Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Rien, cette écume, vierge vers — 1899 (16)

Mallarmé Poésies

Salut

Rien, cette écume, vierge vers
A ne désigner que la coupe;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l’envers.

Nous naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la poupe
Vous l’avant fastueux qui coupe
Le flôt de foudres et d’hivers;

Une ivresse belle m’engage
Sans craindre même son tangage
De porter debout ce salut

Solitude, récif, étoile
A n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.

Q15 – T14 – banv –  octo

– ‘ Depuis que les Titans, punis de leur outrage, — 1899 (9)

Léopold DauphinCouleur du temps

La Tour Eiffel vue de haut
à Alphonse Allais

– ‘ Depuis que les Titans, punis de leur outrage,
Se tordent aux Enfers, l’homme, quoique malin,
S’élève vainement:  il reste à son déclin,
Vaincu par l’anémie et veuf du fier courage.

Or, moi, monsieur Homais, je crie: au gaspillage!
Et blâme hautement notre impuissant Vulcain
D’avoir – pour nous forger ce chef d’oeuvre mesquin –
Mis le fer stimulant et tonique au pillage! ‘

Puis, cet avis donné, sagement, sans détour,
Le grand pharmacien, les lèvres dédaigneuses,
Triture au mortier ses drogues ferrugineuses

Et, sous le lourd pilon croyant revoir la Tour,
Suppute, l’oeil rêveur, les bienfaisants pécules
Qu’on aurait à rouler tout ce fer en pilules.

Q15 – T30

J’aurais pu, je crois, tout comme les autres, — 1899 (4)

Paul RomillyMuse & Musette

Apostrophe

J’aurais pu, je crois, tout comme les autres,
Suer sans repos, me battre les flancs,
Hanneton rêveur, pondre des vers blancs,
Denués de sens autant que les vôtres.

Vous m’auriez crié « Te voilà des nôtres! »
Dupes volontiers de mes faux-semblants.
Prêtres maladifs aux cultes troublants,
Vous l’auriez compté parmi vos apôtres.

Mais je ne veux pas de ces lâchetés.
Vos suffrages sont trop cher achetés:
J’écarte la main que vous m’alliez tendre.

Hiboux clignotant d’un oeil hébété,
Nous ne sommes pas faits pour nous entendre:
Vous préférez l’ombre, et moi la clarté.

Q15 – T14 – banv –  tara

Préface de G. Vapereau (auteur du Dictionnaire des Contemporains) – Après deux siècles environ de discrédit, notre génération littéraire a ramené, pour le sonnet, une ère de faveur et d’éclat. L’école romantique, se souvenant qu’il remonte, par delà le règne trop longtemps célébré des maîtres classiques, à l’époque moins démodée de la Renaissance, l’avait repris comme l’étendard de la Pléiade. On s’y est attaché pour les prétendues difficultés de sa forme, pour les contrastes de mots ou d’images que sa concentration met en relief, pour ses effets de prosodie, je dirai presque d’acoustique, pour ses harmonieuses sonorités! Quelques-uns l’ont adopté, sans prétention ni arrière-pensées, comme le cadre le plus favorable d’une noble idée et d’un sentiment délicat. Grâce à ces diverses aspirations, les sonnets se sont de nouveau multipliés, et plusieurs ont paru digne de survivre. Une pensée d’amour mystérieux et discret, dans le ‘sonnet d’Arvers’, a suffi pour sauver le nom et le souvenir d’un poète voué, sans cet éclair, à un entier oubli. D’autres, comme Joséphin Soulary, ont produit des sonnets avec assez de continuité pour en former ses recueils, et, malgré leur travail acharné de ciselure littéraire, ils ne survivent auprès de la postérité, qui a commencé pour eux, que par l’ingéniosité du trait et la délicatesse du sentiment. Quant aux prosodistes qui cherchent avant tout, dans le sonnet, le mérite de la difficulté vaincue, comme celui qui a fait l’un des siens en quatorze syllabes, ils réalisent des bizarreries sans intérêt, et, s’il reste un souvenir de leurs tours de force, on a bientôt oublié les noms des acrobates des lettres qui les ont accompli.
M. Paul Romilly n’est pas de ces derniers. Malgrè sa facilité à tourner la stance, quatrain ou tercet, il affranchit le sonnet de quelques-unes de ses puériles exigences; mais il ne cesse d’y voir ce petit cadre savant qui fait ressortir en pleine lumière la pensée ou le sentiment, augmente l’éclat ou nuance la grâce. ….

Quoiqu’en disent certains, j’adore le sonnet; — 1899 (3)

Paul RomillyMuse & Musette

Le sonnet

Quoiqu’en disent certains, j’adore le sonnet;
Je me laisse bercer à son rythme qui chante,
Que sa note résonne ironique ou touchante,
Nocturne rossignol ou joyeux sansonnet;

Et, comme quelquefois de l’air la chanson naît,
Il advient, écartant une rime méchante,
Que l’on fasse, d’un mot à tournure approchante,
Jaillir un sens nouveau qu’à peine on soupçonnait.

D’ailleurs, c’est à mes yeux l’habit qui fait le moine:
Un blanc dominicain plaît mieux qu’un gras chanoine;
Le flacon ciselé fait goûter la liqueur.

