Archives de catégorie : Q15 – abba abba

AMI , tu l’as voulu : je te fais un sonnet. — 1889 (18)

– in  Le Parnasse Breton contemporain

– Bernard d’Erm

Un sonnet

AMI , tu l’as voulu : je te fais un sonnet.
Rimer quatorze vers! Conçois-tu bien ma peine?
Me voilà du travail au moins pour la semaine.
En y songeant, déjà je me sens frissonner.

Du courage! Cherchons! Pourrai-je moissonner
Quelques mots pas trop creux, quelque parole saine?
Je veux aller au bout… Non! mon ardeur est vaine
Et Pégase a tôt fait de me désarçonner.

La chute était prévue et n’a rien qui m’étonne :
Rimer n’est pas mon fait; je rampe, je tâtonne,
Et pourtant je me mets la cervelle à l’envers.

Mais je ne puis finir, si les rimes fidèles
N’accourent avec toi pour terminer mon vers.
Oh! viens à mon secours, muse des Asphodèles

Q15  T14 – banv –  s sur s

TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes, — 1889 (16)

Louis Marsolleau in  Le Parnasse Breton contemporain

Sonnet en vert

TOUTE verte, ployant ses ailes transparentes,
Ëmeraude , la fée au sourire pervers
Est debout, près de la source verte aux flots pers ,
Dans la forêt de jaspe aux fraîcheurs murmurantes.

Et sur le gazon vert que parfument les menthes ,
Le soleil , avec des rayonnements d’ors verts ,
Découpe sa dentelle adorable à travers
L’élan capricieux des feuilles frissonnantes.

Et toute la forêt éblouissante étreint ,
De l’intense reflet de sa verdeur divine ,
La verte fée aux yeux pâles d’algue marine.

Mais elle alors, ainsi qu’un rêve qui s’éteint.
S’évapore; et l’on voit, sous la charmille ouverte,
Flotter une nuée indescriptible et verte !

Q15  T30

Un trouvère ignoré fit le premier sonnet — 1889 (14)

Emile Bergerat La Lyre comique

Le sonnet du sonnet
A José-Maria de Hérédia

Un trouvère ignoré fit le premier sonnet
Vers le treizième siècle, à Palerme, en Sicile.
Sur les seins d’une dame, un thème difficile,
Il essayait une ode et s’y désarçonnait.

D’Orient, où tout rythme et toute chanson nait,
Survinrent deux ramiers las et sans domicile.
La belle, hospitalière à leur couple docile,
Les logea dans le nid au double coussinet.

Le poète accordait par des strophes jumelles
Les rumeurs des oiseaux aux soupirs de mamelles,
Telles que le poème en ses quatrains les a.

Le soir vint. Oppressés par l’amoureuse escrime,
Un pigeon s’assoupit, un téton s’apaisa,
Et le doux quatuor s’achève en tierce rime.

Q15  T14 – banv –  s sur s

Oh ! ne transigez pas, ayez de la rascasse, — 1889 (13)

Emile Bergerat La Lyre comique

La bouillabaisse

Oh ! ne transigez pas, ayez de la rascasse,
Du merlan, du saint-pierre et du rouget, assez
Pour un jeune requin. Parmi les crustacés,
Préférez la langouste à petite carcasse.

L’anguille ? … l’oublier serait un trait cocasse !
La sardine s’impose aux mollusque tassés ;
La cigale de mer poivre ces testacés
D’un arome enragé de poivre madécasse.

Or, sans ail, thym, fenouil, quatre épices, lauriers,
Oignons et céleris, jamais vous ne l’auriez !
Un zeste de citron délicat l’enjolive.

Quant au safran, maudit qui le dose ! … Raca
Sur l’huile qui n’est pas honnêtement d’olive !
Et quand on l’a mangée, on peut faire caca !

Q15  T14 – banv
RACA, mot inv.Vieilli – 2. Empl. interj. avec une valeur de commentaire affectif. [S’emploie pour manifester un profond dégoût, un grand mépris à propos de qqc.] Le droit, l’humanité, la justice… Raca! (PONCHON, la Muse au cabaret, 1920, p. 229).
TESTACÉ, -ÉE, adj. – 1. Qui est revêtu, couvert, muni d’un test (coque, coquille, carapace). Le foie est (…) très-volumineux dans les gastéropodes testacés, et y remplit (…) la plus grande partie des circonvolutions de la coquille (CUVIER, Anat. comp., t. 4, 1805, p. 151). Animaux ovipares et testacés, sans tête et sans yeux, ayant un manteau qui tapisse l’intérieur de la coquille (LAMARCK, Philos. zool., t. 1, 1809, p. 314).

