Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux, — 1893 (5)

Romain Coolus in Revue Blanche

Incantations, IV

Le soleil s’est couché, mais non pas dans tes calmes yeux,
Tes yeux aux longues perspectives de toute lumière
Dont le regard s’évade et fuit ainsi qu’une rivière
De clarté progressant vers des lointains prestigieux.

Et leur cher en-aller est pour moi si contagieux
Qu’ils dérivent mon coeur des habitudes coutumières
Et l’incitent au désir soudain des douceurs premières
Parmi le pays où vivre est un mot religieux.

J’attends ainsi les heures en élégies savoureuses
Où je déchifferait ton âme en vouloir d’être heureuse,
Quête vaine où s’épuisent nos tendresses douloureuses

Tandis qu’ensorcelant mes pensées au soleil fictif
Qui survit au soleil mort en tes yeux votifs
Je me cheminerai moi-même de rêves furtifs.

Q15 – T5 – 14s

A pas lents, et suivis du chien de la maison, — 1893 (4)

Albert Samain Au jardin de l’infante

Automne

A pas lents, et suivis du chien de la maison,
Nous refaisons la route à présent trop connue.
Un pâle automne signe au fond de l’avenue,
Et des femmes en deuil passent à l’horizon.

Comme dans un préau d’hospice ou de prison,
L’air est calme et d’une tristesse contenue;
Et chaque feuille d’or tombe, l’heure venue,
Ainsi qu’un souvenir, lente, sur le gazon.

Le Silence entre nous marche – coeurs de mensonges,
Chacun, las du voyage, et mûr pour d’autres songes,
Rêve égoïstement de retourner au port.

Mais les bois ont, ce soir, tant de mélancolie
Que notre coeur s’émeut à son tour et s’oublie
A parler du passé, sous le ciel qui s’endort,

Doucement, à mi-voix, comme d’un enfant mort …

Q15 – T15 +  d – 15v – 15 vers, comme souvent chez Samain.

Epris d’une splendeur qu’il veut toujours plus ample, — 1893 (3)

Louis Le Cardonnel au Banquet de La Plume

A Stéphane Mallarmé

Epris d’une splendeur qu’il veut toujours plus ample,
Le Poète, malgré la Terre et le Destin,
Se bâtit dans son coeur un asile hautain,
Et s’y donne, ébloui, des fêtes sans exemple.

Debout sur le passé lumineux, il contemple
L’Avenir, déroulant son mirage lointain,
Et dessine aux clartés d’un immortel matin,
Pour s’y diviniser, l’ordonnance d’un Temple.

Des visions qu’il crée il est l’auguste amant,
Et, par un juste orgueil, en elles s’acclamant,
Il regarde monter son âme à leurs visages.

Et ces vaines fureurs, dont l’homme a palpité,
N’éveillent pas de trouble en ses prunelles sages,
Qui sont des firmaments tout bleus d’Eternité.

Q15 – T14 – banv

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre — 1892 (12)

– ? in  L’année des poètes

Roses de Nice
sonnet bicésuré

Du ciel brumeux le soleil blanc semble descendre
Pour s’abîmer à tout jamais sur l’horizon ;
On l’entrevoit dans le brouillard, comme un tison
Près de s’éteindre et se voilant d’un peu de cendre.

Le rude hiver a, ces jours-ci, fini d’épandre
Les feuilles d’or sur les trottoirs et les gazons ;
Les fleurs de glace ont remplacé les floraisons
Qu’aux vers rameaux, jusqu’en automne, on voyait pendre.

– Mais, dans la rue, où quelque vieux vend des bouquets,
Une drôlesse au rire obscène, aux lourdes hanches,
Se fait payer par un voyou des roses blanches.

– Boutons frileux qu’à son corsage elle a piqués,
Fleurs qui, pour elle, agonisez sous les rafales,
Que je vous plains de mourir là, fleurs virginales !

Q15  T30  alexandrins en 3 segments : 4+4+4

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante, — 1892 (11)

Jules Baudot in  L’année des poètes

L’art

Dans le premier quatrain du sonnet qui te hante,
Avec des mots très doux ainsi que des rumeurs,
D’une légère main, comme font les semeurs,
Sème dans notre esprit que la vie est méchante.

Dans le quatrain qui suit, exalte, prône, chante
La Femme altière et belle, en d’ardentes clameurs,
Et pour bien expliquer l’amour dont tu te meurs
Fais un portrait puissant de celle qui t’enchante.

Alors, en un tercet fort savamment rimé,
Exprime-nous que toi, qui fus pourtant l’Aimé,
Tu n’est plus maintenant qu’un étranger pour elle.

