons-nous la voix apparemment mutine
Commander par tribord, par bâbord, et sabord.

Q15 – T17 – y=x (c=b & d=a)

Il neige dans mon cœur …. et le printemps éclate — 1912 (2)

– Docteur Paul PersyLes sonnets de l’or (1903-1912) –

Triomphe

Il neige dans mon cœur …. et le printemps éclate
En fleurs
De vives et fastueuses couleurs
Partout le blanc, le bleu, le roi et l’écarlate.

La brise chaude – comme on flatte
Un visage d’enfant en pleurs –
Caresse ces blancheurs, ces roses enjôleurs,
Ces bourgeons incarnats que le soleil dilate.

Or, pendant que la vie infatigable sort
Des tiges qu’elle brise et qu’un souffle plus fort
Chasse en un vol d’or les corolles libres,

Les flocons froids tombent plus pressés dans mon cœur,
Glaçant, tordant, broyant ses fibres;
Et c’est la mort et son ricanement vainqueur.

Q15 –  T14 – banv – m.irr

L’ennui tombe sur moi comme un lourd crépuscule. — 1911 (9)

Léonce Cubelier de Bagnac La naissance du verbe

La lampe

L’ennui tombe sur moi comme un lourd crépuscule.
Ma chambre est pleine d’ombre & mon cœur est désert.
Espoirs, regrets, désirs, tout est mort ! et dans l’air,
Je ne sais quoi de morne et de glacé circule.

Mon âme, où tout le deuil des choses s’accumule,
Tremble, devant le soir, d’un grand frisson amer.
L’horizon a sombré dans la brume d’hiver …
On dirait que la vie, incertaine, recule.

Je vais mettre très haut ma lampe & ma pensée,
Pour que, si quelque ami, passant sur la chaussée,
Vers mon humble logis vient à lever les yeux ;

Ou bien, si quelque rêve égaré dans les cieux
Cherche, pour s’y poser, un âme triste et tendre,
L’ami songe à monter, et le rêve à descendre.

Mon front trop lourd s’incline – et je suis las d’attendre.
Voici que le jour point, ma lampe va mourir …
Ils ne sont pas venus, ceux qui devaient venir.

Q15  T13  + eff  17v

Tes yeux vagues se font, à présent, si lointaine — 1911 (8)

Léonce Cubelier de Bagnac La naissance du verbe

Tes yeux vagues

Tes yeux vagues se font, à présent, si lointaine
Que, pèlerin errant aux routes du bonheur,
Mon désir amoureux va mourir de langueur,
Avant d’atteindre l’ombre à la claire fontaine

De ta bouche, oasis de baisers déjà pleine …
Pourquoi cet air indifférent, cette pâleur …
Est-ce dédain, colère ou caprice boudeur ?
Reviens à toi. Que t’ai-je fait ? J’ai de la peine !

Tu pleures ? J’ai blessé, peut-être, sans savoir,
Quelque rose d’extase ou quelque lys d’espoir
Nouvellement éclos au jardin de ton âme ? …

– Ami, l’ombre est plus lourde où se meurt une flamme.
Mon amour va s’éteindre. Il fait noir dans mon cœur :
Et je suis une enfant à qui la Nuit fait peur …

Q15  T13