Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Grand œuvre d’idéal et cordial monument, — 1910 (5)

Paterne Berrichon Poèmes décadents 1883-1895

A Stéphane Mallarmé

Grand œuvre d’idéal et cordial monument,
Le POEME, au fini chanteur de son mystère,
Est un miracle où l’âme enfin se désaltère
De ses fluants reflets complus de diamant.

Sons et couleurs, parfums, formes, expressément
Confondus par un nombre envolé de chimère,
Sur le Verbe ainsi chair, du bas de l’heure amère
Projettent dans l’espace un reposoir clément.

Il conçut Dieu, qui créa l’homme; la nature
Toute fleurit l’essor de son architecture
Aux murs de strophe illuminés du mot-vitrail,

Et de son vers le bloc s’avivant de peintures,
Fut, d’un style, gravé par plus ardu travail
Que le carrare de triomphantes sculptures.

Q15 – T14 – banv

J’attends, ô Bien-Aimée! O vierge dont le front — 1910 (4)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet à la Mort

J’attends, ô Bien-Aimée! O vierge dont le front
Illumine le soir de pompe et d’allégresse,
Ton hymen aux blancheurs d’éternelle tendresse,
Car ton baiser d’amour est subtil et profond.

Notre lit sera plein de fleurs qui frémiront,
Et l’orgue clamera la nuptiale ivresse
Et le sanglot aigu pareil à la détresse,
Dans l’ombre où tu pâlis comme un lys infécond.

Et la paix des autels se remplira de flammes;
Les larmes, les parfums et les épithalames,
La prière et l’encens monteront jusqu’à nous.

Malgré le jour levé, nous dormirons encore
Du sommeil léthargique où gisent les époux,
Et notre longue nuit ne craindra plus l’aurore.

Q15 – T14 – banv

L’orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures, — 1910 (3)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet

L’orgueil des lourds anneaux, la pompe des parures,
Mêlent l’éclat de l’art à ton charme pervers,
Et les gardénias qui parent les hivers
Se meurent dans tes mains aux caresses impures.

Ta bouche délicate aux fines ciselures,
Excelle à moduler l’artifice des vers:
Sous les flots de satin savamment entr’ouverts,
Ton sein s’épanouit en de pâles luxures.

Le reflet des saphirs assombrit tes yeux bleus,
Et l’incertain remous de ton corps onduleux
Fait un sillage d’or au milieu des lumières.

Quand tu passes, gardant un sourire ténu,
Blond pastel surchargé de parfums et de pierres,
Je songe à la splendeur de ton corps libre et  nu.

Q15 – T14

Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes, — 1910 (2)

Renée VivienPoèmes – ed. 1923 –

Sonnet féminin

Ta voix a la langueur des lyres lesbiennes,
L’anxiété des chants et des odes saphiques,
Et tu sais le secret d’accablantes musiques
Où pleure le soupir d’unions anciennes.

Les Aèdes fervents et les Musiciennes
T’enseignèrent l’ampleur des strophes érotiques
Et la gravité des lapidaires distiques.
Jadis tu contemplas les nudités païennes.

Tu sembles écouter l’écho des harmonies
Mortes; bleu de ce bleu des clartés infinies,
Tes yeux ont le reflet du Ciel de Mytilène.

Les fleurs ont parfumé tes étranges mains creuses;
De ton corps monte, ainsi qu’une légère haleine,
La blanche volupté des vierges amoureuses.

Q15 – T14 – banv – Rimes féminines

Humaniste, gourmet, déiste et régicide, — 1910 (1)

Emile BergeratBallades et sonnets

La guillotine de poche . 1792.

Humaniste, gourmet, déiste et régicide,
Le sans-culottiseur de l’Isère et du Doubs
Porte dans un étui dont le cuir est très doux
Une guillotinette en verre translucide.

Quand la petite hache amusante s’oxyde
De rouille ci-devante, il la passe au saindoux
D’un pot enjolivé de rubans dits: padous
Qu’ornent des vers latins à la masse d’Alcide.

Elle lui sert à maints usages, notamment
A trancher sur le plat d’un Nouveau testament
Les têtes des canards, des lapins & des oies;

Car il n’aime que ceux dont il fut le Samson
Lui-même, et telles sont les innocentes joies
Du proconsul François Lejeune à Besançon.

Q15 – T14 – banv –   padou (TLF) Ruban moitié fil, moitié soie

C’est un garçon très doux, très chaste et très discret. — 1909 (7)

Georges-Hector Mai in Les poètes sociaux

L’ouvrier-aux-livres
(Vitrail)

C’est un garçon très doux, très chaste et très discret.
Des livres ont toujours bossué sa vareuse ;
Et, sous un front griffé de rides fiévreuses,
Il a des yeux d’enfant, bleus, au reflet doré.

