Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Comme la perle fine avec art enchâssée, — 1869 (36)

Charles Coligny in l‘Artiste

Le sonnet

Comme la perle fine avec art enchâssée,
Brille en un cercle d’or étroit et pur écrin
Comme entre les parois d’un corset de satin,
Une taille légère est doucement pressée.

Comme le gant moulant une main parfumée,
Dessine exactement les ongles de carmin,
Au vers quatorzième imposant le mot : Fin !
Strictement le sonnet enserre la pensée.

Mais de tous ces liens se joue en souriant,
L’art calme et radieux, l’art fier que rien n’entrave,
Qui se relève roi quand on le croît esclave.

Chaque mot caressé par son doigt triomphant,
Etincelle parmi les frêles dentelures,
Comme un brillant orné de riches ciselures.

Q15  T30  s sur s

Que de mystères couvre un nom ! … — 1869 (30)

Louis de VeyrièresMonographie du sonnet

Georges Garnier

Sonnet-Anagramme
Marie-Aimer

Que de mystères couvre un nom ! …
Sous la lettre palpite l’âme :
Le caillou recèle la flamme ;
Dans le granit chante Memnon.

– ‘ Oh ! ‘ bégaye un grave Zénon,
Cet exorde est une réclame
Pour un jeu que la raison blâme …
Quelque anagramme ? … – pourquoi non ?

La vérité se voile d’ombres :
Pythagore l’extrait des nombres :
Des mots nous pouvons l’exhumer.

Amor ! – Roma ! dit Egérie …
Si ma bouche murmure : « Aimer ! »
L’écho des cieux répond : « Marie ! »

Q15  T14 – banv –  octo

La deuxième règle consiste à croiser les rimes de chaque quatrain, et par conséquent à ne pas les croiser dans le second tercet.

Tandis que je suivais, nonchalant et morose, — 1869 (29)

Louis de VeyrièresMonographie du sonnet

Auguste Lestourgie

Tandis que je suivais, nonchalant et morose,
L’étroit sentier qui mène au sommet du coteau,
La brume le couvrait d’un humide manteau,
Me cachant les ajoncs et le bruyère rose ;

En mon coeur sombre aussi se cache quelque chose ;
Toute la floraison de mon doux renouveau,
Amour et poésie ! … ah ! mon rêve si beau,
Sous quel brouillard épais maintenant il repose !

Mais je monte, et déjà dans le ciel moins obscur,
Aux grisailles d’automne est mêlé quelque azur ;
Mon cœur dans son linceul se débat et palpite.

Fuyez, vapeurs, fuyez, soucis pesants et froids !
L’Orient se colore, ombres, tombez plus vite !
Le soleil et mon cœur renaîtront à la fois.

Q15  T14 – banv

«  Les repos y sont observés avec une exactitude suffisante, sauf peut-être pour la fin du sixième vers. On l’a vu, les quatrains commencent et finissent par des rimes féminines. »
L’agencement des vers dans le sonnet qui suit offre la même ordonnance ; mais le premier et le dernier de chaque quatrain sont terminés par une rime masculine ».

Je pars content Seigneur. Est-ce amusant de vivre, — 1869 (28)

Léon Charly in La Jeunesse du 7 février 1869

Dernier sonnet

Je pars content Seigneur. Est-ce amusant de vivre,
De traîner quelques jours, forçat, un lourd boulet ?
Pour moi tout réveil fut un  visiteur fort laid,
Et cette vie, en somme, un détestable livre.

De mes vers dédaignés que ta main me délivre,
O mort ! Laisse ta faulx, il suffit d’un balai.
Arrête, omnibus noir ! ne me dis pas : ‘complet ! »
Mes parents – si j’en ai – n’oseront pas te suivre.

Tristes … comme des gens n’allant pas hériter,
– Ah ! je ne valais rien, laissant si peu de chose :
Mon linceul est trop court, et ma bière est mal close.

Sois doux, sombre valet qui viendra m’emporter :
Un poète est léger : mon âme en haut repose ;
Mon corps ne pèse pas un volume de prose.

Q15  T29  ‘balai’ rime mal

Les Grecs, pour honorer une de leurs Vénus, — 1869 (26)

Albert MératL’idole

Avant-dernier sonnet

Les Grecs, pour honorer une de leurs Vénus,
Inscrivaient Callipyge au socle de la pierre,
Ils aimaient, par amour de la grande matière,
La vérité des corps harmonieux et nus.

Je ne crois pas aux sots faussement ingénus
A qui l’éclat du beau fait baisser la paupière;
Je veux voir et nommer la forme tout entière
Qui n’a point de détails honteux ou mal venus.