Puis, au tercet final, qu’il ne faut point gâter, –
L’Art serein n’aimant point les cris de tourterelle, –
Sonne un grand vers d’or pur, – pour ne point sangloter !

Q15  T14 – banv –  s sur s

C’est fin de bal:  » Vois-tu que brille — 1892 (7)

Edouard Dubus Quand les violons sont partis

Violons
Pour Georges Darien

C’est fin de bal:  » Vois-tu que brille
Dans leurs yeux fous même chanson?
Ecoute rire à l’unisson
Les deux violons du quadrille.

Ce n’est pas le rire qui brille
Dans les yeux après la chanson,
Vont-ils pleurer à l’unisson?
Les deux violons du quadrille.

Mais vient le temps où la chanson
Que l’on rêvait à l’unisson,
Comme autrefois dans les yeux brille.

Pauvre chanson ! Pauvre chanson !
Ils riront seuls à l’unisson
Les deux violons du quadrille.

Q15 – T6 – octo  – y=x (c=b, d=a) – Sonnet sur deux rimes avec vers-refrain: 4,8, 14

Blanche, comme les flots de blanche mousseline, — 1892 (5)

Edouard Dubus Quand les violons sont partis

Solitaire

Blanche, comme les flots de blanche mousseline,
Enveloppant sa chair exsangue de chlorose,
Elle rêve sur un divan dans une pose
Exquise de langueur, et de grâce féline.

De ses yeux creux jaillit un regard qui câline
Dans le vague, elle se rose,
Sa bouche se carmine et frissonne mi-close,
Sa taille par instants se cambre, puis s’incline.

Sa gorge liliale, où rouges sont empreintes
De lèvres, se raidit comme sous les étreintes,
Elle sursaute en proie au plaisir, et retombe.

Dans ses longs cheveux d’or épars rigide et pâle,
Et dans l’harmonieux tressailllement d’un râle,
On dirait un cadavre un peu frais pour la tombe.

Q15 – T15  – Tout en rimes féminines

Le givre: vivre libre en l’ire de l’hiver — 1892 (4)

André FontainasLes vergers illusoires

Le givre: vivre libre en l’ire de l’hiver
Rumeur qui se retrait au regard d’une vitre
Où, peut-être, frémit éphémère l’élytre
De tel vol ou d’un souffle épais de menu-vair.

Le ciel gris s’est, fanfare!, à soi-même entr’ouvert:
N’est-ce pas qu’y ruisselle au front morne une mitre?
Non! sénile noblesse où nul n’élude un titre
A se mentir moins vil que ne rampe le ver.

L’heure suit l’heure encor, aucune n’est la seule:
Pareille à soi, voici venir qui l’enlinceule
Pour brusque naître d’elle et pour mourir soudain.

Un chardon bleu, pas même, au suaire, ni lisse
Offrant, rêve chétif et dédain du jardin,
Ne fût-ce qu’une épine à s’en former un thyrse.

Q15 – T14 – banv

Vaine aurore! Si des larmes voilent un rire, — 1892 (3)

André FontainasLes vergers illusoires

Vaine aurore! Si des larmes voilent un rire,
Sont-elles en présage à nos fuites de joies
Qu’auraient les yeux d’une autre à suivre un jeu de soies
En frissons brefs au long des parois de porphyre?

Mais nul geste que l’aube encore ne s’y mire
Au fantastique épars de ce que tu déploies,
Ou, verbe, ne s’y grave en hymnes, jeunes proies
A promulguer: rien n’est qui soit, sinon écrire.

Une brume vieillie agonise au pilier,
Et s’y meurtrit la voix d’angoisse rauque étreinte
Pour s’y sentir naissante aux outrages plier.

Aux havres d’or naguère où s’incurvait Corinthe
Nul éphèbe ne vogue en voeux d’âme nouvelle
Vers les fauves toisons que l’aurore y révèle.

Q15 – T23

La nuit l’eau calme des bassins — 1991 (27)

Léon Blum in La Conque

Sonnet

La nuit l’eau calme des bassins
Au reflet des lumières vagues
Forme d’imaginaires vagues
Et de fantastiques dessins.

Ce sont de bizarres coussins
Brodés de colliers et de bagues
Des chevaliers dressant leurs dagues
Des fleurs larges comme des seins …

… Des formes chétives et frêles
Des femmes et des sauterelles
D’oiseaux clairs et de papillons

Dansent aussi sur l’eau tranquille
Dont l’éclair fuyant des rayons
Respecte le rêve immobile.

Q15  T14 – banville –   octo Ce frêle sonnet octosyllabique n’annonce pas encore le Président du Conseil du Front Populaire, le lâche administrateur de la Non-Intervention, ni l’inventeur du ‘cycle infernal des salaires et des prix’