Rasant les murs du port, passent trois matelots. — 1889 (10)

Marcel Schwob Oeuvres de Jeunesse

Singeries, ***

Rasant les murs du port, passent trois matelots.
Le loustic de la bande a dans une bataille
Attrapé sur le nez une profonde entaille,
Il rit et bat à coups de poings les volets clos.

Sous l’obscure lueur sanglante des falots,
Une hôtesse ventrue à mine de futaille
Leur fait signe et tous trois, la prenant par la taille,
Se poussent au comptoir derrière les hublots.

Les mathurins béats, accoudés sur la table,
Avalent éblouis un velours délectable
Versé par le patron dans leurs quarts de fer-blanc.

A côté d’un gabier qui va dégringolant,
De l’escalier graisseux et vermoulu du bouge
Une fille en cheveux descend, la trogne rouge.

Q15 – T13

Un très vieux temple antique s’écroulant — 1889 (6)

Paul Verlaine –  Parallèlement

Allégorie

Un très vieux temple antique s’écroulant
Sur le sommet indécis d’un mont jaune,
Ainsi que roi déchu pleurant son trône,
Se mire, pâle, au tain d’un fleuve lent.

Grâce endormie et regard somnolent,
Une naïade âgée, auprès d’un aulne,
Avec un brin de saule agace un faune
Qui lui sourit, bucolique et galant.

Sujet naïf et fade qui m’attristes,
Dis, quel poète entre tous les artistes,
Quel ouvrier morose t’opéra,

Tapisserie usée et surannée,
Banale comme un décor d’opéra,
Factice, hélas! comme ma destinée?

Q15 – T14 – banv –  déca

Pouvons-nous triompher du long ennui de vivre — 1889 (2)

Victor BarrucandAmour Idéal – poème en 24 sonnets –

Remède

Pouvons-nous triompher du long ennui de vivre
Qui nous ronge le coeur, ainsi qu’un vieux remord?
Pouvons nous étouffer le doute qui nous mord,
Quand nous avons tout lu: la Nature et le Livre?

Pouvons-nous assurer le fier combat que livre,
En nous l’espoir vivace à la peur de la Mort?
Pouvons-nous espérer, vils esclaves du Sort,
Une autre liberté qu’un trépas qui délivre?

Pouvons-nous demander à l’exil un séjour
Où l’on oublie, au soir, les fatigues du jour?
Non, si notre esprit faible est ivre de matière;

Oui, si l’amour du Beau nous est toujours plus cher,
Si nous lui consacrons notre existence entière,
Oui, si l’extase nous affranchit de la chair.

Q15 – T14 – banv

Ce n’est pas à l’éclat triomphant de l’aurore, — 1889 (1)

Victor BarrucandAmour Idéal – poème en 24 sonnets –

A Stéphane Mallarmé, au poète de l’azur et des fleurs, ce livre est dédié.
Le poème’, publication mensuelle – Cette publication a pour objet de donner chaque mois un poème inédit. Son but n’est pas de plaire au plus grand nombre, mais de satisfaire aux exigences littéraires d’une élite.
Je tente une épreuve difficile; j’entreprends une lourde tâche, lourde surtout parce qu’il me faut porter le poids d’un orgueil obligatoire. Au milieu du fracas de la mêlée humaine où tous les égoïsmes se confondent en un heurt furieux de combat, soldat dédaigneux de ma faiblesse et fort de mon courage, j’embouche la trompette à sonner l’idéal. S’il est des échos qu’ils en vibrent; s’il est des voix amies, qu’elles répondent.
Exilés, nous parlerons de la patrie absente; en des chants de gloire ou de tristesse, nous attesterons de la vitalité de nos âmes; et, guidés par nos aspirations divines, nous goûterons l’immense joie de marcher vers la réalisation de nous-mêmes.

25 mars 1889.
tirage à 500 exemplaires; n° 308

Suggestion

Ce n’est pas à l’éclat triomphant de l’aurore,
A la rose sanglante, au lys immaculé,
Que j’irai demander le symbole voilé
Qui, dans l’esprit voyant, te ferait vivre encore.

Je n’obtiendrais ainsi qu’un reflet incolore,
Auprès du clair soleil que tu m’as révélé.
Non, pour dire ta voix dont l’accent m’a troublé,
Je ne parlerai pas d’un chant doux et sonore;

Mais je rappellerai comment, devant la mer,
Devant la nuit sublime, après le jour amer,
Et devant toi, mon coeur goûta la même extase.

Alors, on te verra dans le sentiment pur,
Dans la Forme soustraite au Réel qui l’écrase,
Plus loin que le regard et plus haut que l’azur.

Q15 – T14 – banv

Je rêve quelquefois aux frais coffrets de pierre — 1888 (33)

Paul-Jean Toulet in Oeuvres complêtes

sonnets exotiques, III
à l’âme de Dumollard

Je rêve quelquefois aux frais coffrets de pierre
Où la cupide Mort met ses joyaux de prix,
Où les corps tant aimés par son ombre surpris
Gardent encor leur grâce en perdant la lumière.