Enfin, sonnet galant, en ta forme que j’aime,
N’es-tu pas, mousquetaire, élégant et vainqueur,
Même avec des défauts, moins long qu’un court poème?

Q15 – T14 – banv – s sur s

Une stèle de marbre au seuil d’un Bois Sacré — 1898 (23)

– Jean Royère L’exil doré

Epigraphe à Puvis de Chavannes

Une stèle de marbre au seuil d’un Bois Sacré
Portera dignemen ta mémoire, ô Poète ;
L’artiste y gravera ton nom et, sur le faîte,
L’indice matériel de ton rêve incréé.

Auprès du temple clair, par le soleil doré,
Les cieux te garderont une belle retraite,
Et, pour récompenser leur unique interprète,
Les Muses te voudront dans leur intimité.

Les déesses, tes sœurs, dans la paix souveraine,
Laveront ton autel des ondes d’Hippocrene
Et te couronneront d’harmonie et d’azur.

Et Phébus Apollon ornera ta statue
Des rayons éternes, ravis à l’éther pur
D’une extase céleste et jamais révolue.

Q15  T14 – banv

Dans les trompes d’argent, ô fanfares, sonnez ! — 1898 (22)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Sonnetistes, à l’œuvre !

Dans les trompes d’argent, ô fanfares, sonnez !
Qu’à vos bruyants appels ne résiste personne,
Car les épis sont mûrs et la moisson foisonne ;
Sonnetistes, à l’oeuvre ! Allez et moissonez !

Prenez tous votre essor, ô chantres des sonnets,
En rhythme éolien que le luth d’or résonne
L’essaim ailé des vers autour de vous frissonne,
Dans deux quatrains égaux l’un à l’autre enchaînés.

Au cliquetis joyeux de leur double cadence,
Secouant les grelots de la rime qui danse,
Les tercets accouplés chantent à l’unisson

Sonnetistes, laissez s’accoupler vos pensées,
Avec des nœuds de fleurs l’une à l’autre enlacées,
Et mariez toujours l’idée avec le son.

(J.B.Gaut)

Q15 T15  s sur s

Du sonnet quel est l’avantage ? — 1898 (20)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Du sonnet quel est l’avantage ?
Vous dit-on souvent au palais :
Il n’a que faire dans les plaids,
Ce n’est qu’un charmant badinage.

Erreur ! on doit à son usage
De condenser non sans succès,
En peu de mots, en quelques traits,
Un confus et lourd verbiage.

Eh quoi ! messieurs les avocats,
Quatorze vers sont-ils au cas
D’encourir une raillerie ?

Onques juge ne dormirait
Si jamais une plaidoirie
N’était plus longue qu’un sonnet.

(G.Hipp)

Q15 T14 – banv – octo  s sur s

Dans l’Epopée, une vaste peinture — 1898 (19)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

‘Ut pictura poesis’

Dans l’Epopée, une vaste peinture
S’enlève à fresque et se brosse à grands traits ;
Des demi-dieux violant les secrets,
Le Drame antique outre un peu la nature ;

Jusqu’aux confins de la caricature
La Comédie exhaussant ses portraits,
Nous fait toucher nos travers de plus près ;
Le Sonettiste est peintre en miniature :

De Michel-Ange il n’a pas les crayons,
De Raphaël les célestes rayons,
Ou de Rubens la magique palette ;

Terburg, Miéris lui prêtent leur pinceau :
L’immensité dans la mer se reflète ;
Un coin de ciel suffit au clair ruisseau.

(Georges Garnier)

T15 Q14 – banv –  déca s sur s

Les Quatrains du sonnet sont de bons chevaliers — 1898 (17)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Le Sonnet
A Maître Claudius Popelin, émailleur et poète

Les Quatrains du sonnet sont de bons chevaliers
Crottés de lambrequins, plastronnés d’armoiries,
Marchant à pas égaux le long des galeries,
Ou veillant, lance au poing, droit contre les piliers.

Mais une dame attend au bas des escaliers :
Sous son capuchon brun comme dans des féeries,
On voit confusément luire les pierreries,
Ils la vont recevoir, graves et réguliers.

Pages de satin blanc, à la housse bouffante,
Les Tercets, plus légers, la prennent à leur tour
Et jusqu’aux pieds du Roi conduisent cette Infante.

Là, relevant son voile, apparaît triomphante
La Bella, la Diva, digne qu’avec amour
Claudius , sur l’émail, en trace le contour.

( Théophile Gautier)

Q15 T18  s sur s

L’Apologue est indien ; — 1898 (16)

–  Matthew Russell (ed.) Sonnets on the Sonnet

Le sonnet est limousin

L’Apologue est indien ;
L’Attique trouve le Drame ;
L’Elégie est de Pergame ;
Le Poème est rhodien.

Un berger arcadien
Composa l’Epithalame ;
L’inventeur de l’Epigramme
Fur le barbier lydien.

Enna fit parler Tityre ;
Rome conçut la Satire ;
Byzance orna le Dizain ;

La Ballade est allemande ;
La Villanelle, normande ;
Et le Sonnet, limousin !

(Abbé Joseph Roux)

Q15  T15  7s  s sur s