C’est un bon ouvrier, sobre, actif, toujours prêt.
Mais il semble haïr l’usine monstrueuse …
Et son âme cachée est sans doute amoureuse
D’un rêve merveilleux qu’il caresse en secret.

Il lit … Et quand le soir azure sa mansarde,
Seul, sans femme, sans rien que son rêve, il hasarde
Avec simplicité des essais effrayants ;

Et, dans son grand amour pour la douleur du monde,
Parfois, avec des doigts méticuleux et lents,
Sans haine et sans remords, il fabrique des bombes.

Q15  T14 – banv

Nul bruit, nul cri, nul choc dans les grands prés de soie — 1909 (6)

Jules de Marthold in  (Bertrand Millanvoye) Anthologie des poètes de Montmartre

Nuit d’or

Nul bruit, nul cri, nul choc dans les grands prés de soie
Où tout rit et sent bon sous le ciel bleu du soir,
Où, sauf le ver qui luit, on ne peut plus rien voir,
Où le chat-linx des bois va, court et suit sa proie;

La voix des nids en chœur dit son pur chant de joie;
Un cerf boit à sa soif, au guet, l’eau du lac noir,
Au pan creux d’un vieux mur dort en paix un vieux loir,
Et sous les feux de juin tout vit, tout croît, tout ploie,

Un vent chaud des blés mûrs fait un flot de la mer
Et sur les monts des pins ont cent longs bras de fer,
Sur un roc nu la tour plus que le roc est nue.

Doux et fort, œil mi-clos, roi du sol, un bœuf paît.
Il pleut sans fin, croit-on, des clous d’or en la nue.
Le temps court, le temps fuit, la nuit meurt, le jour naît.

Q15 – T14 – banv – sonnet de monosyllabes

Vous qui, dans votre Phare aux murs trapus et clos — 1908 (11)

Robert de Montesquiou Les paons

BELLE-ISLE-EN-ART

Vous qui, dans votre Phare aux murs trapus et clos
Que l’ouragan ébranle ainsi qu’une guérite,
Aimez parfois jouer un rôle d’Amphitrite
Drapé, par l’Océan, d’azur et de sanglots ;

Vous regardez, le soir, s’allumer les falots
Dont la barque, au lointain, contre la Mort s’abrite ;
Une réplique d’ombre, et par Dieu même écrite,
S’élève alors vers vous, de la plainte des flots.

Je devine, Sarah, votre amour pour la houle
Qui vous ramène, en eux, l’applaudissante foule,
Dont tant de fois votre art triomphant fut vainqueur.

Vous goûtez les rappels de la Mer qui s’effare,
Vous que le Monde voit briller dans votre Phare
Qu’illumine un génie où l’on sent battre un coeur!

Q15  T15 à Sarah Bernhardt

Tu montais radieux dans la grande lumière, — 1908 (10)

Albert Lozeau Ame solitaire

A Emile Nelligan

Tu montais radieux dans la grande lumière,
Enivré d’idéal, éperdu de beauté,
D’un merveilleux essor de force et de fierté,
Fuyant avec dédain la route coutumière.

Tu montais emporté par ton ardeur première,
Battant d’un vol géant la haute immensité,
Et là, tout près d’atteindre à ton éternité,
Tu planais, triste et beau, dans la clarté plénière.

Mesurant du regard le vaste espace bleu,
Tu sentis la fatigue envahir peu à peu
La précoce vigueur de tes ailes sublimes.

Alors, fermant ton vol largement déployé,
Ô destin ! tu tombas d’abîmes en abîmes,
Comme un aigle royal en plein ciel foudroyé !

Q15  T14 – banv

De la tour de Justice à la tour du Trésaut, — 1908 (9)

Pierre Fons La divinité quotidienne

Devant la Cité de Carcassonne

De la tour de Justice à la tour du Trésaut,
Le soir apaise enfin l’horizon solitaire ;
D’implacables destins ont désolé ces terres,
Mais leur sombre splendeur garde encor des vassaux.

Seul, le soleil tentant quelque suprême assaut
Ensanglante à présent la Lice & Saint Nazaire :
Où les cerviers du Nord tous en vain s’écrasèrent,
Les femmes lentement rêvent près des berceaux.

Fière monte une nuit, orientalement chaude ….
Montfort, ton oeuvre est morte et sa cendre est à l’Aude,
Les Midis à leur tour ont chassé les effrois ;

Et, la lune courbée en profil de tartane,
Tout le ciel étoilé tend un blason d’orfrois,
Qui figure l’orgueil de la terre occitane.

Q15  T14 -banv –