Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Saper les fondements de la propriété, — 1911 (7)

Jules Durand Poésies

Le renversement

Saper les fondements de la propriété,
Epouvanter le monde avec plaisir de fauve,
Tuer, blesser, détruire en lâches qui se sauve,
Sans crier ‘gare à vous’ c’est crime en vérité.

Ils fabriquent l’enfin de leur atrocité,
Hantés de visions au fond de leur alcôve,
Car voir l’habit cousu, la robe azur et mauve,
Ronge leur cœur jaloux qu’aigrit l’adversité.

Au chemin criminel, quand l’âme est déjà morte,
Ne s’arrête qui veut, parfois le mal l’emporte.
Ah ! maudit soit l’auteur d’un tel égarement.

Si la matière est tout, l’homme à l’homme s’oppose
Et lui lance sa bombe à vrai renversement :
La loi divine donc à tout vivant s’impose.

Q15  T14 – banv –  acrostiche palindromique

Ainsi qu’un coeur brisé, ton cul saigne, mignonne — 1911 (6)

J.K. Huysmans

Sonnet saignant

Ainsi qu’un coeur brisé, ton cul saigne, mignonne
Les règles à grands flots coulent, et, affamé
D’amour et de mucus, faune enthousiasmé,
Je bois ton vin sanglant et je me badigeonne

Les lèvres d’un carmin vaseux qui me goudronne
Et moustache et langue. Ah! dans ton poil, gommé
Par les caillots fondus, j’ai maintes fois humé
Une odeur de marine, et, pourtant, ça t’étonne,

Que je puisse avaler ton gluten sans dégoût,
Mais c’est le vrai moment, pour un homme de goût,
De barbouiller sa bouche au suc rouge des règles,

Alors que les Anglais ont débarqué, joyeux!
Pour activer ce flux, vite l’ergot de seigle;
Car si baiser est bien, gabahoter* est mieux.

Q15  T14 gabahoter* : gamahucher

Au-delà de l’Araxe où bourdonne le gromphe, — 1911 (3)

Philippe Berthelot in Philippe Martinon Dictionnaire méthodique et pratique des rimes françaises

« … triomphe, l’exemple ordinaire des mots sans rimes, n’aura pas de rime ici, puisqu’il n’en pas dans l’usage. *
* Nous citerons pourtant, à titre de curiosité, le sonnet suivant, de M. Philippe Berthelot

Alexandre à Persépolis 330 av J.C.

Au-delà de l’Araxe où bourdonne le gromphe,
Il regardait, sans voir, l’orgueilleux Basileus,
Près du rose grandit que poudroyait le leuss,
La blanche floraison des étoiles du romphe .

Accoudé sur l’Homère au coffret chrysogromphe,
Revois-tu ta patrie, ô jeune fils de Zeus,
La plaine ensoleillée où roule l’Aenipeus,
Et le marbre doré des murailles de Gomphe?

Non! le roi qu’a troublé l’ivresse de l’arack,
Sur la terrasse où croît un grêle azédarac,
Vers le ciel, ébloui du vol vibrant du gomphe

Levant ses yeux rougis par l’ivresse et le vin,
Sentait monter en lui comme un amer levain
L’invincible dégoût de l’éternel triomphe.

Q15 – T15 –  y=x ( d=a ) – – Cet exemple nous a été signalé par mr J.Cl. Milner.(JR)

Prends cet Alde. Il est souple et poli sous ta main. — 1911 (2)

Henri de RégnierLe miroir des heures

Sur un exemplaire des Dialogues d’amour de Léon l’Hébreu

Prends cet Alde. Il est souple et poli sous ta main.
Le papier est de choix, et la lettre est accorte,
Et la première page, au bas du titre, porte
La haute ancre marine où s’enroule un dauphin.

Pour le couvrir, on n’a voulu ni parchemin
Trop orné, ni velours trop éclatant, de sorte
Que son double plat noir, pour tout lustre, comporte
A chacun de ses coins, un seul fleuron d’or fin.

En sa parure sobre et sombre autant que belle,
Il évoque un décor de gondole, comme elle,
Or sur noir, à la fois galant et ténébreux,

Car c’est ainsi jadis qu’un seigneur de Venise
Fit relier pour lui, sans chiffre ni devise
Ce livre qui plaisait à son cœur amoureux.

Q15 – T15

Ma douce enfant ma gosseline, — 1911 (1)

Arthur Cravan Premiers poèmes (1908-1911)

Solo de soir

Ma douce enfant ma gosseline,
Le golfe dort adamantin
Seul quelque obstiné galantin
Pince un lento de mandoline.

Dans la brise frôlant câline
Comme une manche de satin,
Goûtons ce soir napolitain,
Suave ainsi qu’une prâline

Qui fond au cœur exquisément.
Un oiseau dans l’enchantement
Rossignole avec véhémence.