Amant inassouvi des chairs de cimetières,
Consolateur des morts, toi seul plein de mépris
Pour les corps où le sang met son tendre pourpris,
Tu gardais tes baisers aux pâleurs de la bière.

Je voudrais bien savoir, poète méconnu,
Ceux que tu préférais de ces corps mis à nu:
Le linceul soulevé de la vierge encor fraîche

Ou la chair trentenaire et que mûrit l’amant
Et que mûrit la mort encore plus savamment,
Très molle avec des bleus, comme une vieille pêche?

Q15 – T15

emmi la glycinale idylle du balcoN — 1888 (30)

Le Décadent

« Mon cher Baju,

Etablissons d’abord les faits pour vos lecteurs. M. Henry Fouquier ayant mis en doute, dans un article de l’Echo de Paris, l’authenticité du sonnet publé, sous la signature du Général Boulanger, dans votre numéro du 15-30 novembre, vous m’avez prié de me rendre chez le général, et de lui demander si l’ami, cependant si sûr, qui vous avez communiqué cette oeuvre, n’avait pas mystifié le public. Quoique l’éventualité d’une semblable interview ne soit pas prévue dans notre traité, je n’ai pas hésité à vous obliger, et, avec trois amis – trois témoins, – MM Paul Roinard, Edouard Dubus et Albert Aurier, je me suis transporté chez le général. Non seulement je ne répudie pas cette fantaisie, nous a dit ce dernier; mais je vous avouerai même qu’elle est déjà ancienne. Si je n’avais été soldat, j’aurais voulu être poète; et si j’avais été poète, je me serais rallié à l’école « philosophique-instrumentiste ». Je m’en suis procuré un fascicule, et, après de consciencieux essais, j’ai commis un sonnet que Mr Ghil ne désavouerait pas, j’espère … ». pressé de nous le communiquer, le général, après quelques façons, se décida. On peut juger par l’aspect typographique du sonnet, publié ci-dessous, si la disposition singulière de certains caractères d’écriture dût nous déconcerter d’abord. – Mon Dieu! Oui, nous dit le général, je trouve que ces messieurs ne poussent pas leurs réformes jusqu’à leurs conséquences logiques. Ils ont aboli la majuscule en début des vers, et ils ont bien fait; mais ils auraient dû comprendre qu’il y fallait une compensation! Et alors, quoi de plus naturel que de la supprimer aussi dans les noms prétendument propres, et de la placer à la rime, dont elle accentue le son et prolonge la valeur? Sans compter que le grand public aurait vu là une tentative de conciliation dont il leur aurait su grè. D’autre part, la suppression des majuscules entraînant des confusions quand on passe d’un vers à l’autre, j’ai jugé nécessaire de placer, en tête de chacun, le signe terminal du précédent…. En ce qui concerne les T, invariables     , je n’ai fait que me conformer à l’une des plus chères habitudes de M. René Ghil. Enfin, je ne m’appesantirai pas sur l’orchestration du sonnet: ce serait abuser de votre temps. Je regretterai seulement qu’on ne puisse imprimer les vers philosophico-instrumentalistes en polychromie: les a en noir, les e en blanc, les i en bleu, les o en rouge, les u en jaune. Vous auriez vu que mon sonnet est coloré patriotiquement, et que le jaune même n’y manque pas, ce qui était indiqué pour un sonnet nuptial. …. Le général, a été comparé justement un jour par vous à l’empereur-artiste Néron, et je me permettrai d’attirer votre attention sur la suggestivité toute soldatesque, si bien appropriée à un épithalame, des rimes lorsqu’on les isole avec leur consonne ou syllabe d’appui. … « 

SonnetT nupTial , philosophiquemenT  instrumenTé

(pour Trombone à coulisse, peTiTe flûTe et biniou)

emmi la glycinale idylle du balcoN
, la lune a vu plus d’une illusoire rapinE,
, donT la Pâle a rosi, comme la neige alpinE
aux baisers du ménéTrier de l’hélicoN

. elle rêve, au secreT de son albe âme, qu’oN
doit s’ inclinant devers l’amour en aubépinE
, fuir les bilaTéraux riTes de proserpinE
, eT périculoser le gué du rubicoN

. mais, furibond comme un faune qu’une nymphe ouTrE,
, son désir, ébranlanT le brun seuil, Triomphe ouTre
: ô désastre de lys jusque lors invaincU

! son pourpre honneur avec éros Tombe morT quiTTe
: maculé, le loTos de gueules de l’écU
! vide son coeur, chimborazo qu’un condor quiTTe
! général boulanger

Q15 – T14 – banv
Sonnet digne de Luc Etienne