Archives de catégorie : Q15 – abba abba

Sans mépriser à fond quelque reste d’appas, — 1869 (19)

Louis Veuillot Les couleuvres

Sévéra

Sans mépriser à fond quelque reste d’appas,
Elle maintient ses droits au rang de vierge sage :
Pour le monde et pour Dieu, son âme et son  corsage,
Tout est réglé comme au compas.

Elle est aussi fort bien tenue en ses repas ;
Autant que ses discours, austère est son potage.
Pas plus d’amour au cœur que de fard au visage !
On la dit chrétienne. – Non pas !

De tout point elle est rèche, elle est stricte, elle est chiche ;
En fait de poésie, elle aime l’acrostiche ;
En fait d’art, les fleurs en papier.

A peindre un tel objet la couleur s’embarrasse :
Il faudrait des vers froids et nets comme la glace,
Durs et coupants comme l’acier.

Q15 – T15 – 2m (octo: v.4, v.8, v.11, v.14)

Elle avait deux profils, l’un grec, l’autre saxon ; — 1869 (18)

Louis Veuillot Les couleuvres


Mary

Elle avait deux profils, l’un grec, l’autre saxon ;
L’un plein de majesté, l’autre de grognerie.
Celui-ci regardait, non sans quelque furie,
Un époux enrhumé qui semblait bon garçon.

Un teint blanc, – toutefois assez poudré de son ;
Un costume élégant, – mêlé de friperie ;
Sur le peplum d’azur, de la verroterie ;
Les cheveux insultés d’un bout de paillasson.

Pour se désennuyer, dans un sac des plus riches
Elle mit et remit vingt affiquets godiches ;
Puis elle lut Dickens, comme on lirait Platon.

L’oeil grec semblait de marbre, et le saxon de braise.
Avais-je devant moi Diane ou Margoton ?
Etait-ce la pairesse ou la coureuse anglaise ?

Q15 – T14 – banv

A toute vapeur ! Les futaies, — 1869 (17)

Louis Veuillot Les couleuvres

Grande vitesse

A toute vapeur ! Les futaies,
Les blés, les herbes, les maisons
Prennent le vol ; les horizons
S’effilent en changeantes raies.

Vertes, frétillantes et gaies,
Et balançant leurs frondaisons,
Comme un serpent dans les gazons
Se perdent en zigzag les haies.

Vergers, châteaux, aridités,
Fleuves, collines et cités
S’en vont de pareille furie.

Mirage prompt à t’effacer,
Tu nous vois plus vite passer,
Plus vaines ombres de la vie !

Q15 – T15 – octo

Entre ceux que j’aspire à ne pas voir souvent, — 1869 (16)

Louis Veuillot Les couleuvres

Les sages

Entre ceux que j’aspire à ne pas voir souvent,
Je compte des premiers ces amples personnages,
Ces doctes et ces forts qui, pleins de verbiages,
Vont la tête en arrière et le ventre en avant.

Je les trouve partout gonflés du même vent :
Ils savent qu’ils sont gros, ils savent qu’ils sont sages,
Et fiers de tant peser, épanchant les adages,
Ils tiennent pour manqué tout autre être vivant.

Enfermés dans le lard de la fortune faite,
Pour le juste et le vrai leur froideur est complète :
Ils sont placés, rentés, et rien plus ne leur chaut.

Par ma foi, je m’en veux ! mais j’ai des allégresses,
Lorsque je pense au jour, dût-il être un peu chaud,
Qui viendra fondre enfin ces glaces et ces graisses !

Q15 – T14 – banv

Donc, cher lecteur, on te propose, — 1869 (15)

Louis Veuillot Les couleuvres

Donc,  cher lecteur, on te propose,
Cette trousse de petits vers.
Tu peux le prendre de travers ;
Il faut oser un peu. L’on ose.

Tout ne va pas à toute chose :
Divers gibiers, engins divers.
A la chasse au rien par les airs,
Pourquoi du bronze, ou de la prose ?

Un quatrain d’où sort le sifflet,
L’angle affilé d’un triolet
Opèrent mieux que gros chapitres.

Ils entrent mieux dans les cerveaux :
Prends, va ! Ce sont petits couteaux,
Bon pour desserrer les huîtres.