Nous écouterons si tu veux
Sa sentimentale romance
Car il lune dans tes cheveux.

Q15 – T14 -banv –  octo

Madame, à mon avis, les plus noirs mécréants. — 1910 (13)

Maurice Hennequin et Georges Basset Une aventure impériale

Madame, à mon avis, les plus noirs mécréants.
Ne se rencontrent point aux pays d’aventure ;
Et pour trouver traîtrise, embuscade et capture,
Point n’est besoin, je crois, de sortir de céans !

A vos pieds, en vaincus, ont gémi des géants.
Voyez combien de cœurs, cy, gisent sur la dure ;
Et je pleure en songeant que, le mal que j’endure
Pour le fuir, il faudrait passer les Océans !

Car vos grands yeux, toujours, sont pleins de maléfices.
Leur charme est un tissu de profonds artifices.
Et c’est un autre sphinx que leurs rellets câlins.

A l’âge, où des dangers on se fait une fête.
Lâche, je n’ose point, de peur d’une défaite
Affronter les éclairs de vos grands yeux divins !

Q15 – T15

La neige a couronné de blancheur le château, — 1910 (12)

Léon Vérane in Les façettes

La neige a couronné de blancheur le château,
La glace claire bave aux gueules de ses guivres,
Sans redouter l’autan que les frimas délivrent,
A l’entour du donjon, plane un vol de corbeaux.

La salle est vaste ; un jour gris tombe des carreaux
Que la nuit a voilé de fins rideaux de givre.
Dans l’âtre, un feu puissant tord ses membres en cuivre
Et jette sur le sol des lueurs de flambeaux.

Sans cesse résonnant entre les meneaux grêles,
Le cristal que le vent ébranle de ses ailes,
Bourdonne, les créneaux sifflent, geignent les tours,

A l’épaule du vent roulant sa clameur noire.
Mais rien ne peut tirer du charme de velours
L’enchanteur endormi dans son fauteuil d’ivoire.

Q15  T14 – banv

Les bruits nous l’ont décrit d’une façon exacte. — 1910 (10)

Edmond Rostand Didascalie de Chantecler

Les bruits nous l’ont décrit d’une façon exacte.
Portail croulant. Mur bas fleuri d’ombelles. Foin.
Fumier. Meule de paille. Et la campagne au loin.
Les détails vont se préciser au cours de l’acte.

Sur la maison, glycine en mauve cataracte.
La niche du vieux chien de garde, dans un coin.
Epars, tous les outils dont la terre a besoin.
Des poules vont, levant un pied qui se contracte.

Un merle dans sa cage. Une charrette. Un puits.
Canards. Soleil. Parfois une aile bat, et puis
Une plume, un instant, vole, toute petite.

Des poussins, pour un ver, se disputent entre eux.
Le dindon porte au bec sa rouge stalactite.
– Silence chaud, rempli de gloussements heureux.

Q15 – T14 – banv

Un sonnet qu’inscrirait ma voix sous toi, de Groux, — 1910 (9)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

A Henry de Groux

Un sonnet qu’inscrirait ma voix sous toi, de Groux,
Ne saurait sertir cri qu’houhou de loup-garou.
Suis-je autre, ainsi maudit, errant sans savoir où,
Dans le monde effrayé de m’ouïr, de ses trous

De vice, hurler honte au seuils dont les boutrous
Accroupis contre l’huis veillent le rogue écrou
Protecteur de valeur, d’honneur, de bonheur ou
D’heur seul d’être encor mieux repu sous les verroux?

Oui, peintre extravagant des tumultes épiques,
Bravo! J’aime ton œuvre où, verte au bout des piques,
Grimace la laideur du chef gras de Prudhomme.

Je l’aime avec ma haine. Et que, rouge, héroïque,
Fleuri par le fumier d’un hécatombe d’hommes,
Soit ton art salué comme un bienfait tragique!

Q15 – T14 – banv  – si les sonnets de Paterne Berrichon ont l’air de pastiches, c’est involontaire. En 9, intéressant jeu sur l’opposition singulier / pluriel dans les rimes

La neige de sa fleur splendide — 1910 (6)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

Vierge slave

La neige de sa fleur splendide
N’est-ce que d’elle pur j’élus,
Mais bien ses regards résolus.
Je fus, un temps sous son égide.

Son front de sagesse candide
Gardant maint pli de livres lus,
Ce sans plus fut à quoi je plus.
Son cœur me demeura frigide.

Elle venait du Nord, d’un nord
Où, livides, les ours de mort
Tachent la blancheur des campagnes.

Ses vœux, steppes de chasteté,
Loin du potager des compagnes,
N’allaient qu’en abstraite bonté.

Q15 – T14 – banv – octo