C’est pourquoi je vous loue, ô blancheurs, ô merveilles,
A ces autres beautés égales et pareilles,
Que l’art même, hésitant, tremble de composer;

Superbes dans le cadre indigne de la chambre,
L’amoureuse nature a, d’un divin baiser,
Sur votre neige aussi mis deux fossettes d’ambre.

Q15 – T14 – banv

La vie est un sonnet triste et funambulesque — 1869 (25)

Gabriel Marc Soleils d’octobre

La vie humaine

La vie est un sonnet triste et funambulesque
Dont le premier quatrain est seul d’or & d’azur.
Jusqu’à vingt ans, les bois sont verts, le ciel est pur,
Et l’on marche à travers un pays romanesque.

Puis, la scène devient froide, brumeuse et presque
Funèbre. Il faut lutter dans un dédale obscur,
Et jouer, pour manger un pain amer & dur,
Des farces d’histrions sous un masque grotesque.

Au milieu des soucis, des remords, des douleurs,
Noirs récifs dans la mer insondable des pleurs,
L’homme navigue ainsi jusqu’à son dernier lustre.

Et le sonnet soumis à l’inflexible sort,
Qu’on soit prince, bandit, pâtre ou poète illustre,
S’achève par ce mot épouvantable: Mort.

Q15 – T14 – banv

Quand on revient de Rome où le grave libraire, — 1869 (24)

Louis Veuillot

Les Salis

Quand on revient de Rome où le grave libraire,
Dans son réduit tout plein d’augustes vétustés,
Tient en si grand mépris l’article Nouveautés,
Paris étonne fort en sa mode contraire.

Comme masques hardis, vêtus de couleur claire,
Les volumes du jour grouillent de tous côtés ;
Et la vitre et le mur, et les journaux crottés
Invitent le public à les écouter braire.

Quel affreux carnaval d’histrions avilis !
Quels titres ! quel français ! La majesté romaine
Croirait, les approuvant, approuver des délits.

Nous l’entendons, pour nous, de façon plus humaine :
Sans nul tourment d’esprit, nous voyons sur la scène,
Ignoble et vomissant, le chœur de ces Salis.

Q15 – T21 – Veuillot a la réputation, méritée, d’avoir été un féroce réactionnaire, defenseur du catholicisme le plus rétrograde. Mais c’est, je pense, un remarquable praticien du sonnet.

Pour le sonnet, huit ou dix pieds ! — 1869 (23)

Louis Veuillot Les couleuvres

Le Sonnet

Pour le sonnet, huit ou dix pieds !
A douze, il prend des ampleurs lourdes ;
Le remplissage y met ses bourdes,
Vain bâton des estropiés.

Que de fléaux multipliés !
Les longueurs, les emphases sourdes,
Les adjectifs creux comme gourdes,
Chargent les vers humiliés.

Les douze pieds, c’est la charrette.
Pégase regimbe, il s’arrête,
Voyant qu’il faut prendre le pas.

Libre de cette peur fatale,
Sur huit pieds, fringant, il détale,
Et s’il crève, il ne traîne pas.

Q15 – T15 – octo – s sur s

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit : — 1869 (22)

Louis Veuillot Les couleuvres

Intermède

Je rimaillais. Boileau m’apparut et me dit :
“ Alcippe, il est donc vrai ! par un furtif commerce,
A transgresser la loi ton faible esprit s’exerce,
Et fait faire au sonnet un métier interdit ? ”

Boileau, chez moi, n’est pas de ces gens sans crédit.
Je donnai mes raisons, et ce fut une averse.
Il reprit : “ Le chemin où toujours chacun verse,
Et le chemin  mauvais, non le chemin hardi.

Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème …
Soit ! Mais n’en tire pas la conséquence extrême
Qu’un poème en sonnets puisse être sans défaut.

C’est ainsi que l’on crée aux temps de décadence :

D’un monstre avec effort accouche l’impuissance ! ”
Il se tut. Je changeai de rythme, assez penaud.

Q15 – T15 – s sur s

La chevelure au vent, la jupe retroussée, — 1869 (20)

Louis Veuillot

Arabella

La chevelure au vent, la jupe retroussée,
Montrant ses dents d’une aune et ses pieds d’un empan,
Miss Arabella Ship, voguant, roulant, grimpant,
Arpente l’univers d’une course pressée.

Que cherche-t-elle enfin, et quelle est sa pensée ?
Miss est-elle  biblique, – ou dévote au dieu Pan ?
On dit qu’elle a frôlé maint et maint chenapan,
Qu’un roi nègre une fois sur son cœur l’a pressée.

Qu’en sait-on ? Moi, je  crois que miss Arabella,
Téméraire brebis, impunément bêla,
Et que les loups d’accord ont manqué la fortune.

Je lis – fort mal peut-être – en son air ahuri,
Que sa longue innocence à la fin s’importune,
Et se sait trop peu gré de n’avoir point péri.

Q15 – T14 – banv