Q15 – T15 -octo

Quand je fus enterré, mort, je sentis la vie — 1869 (11)

Fernand Desnoyers

11
III

Quand je fus enterré, mort, je sentis la vie
Sourdre et bruir en moi comme un lointain essaim …
La chair se putréfie, et l’esprit reste sain;
Ma pensée était vive et cependant suivie.

Quelle stupidité nous fut un jour servie?
On disait qu’un poète est forcément un saint
Et ne peut même pas devenir assassin!
Ceux qui pensent cela n’ont jamais eu d’envie.

Ils ne connaissent pas non plus la passion
Qui rendrait courtisane une soeur de Sion.
J’observais le travail de la mort dans ma bière.

Je me sentis grouiller sur mon corps même en vers,
Heureux de me manger, de n’être plus matière,
Et c’est dans le cercueil que je vivais ces vers.

Q15 – T14

Il me souvient d’avoir été guillotiné, — 1869 (9)

Fernand Desnoyers Le vin
Impressions d’un guillotiné
Poème en trois sonnets

I
Il me souvient d’avoir été guillotiné,
Accident dont j’ai fait l’analyse complète
La séparation du tronc et de la tête
Fait mal, quoiqu’on en dise, au pauvre condamné.

Le chef tombé resta pensif comme un poète.
Un battement nerveux dans un côté du né
Fixa l’oeil du bourreau fort impressionné
Qui m’avait fait l’effet d’un commerçant honnête.

Je fus vraiment flatté d’occuper son regard.
Mon spectre s’incrusta dans son esprit hagard …
La souffrance a cessé quand la tête est coupée.

La cause de ma mort fut que j’avais haché
Comme chair à pâté, sans même être fâché,
Ma femme, après l’avoir indignement trompée.

Q15 – T15

O sole ! poisson merveilleux ! — 1868 (27)

Eugène Vermeersch Sonnets gastronomiques

La sole

O sole ! poisson merveilleux !
Il faudrait au moins dix chapitres
Pour énumérer tous tes titres
A ce sonnet respectueux.

Les Vatel te comprennant, eux,
T’entourent du velours des huîtres,
Des truffes, des moules bêlitres,
Et des champignons savoureux.

La Nature s’est surpassée
Quand elle ourdit ta chair, tissée
De filets tenus, égrillards

Et qui mieux qu’un savant breuvage
Révèlent au penchant de l’âge
L’Amour dans le sang des vieillards.

Q15  T15  octo

O truffes ! diamants d’ébène, sœurs et mères — 1868 (25)

Eugène Vermersch Sonnets culinaires

Les truffes

O truffes ! diamants d’ébène, sœurs et mères
De la subtile joie et du savant baiser !
Sans lesquelles il n’est point permis de priser
La table épiscopale & les royales chères !

Quand la pourpre du vin saigne en nos coupes claires,
Et que la lèvre en fleur commence à se griser,
Dans l’argent mat où vous aimez à reposer,
Vous brillez sur la nappe aux lueurs des torchères.

Truffes, salut ! … si dans les tubercules bruns
L’aï mousseux a fait pénétrer ses ivresses,
Un soufle plus chaud tremble aux bouches des maîtresses,

Et pour toi délaissant leurs blancs nids de caresses,
Dans les boudoirs secrets, loin des yeux importuns,
Les amoureux désirs nagent dans tes parfums.

Q15  T30

Des convives repus la fatigue s’empare … — 1868 (24)

Eugène Vermersch Sonnets culinaires in  L’Eclipse

Le macaroni

Des convives repus la fatigue s’empare …
Servez alors ce plat riche et mélodieux
Qui nous vient d’Italie et qui lui vint des dieux
De la divinité c’est le don le plus rare.

De graisse de chapon ne soyez point avare
Prodiguez les rognons de coq, les savoureux
Champignons et la truffe aux pouvoirs amoureux,
Demandez à Bontoux comment ils se préparent.

Que des lèvres d’argent de la cuiller qui sort
Brusquement du ragoût, des stalactites d’or
Tombent ; vous connaitrez à quel point sont futiles

Les splendides objets de notre vanité,
Que notre estomac seul veut être respecté
Et que les paradis sont choses inutiles.

Q15  T15